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Nº 3061 du vendredi 8 juillet 2016

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Pétrole et gaz. Un fort potentiel, difficile à évaluer

A peine les discussions autour du dossier du pétrole et du gaz ont-elles repris que déjà, les spéculations en tous genres fusent. Peut-on réellement savoir ce qui se trouve en mer? Quand les Libanais pourront-ils commencer à bénéficier de ce trésor national? Comment ne pas laisser filer cette opportunité? Explications.

Le pays pourrait-il passer d’une situation de dépendance pétrolière avec des importations énergétiques équivalentes à 10% du PIB à une situation d’autosuffisance, voire excédentaire?
Cela fait six ans que la loi sur les Ressources gazières et pétrolières a été ratifiée et le Liban attend toujours que deux décrets soient adoptés pour permettre le lancement de la première phase d’exploration de la zone économique exclusive du Liban (ZEE) et découvrir, enfin, ce qui se cache sous les eaux libanaises.
Mais si la phase d’exploration n’a pas débuté, des estimations laissent déjà espérer des ressources qui ont de quoi bouleverser le paysage socioéconomique libanais.
 

Un fort potentiel?
Couverture des besoins énergétiques nationaux, possibilité d’exportation d’énergie, création d’emplois, investissements, règlement de la dette publique, projets de développement en infrastructures, éducation… La découverte de gaz et de pétrole au large des côtes libanaises pourrait bien transformer l’économie du pays.
Oui, mais voilà, faut-il se réjouir si rapidement? Comment s’assurer que ce secteur ne subisse pas le sort de celui des télécoms, des ordures ou encore de l’électricité: des secteurs économiques juteux dont les bénéfices sont récupérés au profit de la classe politique? Et surtout, peut-on réellement savoir ce que représentent les quantités de pétrole et de gaz naturel avant même le lancement de la phase d’exploration?

 

Des emplois à la clé
Si le potentiel d’hydrocarbures qui pourrait être découvert dans la ZEE libanaise est la source de nombreuses spéculations, selon une source experte proche du dossier, «il est en réalité impossible d’estimer ce qui se trouve sous les eaux libanaises». Il ne faudrait ainsi pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. «Oui, nous savons qu’il y existe un fort potentiel, explique cette source, mais il existe aussi une centaine de probabilités pour chaque bloc. On peut faire des estimations et dire que les réserves de pétrole peuvent s’élever à 1 milliard de barils dans l’est de la Méditerranée et celles de gaz naturel à 122 trillions de pieds de cube, mais pour le Liban, il ne s’agit que de probabilités, rien n’est moins certain», affirme la source.
Il en est de même pour les estimations en valeur de ces réserves, toujours selon cette même source. «Si certains ont parlé de 600 milliards de dollars d’énergie sous les eaux libanaises, on ne peut en réalité pas savoir avant même d’avoir débuté la phase d’exploration et d’avoir trouvé des clients. Les tarifs varieront en fonction de ces derniers».
C’est l’avis partagé par Jihad Azour, ancien ministre des Finances. «Même s’il est certain que nous disposons d’importantes ressources énergétiques, il est très difficile d’évaluer la valeur de ces ressources tant que l’exploration n’a pas commencé. Il ne s’agit que d’estimations qui sont entendues ici et là et qui varient énormément. Oui, il y a un potentiel, mais nous n’avons, en réalité, aucune idée de la quantité en volume de pétrole et gaz qui se trouve en mer».
Par ailleurs, la situation géopolitique a bien changé depuis que ces estimations ont été faites: le prix du baril a été divisé par deux. «Enfin, ajoute l’ancien ministre, il ne faut pas oublier la situation politique extrêmement instable du Liban qui peut pousser certaines entreprises à revoir leurs investissements ou exiger des compensations importantes pour ce risque-pays».
Et même si le forage débutait et qu’un trésor était découvert sous les mers, la majorité des experts s’accorde à dire qu’il faudrait au moins entre 5 et 7 ans pour que le Liban puisse percevoir les premiers revenus. «C’est un processus de longue haleine, ajoute Azour. La découverte de ces ressources ne va pas changer du jour au lendemain la vie des Libanais».
Les premiers emplois pourront être créés uniquement une fois la phase d’exploration amorcée. «Il s’agit d’environ un millier d’emplois directs durant cette phase, estime Fouad Makhzoumi, président du Forum du dialogue national. Il est important de souligner que quatre à cinq fois plus d’emplois indirects pourront déjà être créés durant cette phase et ce, dans divers secteurs comme les services, les banques, les assurances et le transport».

 

Comment faire confiance?
C’est durant la phase de développement qu’un nombre d’emplois supplémentaires plus importants pourraient être créés. La loi sur les ressources pétrolières et gazières prévoit, en effet, de sécuriser les emplois pour les Libanais. Ainsi 80% des employés d’une entreprise qui entame le forage au large du Liban devront être libanais.
Selon Makhzoumi, «si les deux décrets sont adoptés, on pourrait espérer une croissance entre 6 et 7% du PIB au Liban dès 2021».
Toutefois, comment s’assurer d’un minimum de transparence sur ce dossier? Comment les Libanais peuvent-ils encore croire qu’ils pourront profiter d’une richesse nationale sur un dossier encore une fois si politisé?
Si le dossier était bloqué pendant autant d’années, n’est-ce pas parce que les dirigeants politiques ne s’accordaient pas sur la manière de se partager ce gâteau? Pour Moustafa Assad, P.D.G. de Front Page Communication, «cela fait en réalité quinze ou même vingt ans qu’on connaît l’existence d’un trésor national sous les eaux libanaises. Il a fallu que nous organisions des forums pour que les Libanais soient au courant que cette richesse existe et qu’elle leur revient».  
Fouad Makhzoumi souligne le rôle de la société civile et des médias dans ce dossier. «Il faut avoir le courage de dire que cet argent est le nôtre et qu’il ne peut pas être volé», insiste-t-il.
De son côté, Jihad Azour met l’accent sur le besoin de sécuriser le dossier du gaz et du pétrole en créant des barrières institutionnelles. «Il faut créer une structure qui assure l’indépendance souveraine de ce dossier et puisse inspirer la confiance des citoyens et aussi des investisseurs. Il faut protéger cette ressource par un mécanisme institutionnel et absolument dépolitiser ce dossier. N’oubliez pas que si le pétrole et le gaz peuvent être considérés comme une bénédiction économique, ils peuvent aussi se transformer en source de division si les partis s’en mêlent et veulent s’approprier les revenus», a-t-il mis en garde.
Beaucoup d’incertitudes planent encore sur ce dossier. Nous ne savons toujours pas combien coûtera la phase d’exploration ni l’acheminement des ressources et les coûts d’extraction. L’affaire est à suivre avec vigilance.

Soraya Hamdan
 

Le pouvoir du lobbying
Tous les experts interrogés sur ce dossier soulignent le rôle primordial de la communication et du lobbying pour faire avancer les choses et pousser les politiciens à agir. Le dernier Forum sur le gaz et le pétrole s’est tenu en mai dernier et a rassemblé une vingtaine d’experts internationaux et 400 personnes. «Nous prévoyons déjà un autre forum à la rentrée pour continuer à mettre la pression sur le gouvernement et pour faire bouger les choses, notamment sur la question des deux décrets, souligne Moustafa Assad, P.D.G. de Front Page Communication. Il est de notre devoir de continuer à informer les Libanais sur l’existence de ces richesses et sur la nécessité de surveiller le développement des choses afin que les revenus reviennent bien aux Libanais».

 

Comment utiliser ces revenus?
Pour Fouad Makhzoumi, il faut être très vigilant quant à l’utilisation future des revenus issus des ressources énergétiques. «Les politiciens voudraient utiliser cet argent pour couvrir la dette publique, mais il s’agirait là d’une grande erreur et même d’un suicide national. Il s’agit d’une richesse qui, dès qu’elle est puisée, ne pourra jamais être retrouvée».
Selon lui, il vaut mieux investir grâce à ces ressources pour qu’elles continuent de générer des revenus. «Il faut définir un fonds souverain et non pas utiliser cet argent pour couvrir les dépenses des anciens politiciens. Il faut investir pour créer une économie positive. Investir dans les infrastructures libanaises, dans la diversification de notre système d’éducation. On ne peut pas continuer à créer les mêmes profils: des médecins, des avocats et des ingénieurs. Nous avons besoin de différents services. Il faut réussir à attirer les investisseurs et, pour cela, il faut leur donner confiance».

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