Magazine Le Mensuel

Nº 3084 du vendredi 1er décembre 2017

Livre

Dimitri Nasrallah. Niko, d’exil et de drames

Niko, paru aux éditions La peuplade, (Québec), est un livre sur l’immigration et ses affres. Et c’est tout dire. On entre dans ce roman comme on pénètre dans une caverne, en s’enfonçant toujours plus et sans savoir quand la sortie s’annoncera. 
 

Avec un mélange d’appréhension et d’espoir, beaucoup de courage et très peu de temps pour la nostalgie, Niko et son père, chassés du Liban par la guerre, vont évoluer sous la plume de ce jeune Libano-canadien lui-même émigré, sur 400 pages haletantes. Une fiction qui nous prend à la gorge, glissant sur le vraisemblable, pour nous rappeler que la recherche de l’identité, la mort, les parcours brisés, les illusions ne sont pas des mots en l’air. Niko est une fresque, in vitro, de la situation de tous ceux qui sont forcés de quitter leur douillet chez-soi pour l’aventure, la misère, le déracinement et cette quête inlassable de devenir quelqu’un quelque part. 
Dimitri Nasrallah, après dix ans d’errance, s’installe au Canada où il écrit son premier roman Blackbodying. Mais c’est surtout «à la suite d’un voyage au Liban, après 27 ans d’absence que j’ai eu le courage de terminer Niko (qui lui a pris six ans avant de paraître en 2011 en anglais), dans lequel j’expose à fond tous les problèmes liés à l’immigration et qui ont tant marqué ma vie».
Les quatre personnages principaux de ce roman (dont les parents adoptifs de Niko, eux aussi émigrés) sont meurtris par les difficultés et les obstacles. À aucun moment la tension ne se relâche. Une tristesse profonde se dégage de leur histoire. «C’est délibérément prémédité et contrôlé. J’ai voulu que chaque lecteur palpe réellement cette tristesse».  Mais sans répit, avec des scènes, des tragédies, des évènements palpitants? «Oui, j’ai longtemps travaillé sur le rythme du texte, de façon à ne donner aucune chance au lecteur de s’arrêter pour réfléchir. J’ai découvert que quand nous sommes témoins de parcours de vie essoufflés, quand nous voyons des fardeaux s’accumuler et égratigner la dignité, nous ressentons alors une forte compassion et beaucoup de peine à l’égard de ceux qui les subissent. J’ai décidé depuis le début que cette histoire devait être racontée d’un trait, du début à la fin, et que c’est la façon la plus efficace de refléter mes thèmes et mes personnages. Les seules longueurs de cette histoire sont des monologues intérieurs. Le lecteur retient seule l’intensité des images.»  

RECOMMENCER, TOUJOURS
Pourtant il y a un élément invraisemblable qui se glisse dans ce roman si proche de la réalité… «L’infortune de Baba rappelle L’Odyssée d’Homère. Avec elle, le roman s’élève à un autre niveau. Celui de croire qu’une personne, si malmenée par ses mauvaises expériences, ne peut tout simplement plus les contenir. La seule façon de tout oublier consiste à recommencer à nouveau».
Dimitri Nasrallah se dit heureux de retourner au Liban. «Quand je suis venu en 2009, j’étais frustré à propos de mon identité et de mes origines. Je voulais me reconnecter avec une terre, un mode de vie que je me suis longtemps inventés. J’ai trouvé avec bonheur une grande famille qui m’a généreusement accueilli. Cela m’a aidé à mieux me situer pour prendre un nouveau départ». Et d’ajouter: «J’ai écris pour un lectorat canadien qui pensait, il y a quelques années encore, que c’était par choix qu’on immigrait au Canada. Ma propre expérience prouve que le plus souvent, c’est par nécessité. La traduction de Niko en français en 2016, vient à point nommé dans le débat global sur les réfugiés syriens». Tant et si bien que des droits ont été retenus par les productions Leitmotiv pour en faire un film. Espérons, avec Dimitri Nasrallah, que son financement sera vite assuré.

Gisèle Kayata-Eid

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