Magazine Le Mensuel

Nº 3062 du vendredi 15 juillet 2016

Rencontre

Davy Chou. Entre hier et aujourd’hui, le cinéma au Cambodge

Après un documentaire, Le sommeil de l’or, sur le cinéma cambodgien des années 60 et 70, le cinéaste franco-cambodgien Davy Chou présente, à Beyrouth, son premier long métrage de fiction Diamond Island.

Vous vous êtes rendu au Cambodge pour la première fois en 2008. Est-ce que vous y avez été avec un regard de cinéaste?
A l’époque, j’avais fait quelques courts métrages très amateurs, je n’étais pas encore cinéaste, mais débutant. Pour ce voyage familial, j’avais déjà en tête l’idée que, peut-être, dans six mois, j’irais m’installer au Cambodge pour monter un atelier vidéo. Et peut-être le documentaire sur le cinéma cambodgien. Pour cela, j’avais cassé ma tirelire et fait le seul vrai achat de ma vie, une caméra qui coûtait 3 000 euros à l’époque. J’y ai mis toutes mes économies, je savais que j’en aurai besoin lorsque je serai installé au Cambodge. Je l’ai achetée juste avant le voyage en pensant le filmer justement, sans aucune autre intention de documenter et d’archiver ce moment où mes parents retournaient pour la première fois au Cambodge. Pendant deux semaines, j’ai filmé. J’en ai fait un court métrage plus tard, Expired, un mélange de ces images documentaires de ma famille remis dans une espèce de fausse fiction. Rétrospectivement, je me suis rendu compte que mon rapport avec le pays de mes parents, dans lequel j’ai travaillé durant ces six dernières années en y faisant trois films, je l’ai vraiment vu à travers la caméra.

Vous aviez donc l’idée du documentaire, Le sommeil d’or, avant d’aller au Cambodge?
Je l’avais eue, quelques années avant d’y aller, car j’ai entendu dire que mon grand-père maternel était dans le cinéma au Cambodge. Ce pays qui ne représentait rien pour moi, je ne connaissais ni sa culture, ni sa langue, ni son histoire, même celle des Khmers rouges qui est la plus tragique. Lors d’un déjeuner avec ma tante, je comprends qu’il y a eu un cinéma apparemment très dynamique au Cambodge pendant les années 60 qui s’est éteint avec l’arrivée des Khmers rouges, poussant ainsi tous ceux qui y étaient impliqués à changer de vie. Etant cinéphile, j’ai trouvé cette histoire à la fois incroyable et choquante, j’ai donc eu l’idée d’aller au Cambodge un jour pour faire un film là-dessus.

Est-ce qu’il a été difficile de trouver les acteurs de cette époque-là?
Pas si difficile. Il y avait très peu de survivants. Quand je suis arrivé au Cambodge en 2009, ma tante était au début avec moi. En quelques heures et quelques coups de fil, il a été facile de les rencontrer et qu’ils m’acceptent en tant que personne, car ils avaient tous très bien connu mon grand-père. Ça a été plus compliqué de gagner leur confiance pour qu’ils consentent d’être face à la caméra et de raconter leurs histoires. Ça a pris un an de recherches, d’écriture et surtout de fréquentation.

Y a-t-il un sentiment particulier qui les distingue, comme une certaine nostalgie par exemple?
De la nostalgie sûrement, mais ce qui était beau ce sont les stratégies différentes que chacun met en place pour survivre à cela. Certains sont complètement baignés dans la nostalgie, d’autres refusent cela en disant que ça fait partie du passé. On sent bien que c’est une perte douloureuse qui, souvent, cache d’autres choses comme la perte de membres de leurs familles. Comme si la flamme est toujours là et n’a jamais disparu.

Passer d’une période révolue à une période actuelle, à la jeunesse.
C’était logique d’aborder les deux pôles. Si on regarde les films réalisés au Cambodge, ils tournent souvent autour de la période des Khmers rouges, et c’est très important. Mais du coup, en y habitant, j’avais aussi envie de savoir plus sur les autres périodes, c’est-à-dire à la fois avant et aujourd’hui. Après, en vivant là-bas, j’étais fasciné par le présent, qui est très peu documenté, ou très peu montré. Pourtant, le pays vit un moment très particulier de transition, à la fois brutal et très excitant pour les gens. J’ai trouvé qu’il y avait une fiction hyper intéressante à faire là-dessus.

Diamond Island justement entre la réalité et la fiction…
Au départ, c’était comme un film qui documentait les jeunes d’aujourd’hui, des ouvriers sur le chantier de Diamond Island, qui n’ont pas la possibilité de passer d’une classe à l’autre. Tout d’un coup, un geste de la fiction lance une hypothèse: si ce frère, Solei, revenait et allait tirer Bora pour qu’il passe d’une classe à l’autre, ce qui n’arrive que rarement, voire jamais. Ces jeunes qui n’auront pas accès à ce Cambodge du futur, ils le regardent non avec rancœur ou jalousie, mais avec un regard naïf et émerveillé comme s’ils pensaient qu’ils y auraient accès. C’est ce regard, que j’ai retrouvé plein de fois, qui m’a frappé et donné envie de développer. Cette île n’est pas créée pour eux et, pourtant, beaucoup de jeunes se l’ont appropriée. Du coup, le film est aussi un geste pour leur redonner cet espace.

Propos recueillis par Nayla Rached

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