Dans la conjoncture mondiale, la banque islamique pourrait-elle prendre un nouvel essor, compte tenu des taux d’intérêt nuls en vigueur dans des pays européens, ou serait-elle plombée par l’amalgame entre islam et terrorisme?
Dans la conscience collective, il y a une tendance à confondre islamisme, islam et terrorisme, tant en Europe qu’au Proche-Orient. En fait, il n’y a aucun lien. La banque islamique véhicule une finance conforme aux préceptes de la Charia qui n’engendre nullement le terrorisme. En Indonésie, où les banques islamiques enregistrent une croissance, il n’existe pas de terrorisme, alors que dans les pays où le terrorisme sévit, il y a peu de banques islamiques, comme c’est le cas en Syrie et en Irak. D’ailleurs, le terrorisme est prohibé par l’islam. La banque islamique connaît l’origine des capitaux qu’elle reçoit et leur destination finale. Elle surveille mieux qu’une banque traditionnelle la circulation des fonds. Une banque traditionnelle peut accorder des prêts sans savoir exactement où ces fonds vont aboutir. Notre métier est assimilé à des activités d’entrepreneuriat et de commerce. La banque islamique fonctionne sur base de la «murabaha» en investissant dans l’économie réelle. Elle est le maître d’œuvre du projet de développement pour le compte du client et distribue les bénéfices et profits tirés de ces projets aux déposants, selon un pourcentage fixé lors de la signature du contrat initial, en vertu duquel le déposant charge la banque de faire fructifier ses fonds.
Quels sont les avantages de la banque islamique?
Il y aura des opportunités d’inves-tissement ou de participation à des projets de développement, tant que l’économie réelle fonctionne, même si celle-ci connaît un ralentissement. Dans notre métier, il est rare que le déposant perde de l’argent lorsque la gestion des projets est sérieuse et prudente, le risque bien évalué et la diversification des placements assurée en termes de secteurs économiques, régions et pays. Il y a deux sortes de comptes dans la banque islamique: le compte courant «Amana», dans le cadre duquel la banque joue le rôle d’un coffre-fort pour le déposant qui retire de l’argent de son compte par chèque. L’autre compte est celui de l’«Istithmar», dans le cadre duquel le déposant charge le banquier de lui faire fructifier ses dépôts à ses propres risques et périls, sachant que la Charia interdit les taux d’intérêt et l’investissement dans les produits dérivés et les transactions spéculatives. Lors de la chute de la banque Lehman Brothers, en 2008, et la crise qui a suivi, aucune banque islamique n’a été affectée. Le cas de l’Arab Finance House-Liban est un cas de banque islamique où les déposants ont intenté un procès aux dirigeants de l’établissement, les accusant «de mauvaise gestion». Si le tribunal civil, devant lequel a été porté le procès, se prononce en faveur des déposants, l’Arab Finance House devrait restituer aux clients tous leurs fonds investis.
Les banques islamiques au Liban ne détiennent que 1% du marché total du secteur bancaire. Quelles en sont les raisons?
Pour le moment, l’environnement au Liban n’est pas encourageant pour ce métier. La loi qui a créé la finance islamique a mis des freins à son développement. La banque islamique ne peut recevoir des dépôts que pour une période minimum de six mois. Ce qui va à l’encontre de la mentalité du Libanais qui préfère les dépôts à terme d’un mois, même s’il ne les retire pas à l’échéance. Les banques islamiques souffrent également de l’imposition et des taxes, surtout en ce qui concerne l’éventail du prix du timbre à payer sur les contrats. A quoi il faut ajouter le passage obligé par le Conseil des ministres pour l’approbation de l’acquisition par la banque d’un terrain, une transaction fréquente pour cette catégorie d’établissements. Ceci dit, le Libanais musulman, même pratiquant, apprécie l’économie de la rente, soit l’encaissement de taux d’intérêt. Néanmoins, la Lebanese Islamic Bank donne aux petits et grands déposants un même pourcentage de profits, afin de les encourager à placer leurs dépôts auprès de l’établissement.
Chafic Moharram
Directeur général de la Lebanese Islamic Bank
Liliane Mokbel