Au Liban, moins de 10% des déchets sont recyclés tandis que 50% sont enfouis. Selon les estimations des experts, au moins 80% des ordures pourraient être transformées et/ou réutilisées. Que représente le secteur du recyclage? Quel est son potentiel? Pourquoi importe-t-on des matières premières alors que le pays croule sous les déchets? Enquête.
Chaque année, le Liban produit 2,7 millions de tonnes de déchets. Sur ce total, entre 216 000 et 220 000 tonnes seulement sont recyclées, soit moins de 10%», explique Antoun Andréa, consultant en développement et un des auteurs du rapport Wasteless Lebanon de UN Habitat avec la fondation Muhanna.
Pourtant, la composition de la poubelle libanaise permet une réutilisation presque totale des déchets. Les déchets organiques, donc compostables, composent 53% de l’ensemble, les matériaux recyclables (papiers, cartons, plastiques, métaux), 36%, les 11% résiduels (déchets inertes) pouvant être, quant à eux, transformés.
Au total, pratiquement entre 80% et 100% des détritus locaux pourraient connaitre une seconde vie et générer ainsi de nombreuses opportunités économiques, selon le rapport sur la gestion des déchets solides au Liban, établi en 2014.
Malgré ces chiffres, en 2014, 48% des rebuts étaient toujours enfouis et 29% se retrouvaient dans des décharges sauvages: au bord des routes, dans les vallées, dans les lits de fleuves…
700 tonnes de déchets plastiques. La question se pose alors de savoir pourquoi plus de 80% de nos ordures sont tout bonnement jetées au lieu d’être réutilisées? A-t-on les capacités de les traiter?
A l’heure actuelle, il n’existe au Liban qu’une seule usine de recyclage de plastique PET (polyéthylènetéréphtalate: en général les bouteilles en plastique et certains contenants), qui emploie 80 personnes dans la Békaa. Une soixantaine d’usines de recyclage de plastique HDPE (polyéthylène haute densité plastique: emballages de produits ménagers, shampoings, détergents) couvre le pays avec au total entre 600 et 700 emplois à la clef.
Or, le Liban produit tous les jours 700 tonnes de déchets plastiques de ce type mais n’a la capacité que d’en recycler 80 tonnes. «Nous avons besoin de deux usines supplémentaires de recyclage PET d’une capacité de 10 000 tonnes par mois», estime Ziad Abi Chaker.
En ce qui concerne le verre, il n’existe aujourd’hui qu’une seule usine qui traite le verre transparent: Soliver. Elle emploie actuellement 300 personnes et risque, selon des sources informées du dossier, de fermer ses portes prochainement. Le Liban produit aujourd’hui 200 tonnes de verre transparent par jour, et n’a la capacité d’en traiter que 60.
Quant au verre coloré, il n’existe aujourd’hui, aucune usine susceptible de réutiliser la production locale. Maliban, l’usine de recyclage de ces matériaux, bombardée en juillet 2006, n’a pas été remplacée. Elle fournissait 60 millions de bouteilles de verre par an aux producteurs de bière et de vin. Aujourd’hui, au moins la même quantité de bouteilles est importée.
Soliver fournissait (l’usine devait fermer ses portes fin janvier) 40 000 tonnes de verre par an à l’industrie agroalimentaire, dont les besoins s’élèvent à 70 000 tonnes par an pour son packaging (producteurs de bière et de vin). Le déficit s’élève donc aujourd’hui à 70 000 tonnes.
Pour le papier et le carton, cinq usines existent aujourd’hui au Liban (Sicomo, Unipak, Solicar, Sipco, Mimosa), chacune employant directement une centaine de personnes. Le Liban produit 900 tonnes de papiers et carton par jour mais ne peut en recycler que 500.
Les métaux libanais sont, quant à eux, exportés, en l’absence d’usines en activité au Liban recyclant ces matériaux. La quinzaine d’usines de préparation à l’export a la capacité d’exporter 300 tonnes de métaux par jour.
Dix mille tonnes de compost. Les déchets organiques, composant la grande majorité de la poubelle libanaise peuvent être transformés en compost. «C’est encore un marché embryonnaire au Liban: même si plus de 10 000 tonnes de compost sont consommées chaque année, la grande majorité est importée. Entre 2011 et 2015, le Liban a ainsi importé 64 000 tonnes de compost, pour un coût de 18 millions de dollars», explique Ziad Abi Chaker. Le compost importé revient cher aux agriculteurs locaux: entre 250 et 350 dollars la tonne.
«Depuis les années 1950, les agriculteurs libanais utilisent des engrais chimiques par manque d’alternative». Pour Antoine Abou Moussa, consultant en environnement et gestion des déchets, «le problème réside dans l’inexistence d’une production locale haut de gamme économiquement compétitive avec la qualité à l’import, notamment en raison de l’absence de tri à la source.»
A la suite de la crise des poubelles, l’entrepreneur a ainsi fondé Compost Baladi, en guise de solution partielle à cette problématique épineuse. Cette entreprise sociale travaille avec des municipalités prêtes à faire le tri à la source, des restaurants, des primeurs, des supermarchés. Antoine Abou Moussa récupère ces déchets organiques pour en faire un compost «propre», vendu à moitié prix par rapport à celui qui est importé. «Nous prévoyons, au départ, le traitement de 20 tonnes de déchets organiques par jour, qui donneront 10 tonnes de compost quotidien», explique-t-il.
Economie verte. Alors que le gouvernement attend aujourd’hui quatre incinérateurs censés conditionner les ordures libanaises d’ici quatre ans, tous les experts scientifiques interrogés, soulignent le potentiel pourtant immense du Liban, pour devenir une véritable économie verte, si volonté politique il y a, pour surmonter les obstacles auxquels fait face l’industrie du recyclage au Liban. Non seulement l’incinération est une technique susceptible d’entraîner des émissions polluantes, dangereuses pour la santé et l’environnement, mais aussi, elle n’est pas adaptée au traitement des ordures ménagères, très humides car en majorité organiques, difficilement incinérables. Par ailleurs, vu la petite taille du pays, l’enfouissement ne peut non plus être considéré comme une solution à long terme.
La valorisation des déchets, à travers une décentralisation et une création de centres de tri et de traitement municipaux à l’échelle du pays, pourrait bien constituer, selon Ziad Abi Chaker, une solution à long terme,
qui représenterait un marché de 300 millions de dollars.
Le spécialiste travaille actuellement sur un plan alternatif de gestion des détritus, fondé sur cette décentralisation, qu’il compte proposer bientôt aux différentes municipalités. Ce plan prévoit la création d’usines de traitement et de tri des déchets de manière délocalisée. La municipalité prendrait en charge la collecte des ordures et l’acheminement vers ces centres. Mais c’est le secteur privé qui sera invité à financer la construction. C’est là que les ordures seront triées, l’organique composté sur place, tandis que le recyclable sera préparé à être acheminé vers les centres de transformation.
Une usine pourrait traiter entre 50 et 100 tonnes de déchets, ce qui desservirait entre 100 000 et 200 000 habitants. La première localité libanaise à être devenue «0 Waste» est Beit Mery, où une usine a vu le jour, moyennant un demi-million de dollars, avec une capacité de traitement de 15 à 20 tonnes/jour de déchets (30 000 habitants). A quand une généralisation à l’ensemble du pays?
Des emplois pour 7 000 familles
Pour Sami Raphaël, responsable des opérations à Solicar, l’une des usines de recyclage du papier et carton au Liban, «la capacité de traitement et de production des industriels du recyclage du papier et carton au Liban est nettement supérieure à la quantité de matières premières récupérées. Les ordures étant mal triées, une grande quantité de carton et papier se retrouve alors enfouie au lieu d’être revalorisée. Pourtant, papiers et cartons représentent au Liban 17% des déchets et les cinq usines concernées emploient quelque 7 000 familles. Le gouvernement doit mettre en place des mesures nécessaires pour soutenir le secteur et l’aider à surmonter les coûts de production élevés et à faire face à la concurrence déloyale de certains autres pays», ajoute le professionnel.
Soraya Hamdan