Après les très folkloriques élections législatives libanaises, vidées de toute substance politique, marquées par le provincialisme, les querelles de clochers et les enjeux purement locaux, les regards se tournent vers la scène régionale et son cortège de crises et de conflits.
Certes, le Moyen-Orient n’a jamais été une oasis de paix et de stabilité et l’on a pris l’habitude de vivre dans un entre-deux-guerres permanent. Mais il n’en reste pas moins que la situation actuelle est particulièrement préoccupante: plusieurs Etats sont menacés dans leur unité et intégrité territoriale, les acteurs non-étatiques sont souvent devenus plus puissants que les autorités centrales, les guerres par procuration que se livrent l’Iran et l’Arabie saoudite dans les pays voisins continuent de faire rage, alors que le gouvernement israélien, dominé par les mouvances les plus radicales, multiplie les menaces et peut plus que jamais compter sur un soutien inconditionnel des Etats-Unis…
C’est dans ce contexte qu’intervient la décision de Donald Trump de remettre en question le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) sur le nucléaire iranien, volte-face qui met dans l’embarras les autres parties prenantes de l’accord (P5 + 1), à commencer par les alliés européens des Etats-Unis, qui ont tenté, en vain, semble-t-il, notamment lors de la dernière visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis, d’amener Trump à la raison et de sauver la principale réalisation de Barack Obama en politique étrangère. Israéliens et Saoudiens, partageant la crainte de voir l’Iran devenir un acteur incontournable, ont quant à eux intensément milité pour cette remise en question de l’accord américano-iranien, et sont plus en phase avec Trump que les Européens.
La motivation de Trump est en grande partie liée à sa farouche volonté, quasiment obsessionnelle, de démanteler tout l’héritage de son prédécesseur, aussi bien sur la scène intérieure (Obamacare) qu’à l’international. En s’entourant de deux faucons aussi radicalement hostiles au monde arabe que Mike Pompeo, nouveau secrétaire d’Etat, et John Bolton, nouveau conseiller pour la sécurité nationale (NSA), Trump montre que l’Amérique n’a guère tiré les leçons des dérives de l’administration Bush. John Bolton, qui fut l’un des principaux architectes de l’invasion de l’Irak, continue de défendre cette décision, considérée aujourd’hui par la quasi-totalité des analystes comme la plus grossière erreur stratégique de ces cinquante dernières années, puisqu’elle a conduit aussi bien à l’émergence d’al-Qaïda en Irak (dont a émané Daech) qu’à la montée en puissance de l’Iran.
Talleyrand disait des exilés bourbons après la Révolution française qu’ils n’avaient «rien oublié, ni rien appris». Il en est de même pour cette poignée d’idéologues bellicistes américains qui sonnent aujourd’hui le tocsin de la guerre contre Téhéran sans réaliser jusqu’à quel point cette attitude maximaliste risque de renforcer le toujours très sourcilleux nationalisme iranien, de faire le jeu des plus radicaux opposants de Hassan Rouhani, et surtout d’accélérer la descente aux enfers de la région toute entière. Le Liban en sortira-t-il indemne?
Karim émile Bitar
Géopolitologue, professeur de relations internationales à l’USJ
et directeur de recherche à l’IRIS