Toni Geitani est un jeune artiste libanais qui a déjà parcouru les festivals avec The Leaves Will Bury. Il présentera son nouveau film réalisé avec Ashkal Alwan, projeté en première mondiale en compétition au FID Marseille.
Artiste pluridisciplinaire, Toni Geitani est aussi musicien. Lui, pour qui le son est l’instrument premier de l’endoctrinement politique, a choisi de concentrer sa recherche sur la création de sons nouveaux. Principalement autoproduit, son premier album est composé électroniquement. Intitulé al Roujoou Ilal Qamar, celui-ci a été dévoilé le 29 juin dernier à Zoukak. L’occasion pour Toni Geitani, seul avec ses machines, de présenter sur scène ses compositions.
La musique comme le cinéma sont des moyens pour Toni Geitani d’exprimer son malaise face à un monde qui ne cesse de s’effondrer. Dans le vrombissement de sons qui ouvre l’album de ce jeune artiste s’élève une voix rocailleuse questionnant l’état du monde, et le rôle de l’art face à cette crise de civilisation dans laquelle se trouve plongée l’époque contemporaine. C’est comme un manifeste, tant sur le plan sonore que sur le plan politique, qui ouvre la voie à un univers où s’enchevêtre une myriade de sons méticuleusement produits.
Les voix qui s’élèvent au cœur de ce paysage expérimental s’expriment en arabe. Elles sont multiples, et pourtant ne sont souvent qu’une, celle de Toni Geitani lui-même. Une voix dont l’émouvante tension, parfaitement maîtrisée, participe d’une narration aux teintes rituelles qui transporte son auditeur d’un bout à l’autre d’un album alternant des compositions pleinement expérimentales (Bidaya , Layla Fi Tichrin) et des morceaux plus mélodiques (Raboukom, La Tabki).
L’atmosphère brumeuse, née de l’angoisse d’un monde sans espoir de sortie, est aussi celle qui habite The Disappearence of Goya. Toni Geitani, cinéaste, refuse de se laisser prendre au jeu de l’illusion – et, pour ne pas trahir une parole rapportée, présente comme réflexe premier celui de prendre lui-même la parole et la lumière devant la caméra qu’il met en place dans des espaces dépeuplés d’un Liban déchiré. Les personnages de son film, s’ils ne sont pas des allégories avançant masquées, sont les membres de son équipe de tournage, qui entrent dans le champ et s’y installent, pour poser des questions. Ces questions sont celles qui occupent toute leur génération, mise au monde après la guerre civile et dont l’univers est pourtant hanté par son fantôme insaisissable. Devant et derrière la caméra, Toni Geitani présente la guerre comme une chimère, un simulacre dont l’omniprésence impose un statu quo devenu intolérable pour ces jeunes gens qui tentent de se construire un monde. La guerre, invisible, n’apparaît pas, sinon dans les nappes sonores qui rythment des plans et des séquences étudiés avec minutie. En explorant les possibilités narratives offertes par l’image surréaliste, l’artifice de l’archive, mais aussi par un usage riche de références picturales et cinématographiques, Toni Geitani met en scène l’illusion, pour mieux la dévoiler et tenter, finalement, de la contourner.
MATHILDE ROUXEL