Magazine Le Mensuel

Nº 3079 du vendredi 7 juillet 2017

Point final

Un dialogue naturel qu’on gagnerait à valoriser

Chercheure et professeure d’université, j’explore depuis une quinzaine d’années les lieux de culte au Liban, chrétiens et musulmans, en m’émerveillant devant le dialogue naturel islamo-chrétien, la solidarité interreligieuse qu’on peut observer en ces lieux…
Oratoires, chapelles, monastères, mosquées, maqâms, mazars, témoignent de l’importance du culte des saints dans la culture libanaise. Cette géographie sacrée ne cesse de se développer et d’évoluer et la visite de dévots chrétiens ou musulmans, venus des alentours ou de loin, anime quotidiennement les lieux de culte, du plus modeste oratoire au grand sanctuaire.
En marge des pèlerinages qui s’inscrivent dans le cadre de calendriers liturgiques, des fidèles de toutes confessions se livrent à des visites pieuses, les «ziyarats», orientées vers divers lieux de culte, et adoptent des pratiques dévotionnelles presque identiques. Ces pèlerinages, à la recherche de la «baraka», des bénédictions, se sont répandus, exprimant la piété des gens et leur besoin de mettre leurs problèmes quotidiens en rapport avec Dieu, en dehors des formes de l’orthodoxie chrétienne et musulmane, qui peuvent les condamner.
Mes observations s’intéressent à la dimension sociale du culte des saints qui ouvre une des voies vers un dialogue naturel. A travers les démarches dévotionnelles, nous pouvons observer la sublimation des barrières entre les classes sociales et les appartenances religieuses.
Dans ces lieux de culte, se vit une convivialité interconfessionnelle propice à la construction d’identités, locale et nationale, auxquelles tant de Libanais ont du mal à croire.
Le pèlerinage est un cheminement vers un lieu sacré qui aboutit à une «rencontre» avec le saint (sahib al-maqâm, al-mazar), vécue à travers une série de rituels et de pratiques dévotionnelles. Même si ce n’est pas l’objectif initial de la démarche, c’est aussi une «rencontre» avec «l’autre», pour le chrétien avec le musulman et pour le musulman avec le chrétien.
Les pratiques interreligieuses observées ne nécessitent pas une participation réelle à l’univers religieux de l’«autre», mais une participation à un univers «partagé». Les chrétiens et les musulmans, dans le cadre de leurs visites votives, ne vont pas chercher à cacher leur appartenance religieuse, à prier différemment; ils vont tout simplement pratiquer des démarches votives recommandées comme efficaces pour répondre à des besoins. Chaque pèlerin participe à la religion de l’autre sans rien céder de sa propre identité.     
Que de fois les croyants nous ont répété «Allah wahad» (il n’y a qu’un Dieu)  ou encore «Kol al Qodisin fiyon al barakeh» (tous les saints sont porteurs de grâces). A travers les sanctuaires, les saints opèrent des miracles avec les chrétiens et les musulmans sans distinction.  
Ces dévotions ont contribué à maintenir un dialogue entre les fidèles des différentes communautés même durant les moments les plus difficiles de la guerre. Les pèlerins se côtoient et échangent dans une atmosphère cordiale et pacifique, sans artifice, souvent loin des tensions de la réalité libanaise, même s’il n’est pas dit que ce dialogue se maintienne toujours dans la vie quotidienne, en dehors des pèlerinages. Malgré les blessures de la guerre, les Libanais veulent encore croire au vivre-ensemble, «al ‘aych al mouchtarak» qui s’inscrit dans le cadre du «dialogue de vie».


Nour Farra-Haddad;
USJ, UL, AUST –
Docteur en Anthropologie religieuse et consultante en tourisme religieux.

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