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Nº 3064 du vendredi 29 juillet 2016

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Un an après la crise des déchets. Le fond du problème n’est pas réglé

Le 17 juillet 2015, le pays plongeait dans la pire crise sanitaire jamais connue. Un an plus tard, où en est le plan de sortie de crise mis en place par le gouvernement? Ce plan signifie-t-il pour autant la fin de la crise des ordures? Rien n’est moins certain. Sorti à l’occasion de ce triste anniversaire, le documentaire Lebanon 0 Waste a pour objectif de rappeler qu’une autre solution est possible. Explications.

«Jeter les ordures à la mer n’est pas la seule solution, c’est un crime qui est sur le point de se produire à Bourj Hammoud», martèle Ziad Abi Chaker, fondateur de Cedar Environmental, une entreprise de recyclage et de compostage. Cet ingénieur et spécialiste du traitement des ordures a eu l’idée de créer un documentaire à destination du grand public libanais sur l’industrie du recyclage. L’objectif du film est de montrer qu’il existe bel et bien une solution à la crise des déchets et que celle-ci ne passe ni par les décharges ni par l’incinération.
 

60% de déchets organiques
Le film Lebanon 0 Waste a ainsi été projeté pour rappeler que le Liban a toutes les capacités pour traiter ses propres ordures et qu’un Liban sans ordures n’est pas un mythe.
«Le Liban dispose déjà de 85% des infrastructures nécessaires au traitement de ses ordures et à la revalorisation de ces dernières, explique Abi Chaker. En réalité, nos ordures ne sont pas un fardeau mais plutôt une bénédiction: il s’agit de matières premières qui peuvent être réutilisées et qui sont moins coûteuses que des matières premières brutes».
Aujourd’hui, 90% des ordures libanaises peuvent être recyclées. Dans le film, on apprend que la composition de la poubelle libanaise est très simple car composée à majorité (environ 60%) de déchets organiques qui peuvent facilement être réutilisés pour produire du compost. Le compost peut servir de fertilisant agricole, engrais naturels et fumiers pour fertiliser les champs.
Même les résidus peuvent connaître une seconde vie grâce au recyclage. Fabrication de mobiliers écologiques, murs végétaux, engrais, matériaux de construction, nos ordures peuvent se retrouver à l’origine de multiples projets créatifs qui embellissent la ville. Selon le film, plus de 3 000 familles au Liban vivent grâce à l’industrie locale du recyclage. Tous nos déchets pourraient ainsi être réutilisés: des déchets organiques, mais aussi le verre, le carton et les métaux. A ceux qui disent que les Libanais ne sont pas près de recycler car pas prêts à trier, Ziad Abi Chaker répond: «Il ne faut pas compter sur les particuliers pour trier, le tri revient aux professionnels et peut se faire dans les usines de recyclage qui sont prévues pour cela».
La solution de l’ingénieur pour une bonne gestion des déchets solides au Liban passe par une option décentralisée qui repose sur des clusters de municipalités. Chaque cluster aura sa propre usine de tri et de recyclage qui sera créée par le secteur privé afin d’éviter les dérives de corruption.
Le secteur public sera simplement chargé de la supervision des activités. Selon la recommandation d’Abi Chaker, il faudrait 70 usines de tri (d’une capacité de 100 tonnes par jour) de ce type pour couvrir tout le pays. Cette solution verte coûterait entre 350 et 360 millions de dollars contre 1,2 milliard de dollars pour celle de l’incinération.
Outre l’avantage économique et environnemental de la solution décentralisée, il est important de relever le nombre d’emplois qui pourraient résulter de cette option et profiter à l’ensemble du territoire libanais. Un plan décentralisé créerait 3 500 emplois directs, selon Ziad Abi Chaker et 50 000 emplois indirects.

 

Corruption endémique
«Le seul modèle à suivre est un modèle de décentralisation avec création d’usine de tri et de recyclage à l’échelle du pays comme celle que nous avons construite à Beit Méri», explique ainsi l’ingénieur. Aujourd’hui, les autorités publiques empêchent l’inauguration du site. La question se pose de savoir pourquoi? Serait-ce pour empêcher les experts de prouver qu’une autre solution écologique est possible, moins coûteuse et qu’en réalité, il n’est nul besoin d’incinérateurs au Liban?
La manière dont a été gérée la crise des déchets depuis le 17 juillet 2015 a sans doute révélé, de manière effrontée, le niveau de corruption qui mine le gouvernement libanais. De la volonté d’exporter les ordures aux faux documents d’approbation présentés par la société sélectionnée par le gouvernement pour exporter les déchets, à la décision de développer de nouvelles décharges côtières, il semble désormais que même les Libanais se soient habitués à la gestion corrompue de ce dossier et que la corruption soit même devenue la norme.
«S’il faut tirer une leçon de cette crise sanitaire, c’est que le dossier des déchets au Liban est mal géré, insiste Ziad Abi Chaker. Ce qu’a décidé le gouvernement est un crime sanitaire. Cela fait vingt ans qu’on répète que le pays risque de se heurter à une crise des déchets si l’on ne change pas de système de gestion. Ce qui s’est passé en juillet 2015 montre que nous avions raison. Cela faisait vingt ans que nous répétions que le Liban courait à la catastrophe sanitaire si l’on continuait avec ce système et, aujourd’hui, rien n’a changé. Les choses vont même de mal en pis».

 

Des ordures à la mer
Le 17 juillet 2015, le pays plonge dans la plus grave crise sanitaire jamais connue. La plus grande décharge du Liban, celle de Naamé, ferme ses portes, tandis que le contrat de la société Sukleen, chargée de collecter et traiter les ordures, arrive à expiration.
Si de nombreux spécialistes s’attendaient à ce scénario, c’est la première fois que le grand public libanais se heurte à ce problème cette fois sous son nez.
Aujourd’hui, ce n’est pas parce que les ordures ne sont plus sous le nez des Beyrouthins que la crise des ordures est finie. Bien au contraire, c’est un scandale d’une ampleur sans précédent qui se déroule pendant que les Libanais sont passés à autre chose.
Pendant la projection du film Lebanon 0 Waste, un drone aérien filme ce qu’on appelle dans le jargon «le parking» de la décharge de Bourj Hammoud, le lieu où sont entreposées les ordures qui, depuis la dernière fermeture de Naamé le 18 mai dernier, se retrouvent entassées là sans aucun traitement.
En attendant la construction de la digue censée protéger le littoral, ces ordures seront tout bonnement jetées à la mer. Sachant que 3 000 tonnes d’ordures y sont déposées chaque jour depuis le 18 mai, cela fera des milliers de tonnes d’ordures qui seront jetées dans la Méditerranée. L’appel d’offres pour la construction de la digue vient tout juste d’être remporté par la société de Jihad el-Arab. Il faudra au moins un an avant que la digue ne soit inaugurée. Ziad Abi Chaker et les spécialistes appellent à l’aide internationale pour empêcher la catastrophe sanitaire de s’étaler sur cette période.

 

Soraya Hamdan

La solution du gouvernement
Le pays attend, aujourd’hui, quatre incinérateurs. D’ici là, la solution gouvernementale prévoit une période temporaire de quatre ans qui porte sur le réaménagement des décharges de Bourj Hammoud/Bauchrié et de celle de Costa Brava, à Khaldé. La première devrait desservir les régions du Kesrouan, du Metn et une partie de Baabda, tandis que la seconde devrait accueillir les nouveaux déchets provenant de la banlieue sud de Beyrouth et de la région de Choueifate et de Aley. Les déchets provenant de la capitale administrative seront répartis entre ces deux décharges et celle de Saïda.
Pour Nagi Kodeih, expert en écologie, cette solution est un grand mensonge du gouvernement. Le Liban n’a pas besoin de cette option coûteuse et dévastatrice pour l’environnement et la santé des citoyens. Il n’est pas trop tard pour retrouver la nature qu’on a perdue et cela est possible en recyclant nos déchets.

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