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Nº 3059 du vendredi 24 juin 2016

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L’avis de deux chercheurs russes. La Russie défend ses intérêts stratégiques

Quelles sont les véritables motivations de la Russie en Syrie? Quelle relation entretient-elle avec l’Iran? Quel pouvoir exerce-t-elle sur le président syrien Bachar el-Assad? Deux analystes russes, Maxim Suchkov, chercheur auprès du Conseil russe aux affaires internationales, et Nikolay Kozhanov, chercheur auprès du centre de réflexion Carnegie Endowment, répondent aux questions de Magazine.

Depuis son intervention en septembre dernier, la Russie est devenue le maître du jeu en Syrie, décidant de la guerre comme de la paix, du moins sur la scène internationale, lors des tractations en vue d’un éventuel cessez-le-feu. Elle est parvenue à bouleverser les rapports de force dans ce pays, plus particulièrement tout dernièrement. Ainsi la trêve, plus ou moins respectée depuis fin février, a récemment volé en éclats, les bombardements du régime et de l’aviation russe, ainsi que ceux des rebelles ayant repris à grande échelle ont fait des centaines de morts, notamment dans la ville d’Alep. Le président syrien Bachar el-Assad, fort du soutien militaire russe, s’est montré intransigeant lors de son dernier discours devant le nouveau Parlement syrien. La livraison de l’aide humanitaire aux localités assiégées, en particulier dans la banlieue de Damas, a été tardive et partielle. Trois rounds de négociations à Genève ont fini par échouer, l’opposition syrienne, accusant la Russie – devenue acteur incontournable de la guerre – du déraillement du processus politique.
A travers le dossier syrien, la Russie est parvenue à réaliser plusieurs objectifs. Selon le Dr Maxim Suchkov, chercheur auprès du Conseil russe aux affaires internationales, la campagne syrienne a d’abord permis de projeter une aura de «superpuissance». «Elle vise clairement à impressionner et à provoquer un retour de la ‘superpuissance russe’», ajoute l’expert. Cependant, les objectifs de la campagne ne se sont pas limités uniquement à cette dimension, la Russie défendant en Syrie ses intérêts stratégiques, sécuritaires et géopolitiques.
 

Une aura de superpuissance
Ainsi, un certain nombre de facteurs stratégiques a déterminé l’escalade de l’intervention de la Russie en Syrie et de son appui militaire et politique au régime Assad. La Russie se sent marginalisée par le fait qu’elle a été négligée comme puissance internationale et rarement considérée partie prenante lors de l’élaboration de solutions politiques internationales. Nikolay Kozhanov, chercheur auprès du centre de réflexion Carnegie Endowment, considère que parmi les facteurs stratégiques les plus importants, figure «la volonté de l’élite russe de briser ‘l’impasse stratégique’» gardant la Russie subordonnée à des «règles et à la domination occidentales». La Russie est également intimement convaincue de la nécessité d’éviter l’effondrement d’un régime ami, qui pourrait menacer indirectement sa sécurité nationale en déstabilisant non seulement le monde arabe, mais également la chasse gardée russe, dans le Caucase.

 

Rivalité avec la Turquie
Un avis que partage également Suchkov. «La Russie désire que le Moyen-Orient soit en mesure de faire face efficacement à ses propres défis internes en limitant les débordements dans les régions limitrophes – notamment de la situation sécuritaire dans le Caucase et en Asie centrale, principales préoccupations de Moscou. La Russie est d’avis qu’il est nécessaire de préserver des Etats forts dans la région», souligne-t-il. Aux yeux de Moscou, les régimes autoritaires sont plus à même de lutter contre les islamistes que les démocraties – ce qui explique le scepticisme initial de la Russie vis-à-vis du Printemps arabe. Nombreux sont les experts russes qui considèrent que la Libye a été «victime» des soulèvements arabes – à l’instar de l’Egypte où les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir à la suite d’élections démocratiques. «Donc, pour Moscou, le choix n’a jamais été entre les ‘‘bons’’ et les ‘‘mauvais’’, mais plutôt entre le ‘‘mauvais’’ et ‘‘le pire’’», estime Suchkov.
La Russie défend également des intérêts stratégiques liés à l’héritage soviétique en Syrie et à son accès à la Méditerranée. La rivalité entre la Russie et la Turquie mérite d’être soulignée, cette dernière possédant une frontière commune avec la Syrie. Une rivalité renforcée après la prise pour cible de l’avion russe par la Turquie en novembre dernier. «Moscou a créé un certain nombre de contre-leviers régionaux vis-à-vis d’Ankara, y compris l’établissement d’installations militaires en Syrie», précise Suchkov.
Les experts russes considèrent qu’il ne faut pas surestimer l’influence de la Russie en Syrie et sur le clan Assad. Les relations entre la Russie et Assad étant nettement moins organiques qu’on ne le pense. «Il est facile d’imaginer que la Russie est à même de jouer un rôle plus constructif en Syrie que l’Iran, mais elle dispose toutefois d’une marge de manœuvre limitée. Certains analystes arabes sont persuadés qu’il suffirait pour la Russie de se retirer de la Syrie pour forcer Assad au compromis. Bien que le leadership russe ait été déçu par Assad, il estime toujours que la survie du régime actuel évitera à la Syrie de se transformer en une deuxième Libye ou un axe d’instabilité comme l’Asie centrale. L’incapacité de trouver une alternative à Assad crée, cependant, une dépendance de Moscou vis-à-vis du président syrien, qui génère une dépendance mutuelle», conclut Kozhanov.
La Russie demeure, toutefois, un partenaire important pour les Etats-Unis, dans le dossier syrien. Il est en effet toujours plus facile de s’entendre avec Moscou qu’avec l’Iran qui a misé du tout au tout sur le régime Assad.

 

Mona Alami 

Mariage de raison avec l’Iran?
La relation entre la Russie et l’Iran est motivée par des calculs pragmatiques et une convergence d’intérêts entre les deux puissances. Maxim Suchkov estime que l’influence de Moscou sur l’Iran n’est pas aussi forte qu’on le pense, Téhéran étant un acteur puissant et faisant preuve d’indépendance sur la scène politique moyen-orientale. «La relation entre la Russie et l’Iran est semblable à celle d’adversaires contraints à coopérer ou à celle de deux amis faisant preuve de pragmatisme. Cette formule reflète l’agenda bilatéral nuancé de ces deux puissances au Moyen-Orient, ainsi que la rivalité économique et géopolitique qui les oppose dans certains domaines, mais aussi la capacité des dirigeants de Moscou et Téhéran de se voir à travers le prisme d’intérêts pragmatiques», explique Suchkov. Une opinion que partage Nikolay Kozhanov qui déclare que la Russie ne craint pas l’Iran qui a su, contrairement aux pays du Golfe, éviter de soutenir les mouvements séparatistes islamiques comme en Tchétchénie. «L’Iran n’est pas considéré par Moscou ni comme un partenaire ni comme un rival, mais plutôt comme une puissance voisine. Moscou se doit de prendre Téhéran en compte, ce qui pousse les deux puissances au dialogue, bien que des divergences d’opinions empêchent la création d’un réel partenariat stratégique», conclut Kozhanov.

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