Magazine Le Mensuel

Nº 3071 du vendredi 4 novembre 2016

Salon du livre

Sylvie Germain. La frontière floue entre l’homme et l’animal

Tantôt fantasque, tantôt réaliste, l’écriture de l’auteure de Magnus, pour décrire, dans A la table des hommes (Albin Michel), la violence prédatrice des hommes, nous empoigne fort. Interview.

Ce «roman» s’apparente au conte: crédible, vraisemblable, commence à partir de la réalité, fait décoller l’imaginaire, etc. Pourquoi ne pas l’avoir présenté comme un conte?
S’il a un aspect un peu fabuleux, ce roman reste ancré dans notre époque et porte un écho direct à des événements récents et terribles qui n’en finissent pas de se reproduire: l’intolérance et le terrorisme. Le roman autorise une très grande liberté et une diversité d’expression. Parfois, le recours au mythe, au légendaire, permet d’atteindre plus en profondeur ce qu’on considère réalité, de sonder sa part d’obscurité. La réalité est pétrie d’imaginaire.

Comment est née l’idée de ce livre?  
L’inspiration résulte d’un ensemble de phénomènes psychiques, tant conscients qu’inconscients, d’un faisceau d’impressions, de pensées encore floues, d’images, de souvenirs, de questions, de traces de lecture, de choses vues et entendues… Concernant ce roman, c’est le souci porté à la condition animale qui m’a donné envie d’écrire et de mettre en scène animalité et humanité.  

La personnalité de votre héros déclenche un cinéma dans la tête de celui qui le découvre. Cette approche est-elle une façon de s’évader de la réalité?   
Surtout pas! Le recours à la fable, au fantastique, vise une mise à l’arrêt et une mise à distance momentanées qui permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives sur la réalité, d’interroger les événements, de se reposer la question de l’humain, de ses agissements.

La frontière floue entre l’homme et l’animal dans votre roman crée une sorte d’ambiguïté sujette à interprétation. Quel était votre but?
Je n’avais pas de but précis, juste l’envie de me pencher sur le monde animal, sur le fond d’animalité qui perdure en l’humain et sur les relations entre eux. Je ne confonds pas l’homme et l’animal; la frontière entre eux est poreuse par certains aspects et plus délimitée et différenciatrice par d’autres. Mais les différences, aussi importantes soient-elles, ne doivent pas générer domination, exploitation et cruauté des uns à l’égard des autres. Ce qui m’intéresse, c’est ce que le monde animal a à nous dire, par sa simple existence, ce qu’il a à nous apprendre, par sa singulière et très diversifiée façon d’habiter cette Terre.

Votre écriture est poétique et ciselée. C’est quasiment une œuvre d’art. Quelle part de travail la relecture de votre manuscrit occupe-t-elle dans votre démarche d’écrivaine?
Je ne procède jamais par ces étapes: brouillon, relecture, reprises et corrections, nouvelle version… Je pars chaque fois d’une image mentale. Je me lance sans plan, sans synopsis, sans savoir ce qui va advenir. Je fais confiance à la cohérence (paradoxale!) de l’imaginaire. J’écris par à-coups, après parfois de longues attentes, de longs ressassements d’images, de mots, de phrases. Le brouillon et la relecture, c’est mentalement que je les accomplis.

Gisèle Kayata Eid

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