Building with fire, Construire avec le feu, sous cet intitulé hautement symbolique, Jean Boghossian expose à Beyrouth ses œuvres de feu, en deux moments: dans l’ancien immeuble de L’Orient-le-Jour, à Beyrouth souks, et à la Crypte de l’Eglise saint-Joseph.
En jouant de la dualité du feu, à la fois destructeur et purificateur, l’exposition Building with fire, s’inscrit dans une portée hautement symbolique, se distinguant par là-même de la profusion de l’art contemporain à forte dominance conceptuelle où le propos dilue souvent l’œuvre dans son magma hermétique. Organisée par l’association des festivals culturels en collaboration avec la galerie Tanit, fondée par Nayla Kettaneh-Kunigk, et par le commissaire Bruno Corà, l’exposition présente des œuvres d’art conçues avec du feu, une technique rare dans l’art contemporain.
Trois ans après sa dernière exposition à Beyrouth, l’artiste a choisi pour son exposition un lieu où le feu, son outil de création, prend justement une autre ampleur. Dans l’ancien immeuble de L’Orient-le-Jour se perçoivent d’emblée les séquelles de la guerre, du feu destructeur. Jean Boghossian estime que son œuvre se prête bien à «ce lieu qui a une histoire, qui est à la fois l’histoire d’un pays, l’histoire de violences, mais aussi l’histoire de la paix. Cette histoire, dit-il, c’est aussi un peu la mienne, qui vient d’un monde des génocides et de l’exil».
Tour de Babel
Plus d’une trentaine d’œuvres récentes sont exposées dans les quatre étages de l’ancien immeuble à Beirut Souks, au détour des différents espaces délabrés, des murs où on retrouve inscriptions, dessins et slogans qui renvoient à la guerre et qui ont été conservés tels quels. Il y a une grande diversité dans les œuvres exposées, certaines se trouvant reliées par un même trait rassembleur, une thématique, un cycle que l’artiste développe. Cercles, plis, rythmes, constellations, les techniques et les effets se croisent et se décroisent sur chaque toile, où le feu, imperturbable, indomptable, esquisse ses arabesques.
Papier de riz, papier crêpe, papier de journaux, collages de papiers brûlés sur toile, fond monochrome, peinture, pigment, feu et fumée, chaque composition, dans sa simplicité première et sa complexité à effeuiller, renvoie à un bouquet de sensations qui s’embrasent. La réalité se distille pour céder la place à un espace-temps autre où le hasard devient effet de création. Comme cette magnifique Entrée dans la peinture, où des cercles esquissés au feu, se déclinent dans leur géométrie en decrescendo, jusqu’au centre même de la création.
Un peu plus loin, le regard est attiré par Le pont infranchissable, où sont représentées toutes les langues du monde, en une tour de Babel moderne, rétrécie en son centre pour empêcher les gens de se retrouver. «Et Le pont reste infranchissable», lit-on sur le mur, écrit en peinture noire, de la main de Boghossian. «Je voulais représenter la difficulté de communiquer, de trouver ce langage commun qui, pour moi, est l’art». Ecrites à l’encre noire sur les murs du bâtiment de L’Orient-le-Jour, quelques phrases interpellent le visiteur: «Le labyrinthe c’est ma vie», puis «Je rentre dans la peinture du feu pour rentrer en moi-même, et j’en sors au bout: libéré».
Nayla Rached