Magazine Le Mensuel

Nº 3080 du vendredi 4 août 2017

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Reconstrution de la Syrie. Quel rôle pour le Liban?

Bien qu’une solution au conflit syrien ne soit pas encore en vue, le régime du président Bachar el-Assad et les organisations internationales échafaudent déjà les projets de reconstruction du pays sinistré. Le Liban pourrait profiter des immenses chantiers en perspective. Dans quels domaines et dans quelle mesure?                                         

Le Liban aura certainement une place dans le chantier de la reconstruction de la Syrie pour de multiples raisons, dont la proximité géographique. Cependant, il ne sera pas le seul à profiter de cette gigantesque manne. La communauté internationale fait de la reconstruction de la Syrie une de ses priorités dans sa vision économique pour l’avenir.
Le coût du chantier syrien est colossal pour qu’une seule partie en assume la charge et, par conséquent, en recueille les dividendes. Des villes entières ont été complètement détruites, comme Alep, et les infrastructures sont hors d’usage. La Banque mondiale estime les pertes de la Syrie sur base d’une constance des prix en 2010 à 226 milliards de dollars sur la période 2011-2016, soit l’équivalent de quatre fois le PIB de la Syrie en 2010, sachant que ce PIB a régressé de 63% entre 2011 et 2016. Par ailleurs, le rapport de la BM indique que la reprise en Syrie serait de plus en plus difficile si le conflit venait encore à se prolonger. Dans le cadre d’un scénario d’une fin de la guerre dans sa sixième année, le trou du PIB serait comblé à 41% durant les quatre années suivantes.
Comme chaque année depuis six ans, la communauté internationale s’est réunie en avril dernier à Bruxelles sous le thème de l’aide à la Syrie. Les discussions ont porté sur les moyens d’accroître l’aide aux réfugiés syriens et aux pays hôtes, ainsi que la reconstruction de la cité antique de Palmyre. La tenue d’une conférence d’après-guerre aurait été également évoquée. «Celle-ci ne serait un succès que si elle s’inscrit dans le contexte d’une réelle transition inclusive dont tous les Syriens seraient bénéficiaires», lit-on dans le communiqué final. Toujours est-il que la principale problématique demeure celle du financement des travaux, des identités des pourvoyeurs de fonds et des conditions qu’ils posent à l’octroi des crédits nécessaires.                                                            
Le Hong Kong de la Syrie. Situé entre la Méditerranée et certaines provinces syriennes dévastées comme Homs, Alep et Damas, le Liban pourrait devenir l’une des plus importantes plateformes pour la reconstruction de la Syrie. Les avantages compétitifs du pays du Cèdre confortant cette thèse sont l’existence d’une longue frontière terrestre et maritime commune, une langue commune et deux accords de libre échange. Selon Nabil Sukkar, directeur du Bureau consultatif syrien pour le développement et l’investissement, il y a quinze ans, lorsque la Syrie avait commencé à libéraliser son économie, le Liban représentait le Hong Kong de son voisin.
M. Sukkar souligne que de nombreuses affaires étaient conclues au pays du Cèdre pour servir le marché syrien, un scénario qui pourrait facilement se répéter lors du processus de reconstruction. Cette hypothèse a été clairement abordée par le Premier ministre Saad Hariri lors de sa visite fin juillet à Washington, où il a rencontré le président Donald Trump et plusieurs autres responsables américains. Les sources ont estimé que cette visite s’inscrivait dans le concept de la diplomatie économique.                                  

Joint-ventures
Interrogé par Magazine, Jacques Sarraf, président honoraire de l’Association des industriels, conçoit des joint-ventures auxquelles seraient associées des entreprises libanaises, fortes de leur savoir-faire et de leurs ressources humaines qualifiées, des firmes syriennes, fortes de leur connaissance profonde du terrain, et des méga-sociétés russes, la Russie étant le curateur de la Syrie. «Une coopération entre Libanais et Alaouites ne pose aucun problème à la frontière nord du pays. Une coopération est de même possible avec les sunnites à la frontière est du Liban», dit-il, avant d’ajouter: «Le processus de coopération dépendra de la structure géopolitique de la Syrie d’après-guerre, d’une part, et des sources de financement, d’autre part.»
Pour Fouad Zmokhol, président du RDCL World, «ce projet impressionnant est dans l’esprit et la ligne de mire de tous les chefs d’Etat du monde, une priorité pour toutes les administrations des grandes puissances, présent dans tous les discours en rapport avec le conflit syrien, fait partie des discussions de tous les diplomates des ambassades des pays avoisinants, et, surtout, reste la priorité absolue de toute les délégations qui nous rendent visite depuis plusieurs années.»
M. Zmokhol insiste: «Ce n’est un secret pour personne que les «mains invisibles», qui sont les «architectes» des conflits, les plus grands exportateurs d’armes, sont aussi les principaux ingénieurs de la reconstruction, les premiers banquiers du financement».
De son côté, Bassem Ajjaka, expert-économiste, considère que l’émergence en ce moment de l’examen du projet de loi de partenariat public-privé (PPP) au Parlement n’est pas une simple coïncidence et s’inscrirait dans le contexte des mesures que l’Etat libanais souhaite adopter afin de faciliter l’implication des entités libanaises dans la reconstruction de la Syrie à travers, notamment, l’accélération de la réhabilitation de l’infrastructure et de la logistique au pays du Cèdre. Au passage, il rappelle la présence de bases militaires américaines et russes déjà installées dans différentes régions syriennes et qui seraient des acteurs concurrentiels sur le plan de la logistique du transport des équipements lourds de leurs sociétés. Enfin, Bassem Ajjaka préconise des exemptions fiscales en faveur des sociétés libanaises et étrangères qui installeraient leur quartier général au Liban pour la reconstruction de la Syrie.                                                                                 

Tripoli, un hub
En partenariat avec la Banque mondiale, la Banque islamique de développement et certaines entités de l’Onu, le gouvernement libanais planche sur l’examen de plusieurs initiatives susceptibles d’aider le Liban et la Syrie à encourager l’échange commercial bilatéral et les investissements étrangers. Anticipant la signature de contrats lucratifs dans le cadre de la reconstruction, l’Unido soutient les chantiers en cours pour la création de trois zones industrielles situées dans la plaine de la Békaa, au Liban-Nord et au sud de la région du Chouf, où des firmes industrielles pourraient s’installer et satisfaire la demande du marché de Damas. Dans la foulée s’inscrit le financement par la BM de la réhabilitation de 700 km de route Liban-Nord. A l’heure actuelle, Tripoli serait devenue la principale voie d’approvisionnement de la ville de Homs et un hub vital pour la reconstruction à venir de la Syrie. Un autre atout s’ajoute à Tripoli, celui de son port, qui bénéficie d’une position géostratégique et qui connaît depuis 2012 un énorme chantier d’agrandissement. Selon Ahmad Tamer, président du port de Tripoli, il n’y aurait aucun port syrien pour le moment qui soit prêt sur un plan logistique à accueillir les grands navires. Le tirant d’eau du port de Tripoli est d’environ 15,5 mètres et serait en passe d’atteindre une profondeur de 17 mètres. De plus, l’itinéraire du transport routier des marchandises déchargées au port de Tripoli ne comprend que des routes droites pour atteindre Homs. Par ailleurs, ce port possèderait l’avantage de travailler en tandem avec la zone économique spéciale située à proximité de la mer, qui nécessite un financement de près de 30 millions $ pour son achèvement. Autre projet ambitieux encore à l’étude pour le nord du Liban: l’édification d’une ligne de chemin de fer d’une longueur de 30 km reliant Tripoli à la frontière commune avec la Syrie.

Financement et banques
Les banques libanaises sont prêtes pour la reconstruction de la Syrie. Malgré la guerre qui a dévasté ce pays, elles ont maintenu leurs structures et installations sur place. Certes, ces établissements de crédits ont réduit leurs opérations mais ils ont continué à fonctionner. Une seule banque libanaise s’est retirée rapidement du marché syrien tout en préservant sa licence d’exploitation. Elle a considéré que tout emprunt non remboursé dans les délais était une dette non performante. Mais les autres établissements ont pris leur temps pour recouvrer les avances accordées aux agents du marché syrien et, au bout du compte, leur patience se sera avérée payante. La coopération entre les secteurs bancaires libanais et syrien, qui étaient détenus par le secteur public, s’était renforcée après l’ouverture économique entamée par la Syrie. A la demande du gouverneur de la Banque centrale syrienne Adib Mayali, la Banque du Liban (BDL) a apporté son expertise pour jeter les fondements d’un secteur financier moderne en Syrie. Le secret bancaire, qui est en vigueur au Liban depuis 1956, a été dupliqué, les dispositions du Code de la monnaie et du crédit ont été largement reprises et plusieurs règlementations bancaires syriennes ont été même plus permissives que celles appliquées au Liban. En fait, les banques libanaises opérant en Syrie n’ont pas enregistré de pertes grâce à une règlementation concernant les fonds propres entièrement versés en devises étrangères.

Assureurs et réassureurs
Les agents libanais de l’industrie de l’assurance implantés avant le déclenchement de la guerre en Syrie n’ont pas suspendu leurs opérations bien que celles-ci aient reculées d’une manière significative. La déconsolidation avec leur maison mère à Beyrouth pour des raisons techniques n’a donc pas changé leur stratégie et vision du travail en Syrie, confie à Magazine une source du secteur, qui a dénombré près de sept opérateurs libanais associés à des partenaires syriens. Cette source affirme que les opérateurs n’ont souffert d’aucun défaut de paiement de leurs clients, les commerçants syriens étant de «bons payeurs». En réponse à une question, la source précise que, depuis le début du cycle de violence, les compagnies d’assurance en Syrie ont été contraintes de travailler avec des réassureurs d’envergure régionale, les sociétés internationales de réassurance s’étant retirées du marché. Il précise que les polices souscrites sont surtout en rapport avec le transport maritime et terrestre de marchandises.

Les industries
Les industries libanaises espèrent avoir une «part du gâteau» syrien, mais sont conscientes de la compétition des grandes industries de masse dans la région, notamment en Egypte et en Turquie, qui se frottent déjà les mains. Il sera crucial de travailler en groupe, et non individuellement, dans ces projets à grand budget. Il faudra créer des synergies, des joint-ventures, des accords de coopération locaux et internationaux, pour espérer acquérir certaines parts de marché. Le secteur privé libanais se prépare chaque jour un peu plus pour cette reconstruction espérée, car son avant-gardisme fait partie de ses traditions et est toujours présent dans ses gènes… Mais l’optimisme reste précaire et fragile, car on connaît bien les défauts et les points faibles des Libanais, et, surtout, on sait que lorsque les «grands» sont de la partie, les plus «petits» devront attendre leur tour.

«La porte de la Syrie sur le monde»
C’est dans un hôtel de Beyrouth que s’est tenue, en mars dernier, la troisième présentation de l’exposition pour la reconstruction de la Syrie, qui se tiendra à la Foire internationale de Damas du 19 au 23 septembre. A cette occasion, le ministre de l’Industrie Hussein Hajj Hassan a encouragé les entreprises libanaises à participer à cet immense chantier en perspective. Un représentant du ministère syrien des Travaux publics, Fida Youssef, a affirmé à l’AFP que «nous sommes venus pour appeler tous les amis et frères à venir en Syrie et à découvrir les perspectives d’investissement dans la prochaine phase».
Un homme d’affaires syrien, Tamer Yaghi, s’était montré optimiste lors de cette réunion. «Le Liban représente pour la Syrie la porte d’entrée du monde extérieur et les hommes d’affaires libanais doivent profiter de cette opportunité», avait-il dit à la presse. «Nous devons profiter de l’expérience des entreprises et des entrepreneurs libanais qui ont connu eux aussi la guerre et de l’expertise du secteur bancaire et des assurances libanais», a-t-il ajouté. Le président Bachar el-Assad avait évalué, en 2016, les destructions dues au conflit à plus de 200 milliards de dollars.

Liliane Mokbel

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