La rencontre qui n’a pas eu lieu entre le président François Hollande et le Hezbollah s’est finalement tenue avec le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault. Quels que soient la teneur de cet entretien et ses résultats, il reflète le souci de la France de maintenir le contact avec le Hezbollah et la reconnaissance de l’importance de son rôle et de son influence sur la scène libanaise.
Quarante minutes. Telle fut la durée de l’entretien entre Jean-Marc Ayrault et le Hezbollah. Bien que le Quai d’Orsay ait sollicité une rencontre avec le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, le député Mohammad Raad, le parti de Hassan Nasrallah a décidé de se faire représenter par un petit comité, formé par le député Ali Fayad et le responsable des relations extérieures du parti Ammar Moussaoui. Serait-ce une forme de réponse à l’annulation de l’entretien qui devait avoir lieu entre le président François Hollande et le Hezbollah représenté par Mohammad Raad? Notons, toutefois, que les deux parties avaient à l’époque démenti l’existence de cette entrevue. Cependant, des sources bien informées avaient confié à Magazine que l’entretien devait bel et bien se tenir, mais il fut annulé ultérieurement. De toute manière, pour le Hezbollah, l’essentiel était que la rencontre avec Ayrault ait lieu. Des sources proches du parti estiment que le Hezbollah ne se fait pas trop d’illusions sur le rôle de la France aujourd’hui mais à un moment où le parti subit des pressions de toutes parts, il était important de rencontrer le visiteur français.
La stabilité du Liban
Le dossier de la présidentielle a été évoqué entre les deux parties et Ayrault a fait part de son souhait d’une «libanisation» de cette affaire. Les représentants du Hezbollah ont alors confirmé devant Ayrault leur appui à la candidature du général Michel Aoun et lui ont expliqué que son élection est un choix stratégique en faveur des chrétiens. Leur appui à Aoun ne signifie pas qu’ils n’appuient pas Sleiman Frangié, mais le soutien au général va dans le sens de la volonté des chrétiens. Aoun bénéficie d’une large popularité dans la rue chrétienne et il est le chef du plus grand bloc parlementaire chrétien. Avec l’appui du leader des Forces libanaises, Samir Geagea, il est devenu incontournable. Les représentants du Hezbollah ont invité Ayrault à utiliser son influence pour convaincre les Saoudiens et le Courant du futur de voter pour Aoun en vue de débloquer l’impasse présidentielle. Pour eux, l’élection du général Aoun à la présidence est la meilleure garantie pour le maintien de l’accord de Taëf, car, comme il bénéficie de la confiance du Hezbollah et de son chef, ce dernier ne songerait plus à réclamer des garanties préalables sur la composition du futur gouvernement ni sur le contenu de la déclaration ministérielle.
La stabilité du Liban a été également abordée par le chef du Quai d’Orsay et le Hezbollah. Ayrault a fait part à ses interlocuteurs de l’importance que la France accorde à la stabilité du pays du Cèdre. Il n’a pas adressé de critiques envers la politique du parti au Liban et en Syrie et a fait part de son souci concernant la préservation du calme et de la stabilité au Liban-Sud. Les représentants du Hezbollah lui ont assuré le rôle du parti à ce niveau, ainsi que sur le plan de la lutte contre le terrorisme, surtout que celui-ci n’épargne personne. Des informations rapportées dans la presse ont évoqué une promesse faite par Ayrault de discuter, lors de la prochaine réunion du Conseil de l’Europe, de la mise de l’aile armée du Hezbollah sur la liste terroriste. Interrogée par Magazine, une source proche de la rencontre a formellement démenti cette information et confié que cette question n’a même pas été soulevée durant la rencontre entre Ayrault et les représentants du parti chiite.
Les deux parties se sont également entretenues de la crise des déplacés syriens et de l’impossibilité du Liban de l’assumer à lui seul. Ayrault a assuré ses interlocuteurs que la France accordait une importance particulière à ce dossier et qu’elle est parfaitement consciente que le Liban ne pouvait supporter cette situation. Le Hezbollah a répondu que cette affaire nécessite une traduction au niveau des aides et l’assurance de leur retour chez eux. Ayrault aurait affirmé: «Nous assurons qu’à la fin de la crise syrienne, les déplacés ne veulent pas rester et nous déploierons tous les efforts nécessaires dans ce but».
Le dossier du pétrole n’a pas été absent des concertations entre Ayrault et le Hezbollah. La France voudrait à travers ce dossier retrouver son rôle et son influence au Liban. La société française Total serait intéressée par l’exploitation de l’un des dix blocs pétroliers, en particulier ceux du Liban-Sud. La France se propose ainsi de jouer le rôle d’intermédiaire entre le Liban et Israël pour résoudre le différend dans la région maritime controversée.
Malgré l’inscription par la France de l’aile armée du Hezbollah sur la liste du terrorisme, les Français ont toujours eu le souci de ne pas rompre totalement les liens avec le Hezb et de maintenir le contact avec lui. La rencontre du ministre des Affaires étrangères avec le parti chiite indique clairement l’importance accordée par la France à sa relation avec le Hezbollah, sans pour autant que cela signifie un rapprochement dans les positions des deux parties. Des sources diplomatiques indiquent que Paris considère le Hezbollah comme un parti politique, qui a des députés au Parlement et des ministres au gouvernement. Ainsi, il détient une légitimité fournie par les élections. La France entretient des relations à travers son ambassade à Beyrouth avec le parti au niveau de ses députés et ses ministres. En outre, Paris est soucieux d’entretenir de bonnes relations avec toutes les communautés libanaises, la communauté chiite incluse, qui est une composante importante du tissu confessionnel libanais. La participation de la France à la Finul par le biais de son contingent rend sa relation avec le Hezbollah très délicate. La France a toujours appuyé la souveraineté et l’indépendance du Liban, a constamment appelé à l’entente des Libanais et a fermement défendu la coexistence qu’elle estime la garantie première pour la stabilité sécuritaire et politique du pays.
Joëlle Seif
Ce qu’ils lui ont dit
Selon des sources informées, Jean-Marc Ayrault aurait dit à Saad Hariri: «Vous étiez le premier à avertir des dangers de la vacance présidentielle et vous aviez raison, car vous avez tiré la sonnette d’alarme». Le chef du Quai d’Orsay n’était porteur d’aucune initiative et n’a pas proposé de nouveaux noms, mais il a posé des questions sur la manière de mettre un terme à la vacance et de sortir de l’impasse. Il a notamment dit qu’il allait poursuivre ses efforts dans ce sens et qu’il allait en discuter dans ses rencontres avec les ministres des Affaires étrangères iranien et saoudien, en marge de son entrevue avec le chef du gouvernement russe. Devant Ayrault, Hariri a maintenu son appui à la candidature de Sleiman Frangié et affirmé qu’il ne mettait des bâtons dans les roues de personne, avançant que c’était l’Iran qui bloquait la situation. Il a ajouté qu’il n’avait de veto contre personne et qu’il est prêt à féliciter celui qui gagne. Hariri a aussi affirmé que le Hezbollah avait commis une erreur monumentale en allant se battre en Syrie à la demande iranienne et que cette attitude avait attiré le terrorisme au Liban.
Walid Joumblatt a confié, à l’issue de sa rencontre avec Ayrault, que la France est soucieuse que le Liban ne s’enlise pas dans les conflits de la région. Joumblatt a fait part au ministre français des A-E qu’il était prêt à accepter n’importe quel compromis portant sur l’élection d’un président sans poser de conditions préalables pour éviter de glisser de plus en plus dans la crise syrienne. Il a estimé que l’élection d’un président aurait pour résultat de redynamiser les institutions publiques. Il a également réitéré qu’il n’avait aucun problème avec le général Michel Aoun, mais son élection nécessite l’unanimité.
Quant au général Aoun, il a affirmé qu’il était le plus fort candidat chrétien et qu’il cherchait à lutter contre la corruption. Il a indiqué qu’il fallait un président fort et que ceci était important pour les chrétiens. Il a ajouté qu’il voudrait que Hariri soit chef du gouvernement et qu’il avait obtenu l’aval du Hezbollah dans ce sens.
Nabih Berry n’a pas évoqué la présidentielle. Il a insisté sur le rôle de l’armée et l’importance de la soutenir. Il a appelé la France à réactiver le don saoudien qui représente un besoin vital pour l’armée. Le chef du Quai d’Orsay a mis l’accent sur le rôle de Berry et son parrainage du dialogue national, très important pour le Liban.