Il y a six ans, le nombre de bars à cocktails explosait. Entretemps, mixologues et barmans libanais ont affiné leur savoir-faire et leur créativité.
Old fashioned ou fancy, court ou long, servi dans de longues coupes ou dans un tumbler, le cocktail est une source de création incessante. Répandu à la fin du 18e siècle en Angleterre et aux Etats-Unis, il était, jusqu’aux années 70, surtout élaboré à base de gin, de whisky et de rhum. A partir des années 90, la vodka devient omniprésente. Au Liban, c’est le restaurant latino-américain Pacifico, ouvert en 1997 rue Monot par les entrepreneurs Camille Chawan et Michel Saidah, qui importe le premier la tendance. «A l’époque, c’était composé de tequila et de cachaça, puis ce fut le rhum et la vodka, maintenant c’est le gin tonic», se souvient Michel Saidah. Mais c’est surtout ces six dernières années que les barmans de la capitale se sont laissés séduire par la mixologie. Parmi la foule de bars à cocktails ouverts, des enseignes se démarquent, à l’instar de Centrale Station et Trainstation. Le bar à cocktails est même devenu un concept mobile. La compagnie Cïn cïn est la première à s’être lancée dans ce business largement tourné vers l’événementiel. La formule a fait boule de neige et d’autres s’y sont mis. Aujourd’hui, il est rare de trouver une soirée de mariage sans bar à cocktails sur la piste de danse. Le nombre de restaurants et de bars ayant investi dans un mixologue en dit long sur l’ampleur de cet engouement.
Spécificités
Chaque enseigne affiche sa spécificité. A Hamra, Salon Beyrouth se spécialise ainsi dans les cocktails un peu «oubliés», à base de whisky comme le Sazerac – comprenant du whisky, du cognac, du sucre et des aromatiques Peychaud –, le Old Fashioned ou encore le Vieux carré – fin alliage de bourbon, brandy et vermouth rouge relevé d’un trait de bénédictine. «Nous proposons des cocktails classiques qui ont parfois plus de 100 ans d’âge», explique la propriétaire, Raya Kazoun. La clé d’un mélange réussi? «Principalement le barman», assure-t-elle. «Bien sûr, les ingrédients doivent être de très bonne qualité et le cocktail doit être préparé de façon à ce que le mélange de liqueur et de bitters soient en harmonie». A Salon Beyrouth, le prix des cocktails oscille entre 10 et 15 dollars. «Notre clientèle féminine préfère généralement les cocktails floraux et aromatiques, les plus jeunes vont vers les fruités à base d’alcool blanc et les bières. Notre clientèle plus âgée aime savourer les single malt ainsi que des cocktails à base de champagne et les martinis», poursuit Raya Kazoun. De l’autre côté de la ville, à Gemmayzé, le Dragonfly, ouvert en 2004, fut longtemps un repère pour les amateurs de cocktails. L’endroit a récemment fermé et cédé la place à de nouveaux locataires. Le propriétaire, Nino Aramouni, entend maintenir la recette qui a fait le succès de ce bar très prisé par les expatriés anglo-saxons.
Dans un autre registre, le Tex-Mex Joe Peña’s, ouvert en 2009 à Gemmayzé puis délocalisé à Mar Mikhael, est réputé pour sa Margarita et son Gin Basil smash. Là encore, la fraîcheur des aliments est de mise. «On presse les citrons tous les jours, sinon ils perdraient de leur saveur», affirme Rami Massar. Derrière le comptoir, le barman compose ses breuvages selon la technique Schuman, le fameux patron de bar berlinois. Les tarifs varient eux entre 11 et 16 dollars la boisson. Toujours à Mar Mikhael, The Bohemian est connu pour son Gin Basil et son Moscow mule – le célèbre cocktail de vodka à la bière de gingembre, servi avec une lamelle de citron dans un mug de cuivre. Ici, il faut compter entre 20 et 25 dollars le cocktail. Barmans et mixologues libanais s’inspirent aussi largement de la culture locale. Trainstation propose ainsi une déclinaison de cocktails à base d’arak. «Certains endroits se sont focalisés sur des cocktails qui attirent les Libanais en y injectant des ingrédients d’ici, comme l’arak où la tomate, un fruit particulièrement savoureux au Liban», explique Adham Beainy, du Syndicat des propriétaires de restaurants, cafés et nightclubs. «Et quand ils font des cocktails internationaux, il sont parmi les meilleurs». Et de conclure: « Ils sont extrêmement créatifs, il y a beaucoup de très bons mixologues et barmans dans le pays. Compte tenu du potentiel, c’est une tendance qui n’est pas près de s’arrêter».
Philippine de Clermont-Tonnerre