Magazine Le Mensuel

Nº 3075 du vendredi 3 mars 2017

Société

Harcèlement sexuel. Bientôt une loi?

Réflexions et propos déplacés, gestes inappropriés ou attouchements…Le harcèlement sexuel bénéficie encore d’une impunité patente au Liban. Le projet de loi présenté par le député Ghassan Moukheiber pourrait changer la donne.

«Tu as de belles jambes», m’a-t-il chuchoté à l’oreille en posant sa main sur mon genou, alors que je me présentais pour un stage dans son cabinet d’avocat. Commentaire qui ne pouvait que donner lieu à une suite pénible et accablante », confie C.H. L’homme insiste, en envoyant à la jeune femme des sms, des images à connotation sexuelle. «A maintes reprises, il tentait de me toucher», poursuit-elle. De son côté, T.J. explique qu’avant de postuler pour un emploi de présentatrice dans l’une des chaînes télévisées libanaises, des rumeurs circulaient déjà sur le caractère pervers de son Pdg. Des bruits de couloirs qui se confirment lors de l’entretien d’embauche.  « Il m’a assuré que je ne décrocherais ce poste que si je cédais à ses avances, ce que j’ai évidemment refusé, renonçant ainsi à un métier qui me faisait tant  rêver », affirme T.J. A ces témoignages, d’autres, différents, leur font écho. Comme ce jeune homme de 24 ans, victime du harcèlement de la part d’un prêtre homosexuel, ou cette patiente de 36 ans qui tente de résister en vain à l’insistance frénétique de son psychologue. Ce genre de situation est fréquent au Liban, comme ailleurs. Mais ici, jusqu’à présent, aucune loi libanaise ne protège les victimes du harcèlement sexuel.

Responsabilité pénale
Déterminé à changer cet état de fait, le député Ghassan Moukheiber définit le harcèlement sexuel comme «tout acte qui aurait un caractère choquant, répétitif ou soutenu, tendant à forcer, via des paroles, des actions ou des insinuations à caractère sexuel, toute personne à y céder, sans son consentement. Cela conduit à porter atteinte à la dignité de la personne harcelée, de par la nature de ces actes ou de leurs circonstances professionnelles ou embarrassantes ». Le projet de loi, qu’il a présenté en début d’année devant le Parlement, précise également que «les peines seront renforcées dans les situations où le harcèlement sexuel venait à être opéré sur un mineur, une personne handicapée ou une personne en situation de soumission sociale, économique, professionnelle». Dans ce dernier cas (situation de soumission), la condition de l’absence de consentement n’est pas requise, précise Ghassan Moukheiber à Magazine, expliquant qu’une personne considérée en état de soumission, même consentante, est, de fait, sous l’emprise de son agresseur. Le délinquant est donc tenu pour responsable, même s’il y a consentement de la victime. Bien qu’ayant obtenu l’avis favorable de plusieurs députés, notamment ceux du Hezbollah, ainsi que de celui du ministre d’Etat pour les Affaires de la femme, Jean Oghassabian (contrairement à ce qui a été dit dans la presse, concernant des réserves venant de sa part), le projet de loi Moukheiber a néanmoins fait l’objet de controverses. Certains politiciens et juristes ont soulevé les conséquences «néfastes» que pourrait engendrer la notion de consentement ou de non-consentement de ladite victime dans une situation de soumission. En effet, le texte ne requiert pas que la victime manifeste une quelconque opposition à son agresseur pour que la qualification de délit soit posée. Ce qui pourrait donner lieu à des abus de droit, selon certains. En effet, à ce moment là, toute personne se trouvant en état de «soumission» pourrait accuser à tout moment son «supérieur hiérarchique» de harcèlement sexuel. Conscient des possibilités pour chacun d’abuser de la loi à mauvais escient, Ghassan Moukheiber rétorque que «tout droit peut conduire à des abus et qu’il appartient à chaque plaignant, de prouver les faits qu’il allègue». Cela signifie que si les éléments du délit (pressions graves, choquantes et répétitives, dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles, portant atteinte à la dignité humaine) ne figurent pas dans la plainte, le juge pourrait considérer qu’aucun délit n’a été commis. Et disculper ainsi la personne poursuivie.

Un autre texte en préparation
«Ce texte permet de renforcer la protection de la victime dans une situation de sujétion. Il convient de noter que tout juge doit aussi être juge de l’abus de droit», souligne le député. Son projet de loi, qui concerne tout individu (quels que soient son sexe, sa nationalité, son âge, etc.),  prévoit des dispositions particulières dans le cadre de l’emploi public, du Code du travail et du droit pénal. Il exige également que tous les employeurs inscrivent dans le règlement intérieur de l’entreprise des dispositions visant à prévenir le harcèlement sexuel et à le sanctionner dans le cadre du travail. A la question de savoir pourquoi cette loi, qui concerne non seulement le harcèlement sexuel mais aussi les atteintes à caractère raciste, n’a toujours pas été votée, Ghassan Moukheiber répond que le Parlement a admis le caractère d’urgence du texte mais souhaite en débattre.
Par ailleurs, rappelons que le ministre des Affaires de la femme, Jean Oghassabian, avait, de son côté, préparé un autre texte, qui n’a toutefois pas encore été transmis au Conseil des ministres. Ce projet de loi conserve le même esprit que celui émis par Ghassan Moukheiber. Leurs projets de loi présentant de nombreuses similitudes, Oghassabian et Moukheiber se sont concertés et ont fusionné leurs textes. Reste à savoir quand ils seront étudiés par le Parlement, qui avait accordé aux deux hommes un délai pour le finaliser.

Un site pour dénoncer
Il n’existe pas au Liban d’association qui s’occupent, à proprement dire, de cas de harcèlements sexuels. Cependant, inspirées par l’organisation Harass Map qui a vu le jour en Egypte à la suite de nombreux cas d’agressions sexuelles lors des manifestations place Tahrir, trois jeunes Libanaises ont lancé, à leur tour, une plateforme pour «signaler et dénoncer ce type d’abus». Harass Tracker voit le jour et comporte une carte détaillée interactive de Beyrouth et de ses banlieues. Pour signaler une agression, il suffit de remplir un formulaire disponible au bas de la page d’accueil, en répondant aux questions suivantes: Quel est le sexe de la victime? De l’agresseur? Le lieu où s’est produit le harcèlement? Le lien qui unit les protagonistes? Une fois validées, les informations fournies signalent le délit sur la carte.
www.harasstracker.org

Natasha Metni

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