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Nº 3065 du vendredi 5 août 2016

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Jihad international. Al-Nosra change de nom, mais quid de l’idéologie?

Annoncée il y a quelques jours, la décision du Front al-Nosra de rompre les liens avec al-Qaïda aura provoqué bien des remous. Jugée par de nombreux experts comme un simple changement de nom, la nouvelle est cependant un signe avant-coureur d’une transformation sur la scène du jihad international.

La rupture entre le Front al-Nosra et al-Qaïda est le fruit de divers facteurs à la fois externes et internes. En effet, à la mi-juillet, la Russie et les Etats-Unis ont débattu de la question relative à la mise en place d’un groupe de travail conjoint prévoyant des échanges de renseignements et une éventuelle coopération opérationnelle directe contre Jabhat al-Nosra, visant également à empêcher la Russie de cibler conjointement les zones contrôlées par l’opposition dite «modérée». Le nouveau partenariat russo-américain peut avoir contribué à l’officialisation rapide de la rupture du Front al-Nosra avec al-Qaïda. En effet, son leader Abou Mohammad el-Joulani a déclaré vouloir «retirer le prétexte utilisé par les puissances, y compris les Etats-Unis et la Russie, pour bombarder les Syriens».
De multiples facteurs relatifs à la politique interne du groupe semblent également avoir motivé la décision du leadership d’al-Nosra de se séparer de l’organisation mère. L’année dernière, de nombreuses discussions sur le sujet ont eu lieu entre les diverses branches du Front al-Nosra. Un de ses membres considéré comme plus «modéré», Abou Maria Qahtani, avait promu la «syrianisation» de l’organisation, selon des sources islamiques syriennes. «Les membres syriens d’al-Nosra, qui sont majoritaires, soutenaient le projet de rupture avec al-Qaïda», assure le cheikh Hassan Dgheim, un spécialiste des mouvances islamiques syriennes. Selon un article publié en mai dernier par le site Middle East Eye, al-Qaïda avait également envoyé en Syrie Rifaï Taha, un cofondateur du groupe militant égyptien al-Jamaa al-islamiya, pour tenter de mettre fin aux luttes intestines opposant al-Nosra et Ahrar al-Cham et les convaincre de renoncer au jihad international et coopérer avec d’autres factions.
Du point de vue idéologique, il est certain que le Front al-Nosra cherche toujours à imposer la charia en Syrie et ne renoncera pas pour le moment au projet commun des mouvances jihadistes visant l’établissement d’un Etat islamique. Mais cette décision est une première phase dans l’évolution de l’organisation et de sa soumission aux calculs plus pragmatiques de ses membres syriens. En effet, elle permet de consolider les alliances avec d’autres factions dites plus «modérées». Alors que certains groupes de l’Armée syrienne libre estiment la transformation du Front al-Nosra comme mensongère, le journaliste Ahmad Abi Zeid, interviewé par Magazine, considère qu’elle sera mieux perçue par les factions islamistes. L’initiative du Front al-Nosra a été également applaudie par des idéologues jihadistes influents tels que le Saoudien Abdallah Muheisini, le Jordanien Abou Mohammad Maqdessi et les salafistes d’Ahrar al-Cham. D’autres, comme Abu Hamza Hamawi, le chef de la faction salafiste Ajnad al-Cham, ont estimé que cette initiative pourrait rapprocher et même unir les militants. Une telle consolidation pourrait également s’étendre aux revenus financiers, le découplage avec al-Qaïda pouvant encourager les pays tels que la Turquie, le Qatar, ainsi que les bailleurs de fonds privés originaires des pays arabes, à financer l’organisation, alors que par le passé, ceux-ci avaient fait l’objet de sanctions américaines.
L’organisation pourrait être également, jusqu’à un certain point seulement, positivement affectée à long terme par la désertion de ses membres les plus radicaux. Le cheikh Dgheim souligne que, sur les trois derniers mois, plusieurs membres des groupes ont fait défection en rejoignant l’Etat islamique. Ce phénomène pourrait se confirmer par une désaffection des membres les plus radicaux, généralement représentés par les combattants étrangers, qui formeraient leur propre bataillon ou rejoindraient des groupes dits plus extrémistes comme Jund al-Aqsa et l’Etat islamique.
Jabhat al-Nosra a montré, une nouvelle fois, sa compréhension profonde des dynamiques locales et externes façonnant la guerre syrienne. Le «divorce» d’al-Qaïda met en exergue les priorités de l’organisation en Syrie, à savoir: survivre dans un environnement de plus en plus hostile en raison des défis externes et internes, tenter de consolider sa présence en rompant avec sa franchise al-Qaïda qui ne fait pas l’unanimité dans les rangs de l’opposition, tout en s’imposant comme une mouvance jihadiste majeure avec, en toile de fond, la lente désintégration de l’Etat islamique.
Cette politique reflète également une révision dans la stratégie d’al-Qaïda. La rupture formalise une dynamique mise en évidence depuis un certain temps déjà, les groupes affiliés à al-Qaïda se déparant de leur label international, tout en devenant de plus en plus locaux. La vision de cette organisation comme une franchise internationale a cédé la place à de multiples réalités en partant de la Syrie et en passant par le Yémen, en Afrique et au sous-continent indien. Le Front al-Nosra avait déjà abandonné la politique d’al-Qaïda visant un ennemi lointain (les Etats-Unis) en lui substituant l’ennemi proche soit les despotes arabes. Plus précisément, cela marque le début de la fin pour al-Qaïda en tant que marque mondiale. Le Front al-Nosra n’est en effet pas seul innovateur dans ce contexte, l’autre grande filiale d’al-Qaïda dans la péninsule arabique, ayant montré une indépendance et une autonomie grandissantes, n’a pas pour autant été officialisée.
Au-delà de toutes ces problématiques se trouvent des questions importantes au sujet de l’évolution future de la stratégie jihadiste dans le monde. La scission des deux groupes ne signale pas pour autant que le Front al-Nosra cherche à choisir la voie modérée ou à abandonner ses projets extrémistes, mais elle crée un nouveau contexte politique et social pouvant forcer à long terme le Front al-Nosra à s’adapter aux exigences des dynamiques locales syriennes.

Mona Alami

Un visage pour Joulani
Le 28 juin, le chef de l’organisation Abou Mohammad el-Joulani est apparu devant les caméras en déclarant «l’annulation complète de toutes les opérations sous le nom de Jabhat al-Nosra et la formation d’un nouveau groupe sous le nom Jabhat Fath al-Cham», notant que cette nouvelle organisation n’avait aucune affiliation à une entité externe. Presque en même temps, un commandant d’al-Qaïda, Ahmad Hassan Abou el-Khayr, a annoncé que la direction d’al-Nosra avait été chargée «de s’engager sur le chemin qui protège les intérêts de l’islam et des musulmans et ce qui protège le jihad, alors que le chef de la mouvance, Ayman el-Zawahiri, assurait que «la fraternité de l’islam est plus forte que tous les liens organisationnels qui changent et disparaissent».

Washington sceptique
La branche syrienne d’al-Qaïda, le Front al-Nosra, continue d’être considérée un «groupe terroriste» et une menace pour les Etats-Unis malgré sa rupture annoncée avec le réseau jihadiste, a indiqué l’Administration américaine. Les Etats-Unis «continuent d’estimer que les dirigeants du Front al-Nosra maintiennent leur intention de mener des attaques contre les pays occidentaux», a déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche, Josh Earnest.

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