Inadéquation entre l’offre et la demande, baisse des transferts en provenance de la diaspora ainsi que du pouvoir d’achat des locaux, retrait des propriétaires arabes, chute des prix des matériaux de construction… Tous les indicateurs confirment une poursuite, voire un renforcement du déclin des prix de l’immobilier au Liban.
Pour Jihad el-Hokayem, analyste en finances des marchés, cela ne fait aucun doute: le Liban se dirige bel et bien vers un crash immobilier. Son analyse est très simple. La demande immobilière au Liban reposait, ces deux dernières décennies, sur trois facteurs: les ressortissants du Golfe, la diaspora libanaise (essentiellement composée de celle installée dans le Golfe et en Afrique) et la demande locale.
La première composante a non seulement disparu avec la crise syrienne et le boycott du Liban par les pays du Golfe, mais les propriétaires arabes, encore présents au Liban, chercheraient actuellement à revendre leurs appartements. «Ce qui, autrefois, était une composante de la demande vient aujourd’hui s’ajouter à l’offre déjà en surplus», explique
M. Hokayem.
En ce qui concerne la seconde composante de la demande immobilière au Liban, la diaspora, elle est affectée par la conjoncture internationale, notamment la baisse des prix du pétrole et la dépréciation de la monnaie nigérianne (le naira) et celle du Franc CFA (monnaie de certains pays de l’Afrique de l’Ouest) qui suit celle de l’euro.
Jihad el-Hokayem a étudié la corrélation entre l’évolution des prix du pétrole et celle des dépôts des non-résidents. Sa conclusion: les deux variantes sont dépendantes à plus de 80% avec un décalage de vingt mois. Entre 2001 et 2016, chaque fois que le prix du baril chute, les dépôts des non-résidents chutent également environ vingt mois après la baisse.
Les Libanais d’Afrique
La diaspora libanaise installée en Afrique est ainsi victime d’un érosion de son pouvoir d’achat, due à la baisse des prix du pétrole et à la dépréciation des monnaies. «Ces Libanais ne vont plus acheter au Liban; soit ils ont déjà acheté, soit la situation économique ne le permet plus, et ils se retrouvent dans une situation d’incertitude», précise le spécialiste. Quant à la diaspora installée dans les pays du Golfe, elle est aussi victime de la conjoncture de ces pays en berne. «Beaucoup de Libanais y sont licenciés ou attendent d’être licenciés et ne savent pas ce qui les attend», souligne Jihad el-Hokayem qui fait notamment référence aux difficultés de l’Arabie saoudite.
Résultat: la demande immobilière ne repose plus uniquement sur la demande locale qui, pour la grande majorité, n’a pas les moyens d’investir dans les biens proposés actuellement sur le marché.
Enfin, selon l’économiste, un autre facteur pourrait bien jouer en faveur d’une chute des prix de l’immobilier au Liban. Il s’agit de la hausse possible des taux d’intérêt aux Etats-Unis, qui pourrait entraîner l’augmentation des taux d’intérêt au Liban (Etant dollarisée, la politique monétaire libanaise dépend de celle des Etats-Unis). Cela aurait de lourdes conséquences sur le secteur foncier, car ferait augmenter le coût de l’emprunt.
Matériaux moins chers
Par ailleurs, le faible rendement sur la location décourage l’investissement, puisqu’il est aujourd’hui plus rentable de déposer son argent à la banque. «Le rendement sur la location devrait être supérieur à celui sur les dépôts bancaires, car il doit prendre en compte une prime de risque, explique M. Hokayem. Or, aujourd’hui, c’est le contraire qui est observé: le rendement sur la location est plus que 40% inférieur à celui des taux d’intérêt sur les dépôts à terme (liés aux bons du Trésor)».
Dernier facteur susceptible de tirer les prix vers le bas: les constructeurs négocient actuellement les prix des terrains et construisent à moindre coût avec la baisse des prix des matériaux de construction.
Dans ce contexte, la question se pose alors de savoir pourquoi l’activité de construction se poursuit-elle à ce rythme, alors que le marché est en pleine transformation?
«Les promoteurs immobiliers sont dans le déni et pensent que l’élection du nouveau président et une amélioration de la situation politique au Liban changeront la donne sur le marché immobilier. Mais je ne le pense pas, car le blocage politique n’est qu’un facteur parmi tous les autres cités précédemment, qui peuvent expliquer une dévaluation des prix de l’immobilier, ajoute l’économiste. On avait un président au début de la guerre en Syrie et cela n’a pas fait une grande différence sur le plan immobilier».
Selon Jihad el-Hokayem, la baisse des prix de l’immobilier ne fait que commencer et il ne s’attend pas à une reprise avant 2023.
Soraya Hamdan