Dans sa première apparition publique après les municipales, Saad Hariri a semblé calme et tranquille. Dans les remous et les turbulences que traverse le Courant du futur, il a conservé sa sérénité. Visiblement, l’homme n’a pas dit tout ce qu’il avait sur le cœur, promettant d’être plus loquace au cours des prochains iftars.
Pour son premier iftar qui a réuni les dirigeants religieux et spirituels, Saad Hariri s’est limité à des propos dictés par la nature même de la circonstance et la qualité des personnes présentes. Il a renouvelé les principes et les constantes du Courant du futur qui sont l’accord de Taëf, la parité et la modération. Hariri a tenu à montrer qu’il était prêt à assumer la responsabilité de ce qui s’est passé et à en tirer les leçons qui s’imposent.
Saad Hariri n’a pas nommé spécifiquement Achraf Rifi, mais c’est bien lui qu’il visait en parlant de «d’honnêteté, de loyauté, de modération et de ne pas jouer sur les instincts et de mobiliser les gens». Il a également insisté sur la parité qui s’est réalisée à Beyrouth et qui n’a pas été accomplie à Tripoli. Pareil pour le ministre Nouhad Machnouk. L’ancien chef du gouvernement ne l’a pas cité nommément, mais c’est à lui qu’il s’adressait en défendant «le royaume de la fidélité», le roi défunt Abdallah, la position de l’Arabie aux côtés du Liban et son appui indéfectible. Sur un autre plan, Hariri n’a pas du tout évoqué le Hezbollah. Il a également totalement ignoré l’échéance présidentielle et l’intervention en Syrie.
Crise sans précédent
Ce fait est dû à deux raisons principales. La première est en relation avec le résultat des élections municipales qui ont imposé à Hariri de revoir l’échelle de ses priorités. La seconde raison de son attitude est que Hariri est en train d’étudier sa relation avec le Hezbollah et n’a pas encore décidé quelle attitude adopter envers le parti. Va-t-il passer à la confrontation et à l’escalade ou poursuive le dialogue?
Par ailleurs, Saad Hariri fait face à une crise sans précédent dont l’étau commence à se resserrer autour de lui. Il en est même au point de se poser des questions sur l’avenir de son leadership à la lumière du net recul qu’enregistre sa popularité et des secousses que connaît sa relation avec l’Arabie.
Cette situation pleine de défis et de pressions impose des changements qui commencent au niveau de l’organisation du Courant du futur. Les résultats des municipales ont montré la faiblesse de la machine électorale bleue. Dans la présente situation, le Futur sera incapable de mener des élections législatives. La tendance se dirige vers l’opération de changements dans les premiers rangs du courant. En parallèle, un règlement de tous les conflits et de toutes les divergences qui se sont proliférés au sein du Futur avec la prolongation de l’absence de Hariri est en vue.
Il est clair que Saad Hariri est désormais face à un choix imposé par les circonstances. Soit il choisit la cohabitation et l’apaisement avec le Hezbollah, dans le sens qu’il poursuit le dialogue entamé avec lui depuis deux ans et le développe en vue d’un compromis global portant sur la présidence et le gouvernement. A l’intérieur de son courant, cette politique est vivement critiquée. Elle serait l’une des raisons de la victoire d’Achraf Rifi à Tripoli. Soit il décide de passer à la confrontation qui aurait pour conséquence l’arrêt du dialogue et la sortie du gouvernement. Cette option supposerait une escalade dans le discours politique en vue de récupérer la rue sunnite, d’une part, et l’implication dans le conflit régional entre l’Iran, l’Arabie saoudite et le Hezbollah, d’autre part. Hariri craint ce dernier choix. Il est habité par «le complexe» du 7 mai et a l’obsession d’une fitna sunnite-chiite. Entre la cohabitation qui le garde au pouvoir, mais augmente ses pertes avec l’Arabie et la confrontation qui lui rend le leadership et l’exclusivité saoudienne, quel sera le choix de Hariri? Le premier ou le second… ou encore un troisième que ses proches craignent et qui est celui du retrait de la vie politique?
Joëlle Seif
L’enjeu de Saudi Oger
Selon le célèbre «Mujtahidd», un Saoudien très actif sur Twitter, ce n’est pas à cause de son échec dans la confrontation avec le Hezbollah que l’Arabie a lâché Saad Hariri. Ce lâchage s’inscrit dans le plan du vice-prince héritier Mohammad Ben Salmane de cerner la société Saudi Oger, comme ce fut le cas pour la société Ben Laden. Une source proche de Saad Hariri a indiqué que la société Saudi Oger souffre d’une très grave crise financière et que les salaires des employés étaient payés de manière très irrégulière ces derniers mois. Ceci a poussé le ministère saoudien du Travail à lui adresser une mise en demeure et à ne plus lui octroyer de nouveaux permis de travail. Le ministère a également accordé aux employés le droit de partir vers d’autres compagnies, sans obtenir préalablement l’autorisation du premier garant, Saudi Oger, en l’occurrence.