Au lendemain du putsch manqué, condamné par l’ensemble de la classe politique, le président Recep Tayyip Erdogan a choisi la fermeté et la répression. Après l’humiliation de l’armée, la dérive autoritaire du pouvoir turc se confirme.
Avec plus de 7 500 personnes placées en garde à vue, dont 6 038 militaires, 755 magistrats et 100 policiers, avec près de 9 000 fonctionnaires du ministère de l’Intérieur limogés, plus de 3 000 mandats d’arrêt délivrés à l’encontre de juges et de procureurs, le président turc Recep Tayyip Erdogan ne compte pas faire preuve de clémence envers les rebelles. Nombreuses sont les mesures qui ont été prises dans le but d’«éliminer le virus de toutes les institutions étatiques» après le putsch raté, selon les propos du président. Comme le rapporte l’agence Anadolu, «quelque 1 800 membres des forces spéciales de la police ont été déployés dans la nuit de dimanche à lundi à Istanbul, afin de sécuriser les points sensibles de cette mégalopole».
Un pouvoir plus autoritaire
Plus encore, le président turc envisage le rétablissement de la peine capitale, abolie dans le pays en 2004 dans le cadre de la candidature d’adhésion à l’Union européenne, après un débat au Parlement. Il a estimé que de telles modifications législatives garantiraient «le calme» dans le pays. La représentante de la diplomatie européenne au sein de l’Union européenne, Frederica Mogherini, a rétorqué qu’un rétablissement de la peine de mort en Turquie signifierait une fermeture de la porte du bloc européen à ce pays.
Il est probable qu’à court et moyen termes, Recep Tayyip Erdogan sorte renforcé de ce putsch avorté. Bien que beaucoup de pays occidentaux aient enjoint à Ankara de gérer la situation «selon les principes fondamentaux de la démocratie» pour éviter les châtiments collectifs à l’aveugle, Erdogan a prévenu les rebelles qu’«ils paieraient le prix fort» et le processus de purge ayant déjà largement été appliqué. Demander au peuple de rester dans la rue ne consistait pas réellement en une sollicitation pour la défense de la démocratie, mais pour confier l’Etat de droit à la rue et aux tribunaux, qui sont du côté du président, l’islamisation pouvant devenir une priorité pour ce dernier. En effet, et selon les analystes, Erdogan est aujourd’hui en mesure de frapper très fort contre les Kurdes pour leur «enlever» toute envie de créer un Etat kurde et contre ceux qu’il accuse d’être «gülenistes», de mener une politique de répression et de plonger dans une dérive autoritaire du pouvoir. Ainsi, les résultats d’un tel abus se reflèteraient-ils au niveau de la liberté de presse et de la liberté d’expression. L’Onu a d’ailleurs souligné l’importance du respect des «droits fondamentaux comme la liberté d’expression et la tenue de procès en bonne et due forme», afin de préserver la démocratie en Turquie. Rappelons que le 4 mars 2016, le quotidien à gros tirages Zaman, proche de l’opposition, a été fermé par les autorités et que toute la rédaction a été remplacée par des journalistes favorables à Erdogan. Un phénomène semblable à ce dernier s’est produit au fur et à mesure que le coup d’Etat prenait place; en effet, les locaux du grand groupe de presse kémaliste Dogan, propriétaire notamment du quotidien Hürriyet et de la chaîne CNN-Türk, ont été investis, et les journalistes, présentateurs et photographes ont été contraints d’exécuter les ordres des soldats mutins, alors que d’autres ont été abattus à cause de leurs appels à la mobilisation de la population sur les réseaux sociaux. Il faut aussi craindre la division de l’armée turque, qui, jadis, était à l’origine de la fondation de l’Etat turc moderne en 1923, et qui constituait une autorité forte et unie.
Craintes internationales
Alors que, dans un premier temps, les capitales européennes avaient manifesté leur soutien au président turc pendant la tentative de putsch, aujourd’hui la situation a changé légèrement. Les tensions entre les Etats-Unis et la Turquie augmentent, l’ambassadeur américain en Turquie, John Bass, s’étant prononcé contre les propos évoquant un soutien américain au putsch, et le gouvernement américain ayant demandé à Ankara de lui fournir des «preuves» à l’encontre de Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis. Le prédicateur et bête noire d’Erdogan a formellement démenti toute implication dans le cadre du coup d’Etat. «Nous serions déçus que nos amis, les Etats-Unis, continuent de nous demander de présenter des preuves dans ce contexte», a déclaré le Premier ministre turc, Binali Yildirim, insistant sur le fait que la requête américaine risquerait d’altérer les liens d’amitié entre les deux pays. Ajoutons à cela la perquisition lancée, lundi, par des procureurs et des policiers turcs sur la base aérienne d’Incirlik, au sud de la Turquie, utilisée, depuis l’accord de 2015, par la coalition antijihadiste menée par les Etats-Unis. D’après l’agence de presse progouvernementale Anadolu, la base avait été brièvement fermée lors de la tentative de coup d’Etat, provoquant une suspension des frappes aériennes antijihadistes. Un haut gradé de l’armée de l’air et une dizaine d’autres suspects employés sur cette base, suspectés d’avoir participé au putsch manqué, ont été placés en garde à vue. La base a été, comme l’a indiqué Washington, rouverte dimanche. Toutefois, rompre les liens avec la Turquie ne serait pas d’un grand avantage pour les Etats-Unis, d’après maintes analyses, surtout qu’avec un régime turc devenu encore plus autoritaire, Washington «pourrait moins facilement poursuivre sa politique de collaboration», d’où l’intérêt pour les Américains de continuer à afficher des liens forts avec Ankara. D’autre part, alors que la Turquie a longtemps essayé de faire ses preuves dans le but d’intégrer l’Union européenne, aujourd’hui, le pays compromet ses chances quant à une éventuelle adhésion à cette Union. En effet, la prise de position d’Erdogan à la suite du putsch va fortement à l’encontre de l’article 49 du traité sur l’Union européenne qui stipule que «tout Etat européen […] peut demander à devenir membre de l’Union», à condition de respecter ses valeurs, à savoir la liberté, la démocratie, le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de l’Etat de droit. Le respect de ces principes démocratiques et des normes européennes est, pour ainsi dire, de plus en plus sapé, les libertés bafouées et les droits de l’homme négligés.
Natasha Metni
La stabilité économique menacée
A la suite de la tentative de coup d’Etat perpétré en Turquie, la livre turque a perdu jusqu’à 3,8% de sa valeur. Toutefois, cette dégringolade n’a pas duré longtemps pour reprendre, lundi, plus de la moitié de ses pertes, repassant la barre des 2,94 dollars. Selon les experts, cette reprise de la «stabilité» économique doit être analysée prudemment, surtout que «plusieurs inquiétudes préexistantes persistent et la réaction des investisseurs obligataires va probablement être négative dans un premier temps», comme l’assurent les experts en matière de finances. Plus encore, ce sont les investisseurs étrangers qui prendront du recul à la suite de ce putsch, bien qu’au cours des derniers mois, les flux d’investissement avaient largement augmenté (7,3 milliards de dollars en mai dernier contre 3,2 milliards en mai 2015).