Magazine Le Mensuel

Nº 3092 du vendredi 3 août 2018

Point final

Une menace à la culture

Les événements récents à Beyrouth, et des nouvelles décisions prises par la Sûreté générale (SG) ont montré clairement que la vie culturelle au Liban est menacée. Les acteurs culturels opèrent actuellement dans des conditions absurdes imposées par l’État. En plus du manque de soutien financier, un climat répressif et une censure accrue semblent se développer, jumelés à des contraintes financières nouvellement imposées aux arts de la scène. Cela fait paraître le travail des producteurs de culture comme un dur labeur. La censure par la SG est régie par des critères très subjectifs difficilement contournables et qui, en même temps, ne sont pas clairement définis; ce qui constitue une grave menace à la liberté d’expression pour la culture, dans un pays qui se vante d’être un havre de liberté et de démocratie dans le monde arabe. Plusieurs représentations ont été annulées au cours des derniers mois en raison d’un resserrement de poings évident.
Les artistes du spectacle vivant et les opérateurs culturels travaillent déjà dans des conditions difficiles et ne bénéficient pas d’un statut professionnel valable. Cette atmosphère de désordre signifie également qu’ils ont longtemps opéré dans un certain espace de liberté pour présenter leur propre travail ou d’organiser des événements. Cependant, les décisions récentes de l’État d’«organiser» ce secteur en imposant des taxes sur la production de spectacles d’artistes internationaux au Liban risquent de paralyser la vie culturelle. Les institutions culturelles et les festivals, qui souffrent déjà de l’absence d’espaces (théâtre national, opéra…) dédiés aux arts de la scène et mis à disposition gratuitement, doivent désormais payer des frais de visa de 550000 L.L. à la SG pour chaque interprète non libanais présent sur scène. En outre, 10% des honoraires de chaque artiste doivent être soumis au ministère des Finances, qui les déposera ensuite dans le Fonds mutuel des artistes au Liban. Ceci semble être une excellente initiative. Toutefois, pour le moment, le fonds reste vide et aucun plan précis ne montre comment et quand l’argent sera perçu.
Le grand problème c’est qu’il semble y avoir une confusion entre les activités de divertissement axées sur la consommation, qui génèrent généralement des revenus, et les spectacles orientés vers la culture ou l’art – qui ont déjà du mal à trouver un public – qui sont gratuits ou vendent leurs billets à des prix accessibles. Les nouveaux frais de visas et les taxes imposent une pression considérable aux opérateurs culturels qui prennent déjà des risques lors de l’organisation de leurs festivals internationaux ou de leurs performances ponctuelles, et qui subissent, par conséquent, de lourdes pertes!
Lorsque des organismes internationaux invitent des artistes libanais ou étrangers à se produire, ils paient des sommes considérables en frais de visa de travail, en plus des taxes sur les artistes. Ceci semble justifiable lorsqu’il existe un système de financement et de soutien étatique pour les institutions culturelles et les initiatives artistiques, et quand ces institutions bénéficient de dons de particuliers souhaitant être exonérés d’impôts. Cependant, aucun soutien n’est accordé aux institutions opérant au Liban, qui passent des années à s’établir et à acquérir une reconnaissance pour commencer à pouvoir financer leurs activités et payer leur personnel. Il est donc assez absurde qu’en plus du désintérêt total pour les efforts considérables de ces institutions et individus, on leur demande de payer des frais, qui rendent certaines de leurs activités impossibles! En ce moment, si un festival invite une performance avec cinq artistes internationaux, il doit payer 2 750 000 LL., en plus de la taxe. Cette somme est scandaleuse si l’on considère que les opérateurs culturels passent des mois à rassembler des fonds pour leurs événements, en recherchant des sources internationales, et à travers les bureaux locaux des instituts culturels Européens, justifiant comment chaque centime est dépensé.
Nous vivons dans un pays qui se vante de sa diversité culturelle et de sa liberté, mais nous sommes confrontés chaque jour à des restrictions de plus en plus nombreuses. La culture est la base de la liberté, elle garantit la protection de la diversité culturelle. Dans un pays comme le Liban, elle doit rester indépendante pour continuer à prospérer. ●

Maya Zbib
Metteur en scène, interprète, écrivain, co-fondatrice de la Compagnie de théâtre Zoukak

 

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