Avec son dernier one-man show, Abou el-Ghadab, Joe Kodeih, «fils du théâtre», «élève de Jalal Khoury», nous emmène dans les recoins sombres d’un passé de guerre, qu’il éclaire d’un rire cathartique.
Abou el-Ghadab, c’est n’importe quel Libanais, chaque citoyen au volant de sa voiture, celui qui n’aime pas le pays, celui qui se révolte, celui qui est en colère, tous scellés sous ce nom mythique, symbole d’une guerre libanaise qui se poursuit aujourd’hui, «sous une facette différente», affirme à Magazine Joe Kodeih. «C’est une guerre d’oppression, de non-civilité, économique, culturelle, religieuse, contre la volonté d’une très grande majorité».
Seul sur scène, Joe Kodeih parle de la période de la guerre sans parler de guerre. Il raconte des histoires, ses histoires, les histoires de tout un chacun dans le public, du moins ceux qui ont l’âge de la guerre. Les souvenirs remontent, emmêlés à l’odeur du Katol, du Maling, du Smeds, de l’entassement dans les abris, des jeux de cartes, «likhah» et «14», des «départs» et des «arrivées»… Et le public rit, s’y retrouve, s’y projette, dans un quotidien «vintage», dans sa propre vie passée qui se teinte aujourd’hui de nostalgie peut-être, certains allant même jusqu’à dire, qu’avant c’était mieux. Comme le dit Joe Kodeih, «durant la guerre, il n’y avait pas seulement des choses horribles. Avec le recul, on fait aussi notre thérapie, on en rigole».
Joe Kodeih a entamé sa thérapie quand il a commencé à écrire, à sortir ce qu’il y avait en lui, à faire des recherches, à collecter des histoires de gens qui ont vécu la guerre, de combattants de différents fronts. Ecrire de son point de vue, ayant vécu dans le quartier chrétien, en entremêlant la guerre comme toile de fond à des moments de sa vie, parfois dramatique, comme cette balle dont il a été atteint et qui lui a fait risquer l’amputation. Il en parle sur scène en la mettant dans un contexte qui fait rire. Du moment qu’il partage ces moments, ils ne lui appartiennent plus, ils deviennent ceux du public.
ETINCELLE
Pourquoi parler de la guerre maintenant? «Je ne sais vraiment pas, répond Joe Kodeih. Je m’interroge souvent sur ceux qui ont vécu l’exil, qui est une chose terrible aussi, et qui viennent parler de la guerre dans leurs œuvres, alors qu’ils ne l’ont pas vécue. Un peu de respect à notre traumatisme». Parce qu’il s’agit en effet de traumatisme, d’une guerre terrible, absurde, «qui nous a fait rater la plus belle partie de notre vie».
Mais plutôt que de sombrer dans la noirceur d’un drame, Joe Kodeih préfère en tirer «une morale positive». «On a survécu. Nous étions réfugiés dans notre propre pays, même dans nos maisons parfois. On improvisait notre vie. Le corridor des voisins, c’est là où les gens échangeaient, il y avait une énergie, une étincelle qui se créait». Cette étincelle, Joe Kodeih la fait revivre sur scène, dans un décor pour le moins dénudé, avec ses mots, ses gestes, sa gouaille, tout à l’aise avec le public qu’il retrouve pour faire exploser notre volonté de vivre. En attendant la sortie d’un album composé d’une dizaine de chansons de rap, inclues dans la pièce.
Au théâtre Gemmayzé jusqu’au 25 février.
Nayla Rached