Un seul homme, Omar Mateen, est parvenu à semer la mort, dimanche 12 juin, dans une boîte gay d’Orlando, en Floride aux Etats-Unis. Se revendiquant de l’Etat islamique, il a été adoubé par Daech comme «soldat du califat». La tuerie pourrait aussi rebattre les cartes des élections américaines.
Donald Trump peut se frotter les mains. La tuerie perpétrée à Orlando (Floride), dimanche 12 juin, et qui a fait 49 morts et 53 blessés, vient justifier les propos qu’il tenait il y a seulement quelques mois. Alors que le sang des victimes n’était pas encore sec, le candidat républicain à la Maison-Blanche s’est félicité d’avoir eu raison sur l’islamisme. Quelques heures après la plus grave tuerie de l’histoire des Etats-Unis, Trump a remercié les gens qui le «félicitent d’avoir eu raison sur le terrorisme islamique radical». «Mais je ne veux pas de félicitations, je veux de la vigilance et de la sévérité. Il nous faut être intelligents!», a-t-il écrit sur Twitter. Appelant Barack Obama à la démission, le milliardaire s’est justifié, toujours sur le réseau social. «Parce que nos dirigeants sont faibles – j’ai dit que cela allait arriver – et cela ne va qu’empirer», a-t-il posté. «J’essaie de sauver des vies et d’empêcher le prochain attentat terroriste. Je ne peux plus me permettre d’être politiquement correct». Après l’attentat de San Bernardino, perpétré en décembre dernier par un couple radicalisé, Donald Trump avait affirmé qu’il interdirait l’entrée des musulmans sur le territoire américain, s’il était élu. Cette saillie, qui avait suscité les condamnations et les critiques dans le monde, ne l’avait pourtant pas éliminé de la course à la Maison-Blanche. Bien au contraire, les sondages en sa faveur avaient progressé. Lundi, sans faire dans la nuance, comme à son habitude, le candidat républicain a dénoncé la communauté musulmane américaine qui est, selon lui, «complice du tueur», car elle ne l’a pas dénoncé. Sur CNN, il a affirmé: «C’est un problème de surveillance et de collecte de renseignements. Parmi les personnes qui le connaissaient [le tueur présumé, ndlr], plusieurs avaient le sentiment qu’il avait un problème et que quelque chose comme ça allait arriver. Les gens qui le connaissaient, comme son ex-femme, et d’autres, ne l’ont pas signalé! Pour une raison ou pour une autre, la communauté musulmane ne signale pas les gens comme ça». «Nous n’avons vraiment pas besoin d’accueillir davantage de types comme lui. Là ce n’est qu’un début, nous aurons des problèmes comme ça dans tout le pays, et ça ne va faire qu’empirer. Regardez ce qui se passe en Europe, c’est un désastre», a poursuivi Trump.
Nul doute que la tuerie d’Orlando devrait lui faire gagner encore des points dans les sondages. D’autant qu’en face, la candidate démocrate Hillary Clinton a adopté un ton beaucoup plus «soft». Exprimant sa solidarité avec la communauté gay, elle a essentiellement remis sur le tapis la question de la circulation des armes, comme l’a fait d’ailleurs Barack Obama. «Des armes de guerre n’ont rien à faire dans nos rues», a-t-elle déclaré, le tueur d’Orlando étant en possession d’un fusil d’assaut. Un sujet loin d’être populaire malgré les nombreuses tueries enregistrées aux Etats-Unis (33 000 morts par balles, par an, selon Clinton), les Américains étant très attachés au deuxième amendement de la Constitution. Dénonçant la «rhétorique dangereuse» de Donald Trump, la candidate a appelé à «éviter la radicalisation aux Etats-Unis» et à «donner aux forces de l’ordre les outils dont elles ont besoin pour éradiquer cette radicalisation». «Nous devons combattre les terroristes où qu’ils soient, pour être en sécurité chez nous».
Un profil pas anodin
Estimant qu’il fallait distinguer les terroristes des personnes qui «utilisent aussi ces armes pour tuer des gens», Hillary Clinton a, par ailleurs, souligné qu’elle serait «ferme, forte et déterminée pour combattre l’Etat islamique». «Je l’étais lorsqu’il a fallu traîner Ben Laden devant la justice et je le serai jusqu’à ce que nous battions l’EI», a-t-elle ajouté.
Malgré ces déclarations plus modérées et moins populistes que celles prononcées par son adversaire, la tuerie d’Orlando pourrait bien marquer un tournant dans la course à la Maison-Blanche. Car le profil du tueur, Omar Mateen, n’est pas anodin.
Depuis dimanche, les informations délivrées par le FBI, ainsi que par les médias américains laissent présumer que ce jeune Américain de 29 ans, d’origine afghane, se serait autoradicalisé.
Lundi, le chef du FBI, James Comey, exprimait sa conviction que le tueur d’Orlando avait été «radicalisé» en partie par Internet et qu’il s’était inspiré de diverses organisations extrémistes, sans pour autant avoir été «dirigé» par celles-ci. «Quant à savoir quel groupe terroriste il aspirait à soutenir, ça n’est pas, non plus, complètement clair à ce stade, bien qu’il ait clairement exprimé son affinité au moment de l’attaque pour l’EI», a souligné le responsable du FBI.
En effet, lors de sa macabre entreprise, Omar Mateen a pris le temps de composer le 911, le numéro d’urgence aux Etats-Unis, par trois fois, pour revendiquer ses meurtres au nom de l’Etat islamique. «Durant ses appels, il a dit qu’il faisait cela pour le chef de l’EI (Abou Bakr el-Baghdadi, ndlr), qu’il a nommé et auquel il a prêté allégeance, mais il a aussi exprimé sa solidarité avec les auteurs des attentats du marathon de Boston et avec un homme de Floride qui est mort dans un attentat suicide en Syrie pour le Front al-Nosra», a détaillé James Comey. Le chef du FBI a révélé que le tueur aurait «d’abord revendiqué des liens familiaux avec al-Qaïda», avant de se dire «membre du Hezbollah», ce qui paraît complètement contradictoire, les deux organisations étant ennemies l’une de l’autre et se combattant sur le terrain en Syrie.
Surveillé pendant dix mois
Au fil des heures, le profil de Omar Mateen se précise. Surveillé par le FBI depuis mai 2013, il avait fait l’objet d’une enquête de dix mois de la part des autorités. Enregistrement de ses conversations, suivi, inspection de ses factures de téléphone, etc.
A l’époque, le jeune homme travaillait comme garde de sécurité pour un tribunal local et avait tenu des propos sur le terrorisme «incendiaires et contradictoires», selon Comey, qui avaient inquiété ses collègues. Ceux-ci avaient signalé de possibles sympathies pour la cause jihadiste. Détenteur d’un casier judiciaire vierge, Mateen est interrogé par les autorités deux fois, avant de se faire oublier de la police fédérale. A ce moment-là, il justifie ses propos par la «colère», pensant que ses collègues se moquent de lui parce qu’il était musulman. Un an plus tard, en 2014, il réapparaît sur les écrans radars du FBI. Cette fois, les autorités s’intéressent à ses liens présumés avec le premier kamikaze américain à s’être fait exploser en Syrie, Moner Mohammad Abou Salha, qui est affilié au Front al-Nosra, la franchise d’al-Qaïda sur le territoire syrien. Selon le FBI, le «contact» entre les deux hommes était «minimal» et «ne représentait pas une menace». Abou Salha et Mateen se connaissent pour avoir fréquenté la même mosquée, en Floride. L’enquête, pour la deuxième fois, ne connaît pas de suite.
Pourtant, d’après le témoignage de l’un de ses collègues de travail, recueilli par la NBC, Mateen «parlait de tuer des gens tout le temps, (il était) raciste, belliqueux et toxique». Une attitude passée inaperçue au sein de l’entreprise où il avait pourtant passé des tests pour son recrutement, en 2007. L’imam de la mosquée qu’il fréquente le décrit comme quelqu’un de «calme». Loin du point de vue livré par son ex-femme, Sitora Yusufiy, divorcée depuis 2011. Elle le décrit comme quelqu’un d’«instable, bipolaire et qui s’énervait sans raison». «Il me battait, il rentrait juste à la maison et commençait à me frapper parce que la lessive n’était pas faite», a-t-elle confié au Washington Post. Déjà à l’époque, Omar Mateen n’aurait pas fait grand mystère de son aversion envers les homosexuels. Son père, Seddiq Mateen, un militant afghan qui se disait parfois «favorable aux Talibans» sur des vidéos postées sur YouTube, a raconté un épisode passé quelques mois avant la tuerie. Alors qu’ils se trouvent ensemble, Seddiq et Omar Mateen voient un couple gay «s’embrasser, (…), se caresser». Ce qui aurait suscité une profonde colère de la part du futur tueur. Cette aversion, conjuguée aux penchants pour les thèses jihadistes de Omar Mateen, aurait-elle provoqué son passage à l’acte? L’enquête le dira.
Titulaire d’un port d’arme, l’ancien étudiant en droit criminel qui aspirait à devenir policier, s’était procuré, très récemment, une arme de poing et un fusil d’assaut AR-15, dans la légalité. A-t-il voulu appliquer l’enseignement du théoricien de l’Etat islamique, Abou Moussab el-Suri, stipulé dans son ouvrage de référence Appel à la résistance islamique mondiale? Une méthode qui consiste à choisir une cible, s’armer et se préparer, l’objectif étant de faire un maximum de dégâts pour que l’impact médiatique soit maximum. Si tel est le cas, le but est atteint. Et inquiète d’autant plus. Car il signifierait que, comme Omar Mateen aux Etats-Unis, ou Mohammad Merah en France il y a quelques années, d’autres «loups solitaires» peuvent planifier et préparer des attaques meurtrières, sans être inquiétés.
Jenny Saleh
Soirée meurtrière au Pulse
La soirée réunissant près de 350 personnes au Pulse, haut lieu de la communauté gay d’Orlando, est près de s’achever, quand Omar Mateen pénètre dans l’établissement. Il est presque 2h du matin. Equipé d’un fusil d’assaut AR-15, d’un pistolet et de plusieurs recharges de munitions, il ouvre le feu. Un policier qui officie comme agent de sécurité ce soir-là échange alors des tirs avec le tueur. Dans l’intervalle, certains clients du Pulse parviennent à sortir en courant. Pour les autres, c’est le début du cauchemar. Alors que les renforts policiers arrivent, la fusillade est toujours en cours. Ils entrent dans le club, tandis que Omar Mateen se replie dans les toilettes, où il retient quatre à cinq personnes en otages. Pendant ce temps, les personnes encore présentes au Pulse parviennent à s’enfuir. Des négociateurs de la police discutent plusieurs heures avec Mateen, qui, très calme, mentionne, en revanche, des «vestes explosives et des explosifs partout», laissant craindre un nouveau massacre. L’assaut, mené par la brigade d’élite des Swat, est lancé à 5h. Elle parvient à faire sortir Mateen qui réplique en tirant sur les policiers. Le tueur est rapidement abattu. Bilan du carnage, 49 morts et 53 blessés, dont certains dans un état grave.
Assassinats terroristes en France
Lundi soir, un homme de 25 ans, Larossi Abballa, tue de neuf coups de couteau un commandant de police, alors que celui-ci rentrait à son domicile, à 50 km de Paris. L’assaillant se retranche ensuite dans la maison du policier, prenant en otages la compagne de la victime, ainsi que leur fils de trois ans. L’unité d’élite de la police française, le Raid, arrive sur les lieux et donne l’assaut. Abballa est tué, mais aura eu le temps d’assassiner la compagne du policier, elle aussi fonctionnaire du ministère de l’Intérieur. L’enfant est retrouvé choqué, mais indemne, sur les lieux du drame.
Selon David Thomson, journaliste spécialiste du jihadisme à RFI, Larossi Abballa aurait posté sur le live de son Facebook un long message de revendication, lundi soir à 20h52, ainsi que des photos de ses victimes. Il y appelait à tuer les policiers, les gardiens de prisons, les journalistes, les rappeurs, et déclarait que «l’euro sera(it) un cimetière». L’attaque a été rapidement revendiquée par l’Etat islamique. Il apparaît qu’Abballa était connu des services de renseignements français et de la justice antiterroriste, ainsi que pour des actes de délinquance. Il avait été arrêté en 2011 et condamné en 2013 à trois ans de prison dont six mois de sursis, pour avoir participé à une filière d’acheminement de jihadistes vers le Pakistan. Abballa était de nouveau dans les radars de l’antiterrorisme depuis quelques semaines, dans le cadre d’une enquête ouverte, avec commission rogatoire internationale pour sa proximité avec un homme parti en Syrie.