Le Conseil constitutionnel libanais (CCL) vient de publier un recueil en langue française composé de deux volumes, regroupant ses décisions. Magazine a rencontré Issam Sleiman, président de cette institution.
Comment sont nés ces recueils en langue française? Quel est le but de leur publication?
C’est dans le cadre d’une collaboration avec le PNUD que nous avons traduit et publié les décisions du Conseil constitutionnel, préalablement parues en arabe, dans deux volumes: le premier comportant les décisions relatives à la constitutionnalité des lois et le second renfermant celles relatives au contentieux électoral. Le Conseil constitutionnel libanais (CCL) est un membre fondateur de l’Association des Cours et Conseils constitutionnels ayant en partage l’usage du français (ACCPUF), qui regroupe 48 cours et CC francophones. Le 16 novembre 2017, nous avons célébré son 20ème anniversaire à Paris, au siège du CC français. Il nous importe de consolider nos relations avec ces conseils francophones. La publication de ce recueil en deux volumes et sa distribution contribuent à favoriser les échanges et les expériences de la justice constitutionnelle entre le Liban et les CC francophones.
Comment allez-vous les distribuer?
Cette démarche se fera par l’intermédiaire des délégations diplomatiques dans ces pays. Nous allons demander l’aide du ministère des Affaires étrangères. Depuis que je suis en charge du CC, nous avons travaillé sur son renforcement sur le plan arabe, francophone et international. Dans ce but, nous avons consolidé notre relation avec la Commission de Venise, qui relève du Conseil de l’Europe. En 2012, le CCL a contribué, avec cette commission, à la création d’une institution internationale, la Conférence mondiale sur la justice constitutionnelle. Cette organisation compte 104 cours et CC dans le monde (en Europe, Asie, Afrique et Amérique) et tient un congrès tous les deux ans. Le dernier congrès a eu lieu à Vilnius, en Lituanie, en septembre 2017. J’étais présent en tant que représentant du Liban avec le Dr Antoine Messara. Au niveau arabe, le CCL fait partie de l’Union des Cours et CC arabes dont le siège est au Caire.
Quel est le rôle du Conseil constitutionnel?
Le CC a été institué pour contrôler la constitutionnalité des lois et statuer sur les conflits et pouvoirs relatifs aux élections présidentielles et parlementaires. En outre, le CCL joue un rôle important au niveau arabe, francophone et international et ne se limite pas à rendre des décisions. Depuis 2009-2010, nous avons réalisé un annuaire qui paraît à la fin de chaque année et qui compte aujourd’hui 11 volumes. Dans cet annuaire figurent des études sur la justice constitutionnelle et un aperçu sur les activités du CCL.
Dans quelle mesure le CC est indépendant du pouvoir politique?
J’ai évoqué cette question au cours d’un congrès à Moldova. La loi qui régit le CC lui a accordé une indépendance du fait que ses membres, dès leur entrée en fonction, ne peuvent être révoqués ou démis que par une décision du Conseil lui-même, au cas où le membre agit d’une manière qui justifie sa révocation. Ni le Conseil des ministres, ni la Chambre des députés ne peuvent révoquer les membres du CC, ils jouissent d’une immunité. Ils ne peuvent être poursuivis en justice qu’après la levée de leur immunité par décision du CC. Le mandat de ses membres ne peut être renouvelé. Le CC est indépendant sur le plan administratif et financier. Il possède son propre budget qu’il établit lui-même, bien que celui-ci fasse partie du budget général de l’Etat. Ses dépenses se font en accord avec la loi de la comptabilité publique, sur décision de son président. Il existe une équivoque dans l’esprit des gens et des hommes politiques qui pensent que le CC relève du ministère de la Justice alors que celui-ci est totalement indépendant et ne fait pas partie de l’organisation judiciaire de l’Etat. La juridiction constitutionnelle est indépendante de la juridiction ordinaire. Le CC est constitué de 10 membres dont 5 sont élus par la Chambre et 5 nommés par le Conseil des ministres. La loi protège les membres de toute interférence politique mais il faut aussi que le membre se protège lui-même. Il faut qu’il considère que ceux qui ont appuyé sa nomination ou son élection l’ont fait pour ses capacités, convaincus qu’il est capable de remplir cette tâche et non pas dans le but de leur rendre service. Je rappelle ici la fameuse phrase du président du CC français Robert Badinter, après sa nomination par le président français François Mitterrand: «Permettez-moi Monsieur le président d’exercer envers vous un devoir d’ingratitude».
Quelle est la principale décision prise par le CCL que vous présidez depuis le 5 juin 2009?
Le CCL est une jeune juridiction qui a vu le jour à la suite des accords de Taëf en 1990. En 2013, le CC a été ébranlé par un défaut de quorum causé par l’absence de trois de ses membres en raison d’interférences politiques au moment de l’examen du recours en annulation de la loi sur la prorogation du mandat de la Chambre. Mais depuis, cette situation a été surmontée, aucun membre ne s’est plus absenté et le CC a poursuivi son action. Notre principale réalisation est l’annulation de la loi no 45 sur l’augmentation des taxes et impôts, le 22 septembre 2017. Au départ, beaucoup ont cru qu’il n’y aurait pas de quorum et que certains membres s’absenteraient comme par le passé mais cette décision a été rendue à l’unanimité. Nous avons ainsi clairement démontré que le Conseil est totalement indépendant. D’ailleurs, la réaction des hommes politiques a été très violente après l’invalidation de cette loi.
Vous avez présenté un projet portant sur l’amendement des textes qui régissent le CC.
Les prérogatives du CCL sont limitées. Afin qu’il puisse exercer pleinement son rôle, il faut élargir ses compétences et ses prérogatives. C’est pour cela que j’ai présenté un projet sur l’amendement des textes qui le régissent.
Joëlle Seif