Les nouvelles sanctions américaines sur le Hezbollah n’auront pas d’impact décisif sur le parti. Leur incidence sur l’économie existe mais elle reste marginale à ce stade. Mais tout peut changer. Fin novembre, une délégation du Conseil d’administration de l’Association des banques du Liban (ABL) a visité, à Washington, le Sénat américain et le siège de l’OFAC (Office of Foreign Assets Control), l’instance relevant du Département du Trésor chargée de lister les restrictions commerciales et de veiller au respect des sanctions décrétées contre des individus ou des entités soupçonnées de financer des activités terroristes ou criminelles.
Cette visite intervient à un moment où, sous l’impulsion de la Maison-Blanche, les autorités américaines concernées ont considérablement durci les sanctions contre le Hezbollah. Jamais autant de mesures n’ont été prises contre le parti chiite en moins d’un an. Pour la première fois, le secrétaire général du parti, sayyed Hassan Nasrallah, a montré, lors d’un discours prononcé à l’occasion de la célébration de Achoura, que ces sanctions ne le laissaient pas indifférent. «Le Hezbollah fait l’objet de pressions. C’est plutôt une menace psychologique qu’une véritable menace. Ceux qui conspirent contre notre région, comme Israël, les Etats-Unis et leurs alliés (…) ont échoué dans la guerre militaire contre nous, alors ils essaient de nous frapper de l’intérieur», a-t-il dit.
Les listes des personnes accusées de financer le Hezbollah se succèdent à un rythme accéléré. Le 26 octobre, Donald Trump a signé une loi instaurant un mécanisme juridique et légal inédit pour mettre en œuvre ces lois (voir encadré page 31). Début octobre, le Trésor américain a accusé Mohammad al-Amine, fils de l’ancien ministre Abdallah al-Amine, d’avoir «aidé, parrainé ou fourni un soutien financier, matériel ou technique, ou des services financiers ou autres au Hezbollah». Sept de ses sociétés ont été placées sur la blacklist. Depuis le début de l’année, une trentaine de noms et une vingtaine d’entités ont été inscrits sur la liste de l’Ofac, qui comporte près de 1 000 noms du monde entier qu’il est possible de consulter sur le site de l’Office*.
Attitudes extrêmes
Au Liban, les responsables officiels n’affichent pas en public une grande inquiétude. Mais dans les cercles économiques, on commence à s’interroger sur l’impact que pourraient avoir ces sanctions sur l’économie nationale, au-delà de leurs répercussions directes sur le Hezbollah. «Les avis sont partagés. Certains estiment que ces nouvelles sanctions sont la fin du monde, d’autres les jugent ridicules et sans aucun effet. Ces deux attitudes extrêmes sont inappropriées», déclare à Magazine l’économiste Hassan Moukalled.
La plupart des experts libanais et étrangers estiment que ces sanctions, aussi sévères soient-elles, n’auront pas un effet direct sur le Hezbollah. Joyce Karam, une journaliste libanaise collaborant au Hayat et à The National (Emirats arabes unis), basée à Washington, se déclare circonspecte sur l’effet des mesures américaines. «Le Hezbollah ne compte pas sur le marché (financier) américain ou sur les transactions électroniques, précise la jeune femme. Certes, les sanctions pourraient pousser les sociétés ou les financeurs liés au parti, au Liban et à l’étranger, à revoir leurs positions pour éviter de subir des sanctions. Mais le Hezbollah ne risque pas la faillite
prochaine. L’Iran continuera à le financer et les flux provenant d’autres sources continueront à arriver».
David Gardner, journaliste au Financial Times, est du même avis. «Il est peu probable que les sanctions affaiblissent le Hezbollah et
l’empêchent de poursuivre ses activités en tant que fer de lance des efforts iraniens (…)», affirme ce spécialiste du Moyen-Orient basé à Beyrouth. Même son de cloche du côté de Nicholas Blanford, du Christian Science monitor: «Il y a peu de chance que les sanctions, après leur élargissement, donnent des résultats notables, du moins concernant un éventuel impact direct».
Recul des flux
Si le Hezbollah, rôdé au contournement des sanctions, tire son épingle du jeu à moyen terme, peut-on en dire autant de l’économie libanaise? Ghazi Wazni se veut rassurant. «Au stade actuel, l’impact des mesures américaines est insignifiant, et cela pour deux raisons: d’abord, la Banque du Liban (BDL) respecte scrupuleusement les dispositions de la loi américaine, idem pour les banques qui font un excès de zèle sur ce plan. Ensuite, le Hezbollah s’est complètement déconnecté du circuit bancaire et financier formel», explique à Magazine l’expert économique. M. Wazni fait état d’un «consensus entre tous les partis politiques libanais sur la nécessité de se conformer aux sanctions, la priorité étant de protéger le secteur bancaire domestique.» «Les responsables du Hezbollah aident à leur façon, en répétant à qui veut l’entendre que le parti ne traite pas avec le système bancaire», fait-il remarquer.
Bien qu’ils gardent la tête froide, les experts ne nient pas que les batteries de sanctions US peuvent avoir des effets sur certains secteurs de l’économie. «Quoi que l’on dise, les émigrés et les investisseurs libanais basés en Afrique, par exemple, sont conscients que la moindre transaction vers le Liban fera l’objet de mille et une tracasseries et sera soumise à de nombreux mécanismes de surveillance. Ceux qui souhaitent transférer de l’argent à Beyrouth préfèreront, dès, lors, l’envoyer ailleurs», affirme Hassan Moukalled. «Cela peut, dans une certaine mesure, avoir un impact sur la balance des paiements, précise l’économiste Ghazi Wazni. En 2018, celle-ci est déficitaire à hauteur d’1,5 milliards de dollars, alors qu’en 2010 elle était excédentaire de 3 milliards de dollars». «La raison principale de ce recul est le tarissement du volume des flux de capitaux en provenance de l’étranger. Cela peut avoir, à moyen terme, des répercussions sur la stabilité monétaire», dit-il. Mais les flux en provenance d’Afrique par des circuits formels sont estimés par la Banque mondiale (BM) à 300 millions de dollars seulement, soit 4% des 8 milliards de dollars qui entrent au Liban tous les ans. Il y a, certes, les transferts opérés par des voies informelles, et qui ne sont pas comptabilisés dans les chiffres officiels. «Il est difficile d’évaluer avec exactitude le volume des flux parallèles, déclare M. Wazni. On peut les estimer à 1,5 milliard, ce qui représente entre 2 et 3% du PIB. Même si un recul est également observé à ce niveau, cela n’aura pas d’impact décisif sur l’économie».
Baisse de la consommation
L’impact n’est certes pas décisif mais il n’est pas, non plus, inexistant. Lorsque l’on sait que 70% du volume de l’argent envoyé de l’étranger est destiné à la consommation des ménages et 30% seulement à l’investissement (achat d’un appartement, lancement d’un business, …), on réalise que les sanctions américaines ont malgré tout une incidence sur le secteur commercial, même si elle reste marginale à ce stade.
Les sanctions ne provoqueront pas un effondrement subi, pense M. Wazni, qui reconnaît cependant que «la situation est difficile et touche tous les secteurs de l’économie». «Si l’Etat ne prend pas des mesures appropriées, on se dirige à petits pas vers l’effondrement du système, dit-il. Cela se traduit par la fermeture de sociétés et d’entreprises, le licenciement du personnel et, par conséquent, la hausse du chômage.»
L’économiste préfère ne pas se prononcer sur des délais mais il précise que la BDL n’a pas de craintes. Le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, l’a d’ailleurs réaffirmé fin septembre, en assurant que le secteur bancaire ne sera pas affecté par les sanctions américaines contre le Hezbollah en raison des mesures prises par la BDL, sans évoquer de nouveaux mécanismes. «Il faut cependant prendre en considération que la Banque centrale ne peut pas à elle seule défendre la stabilité monétaire et doit être soutenue par le gouvernement qui ne peut pas se permettre d’être absent».
Le Hezbollah ne sera pas affecté par les nouvelles sanctions et leur incidence sur l’économie reste gérable à ce stade. Mais qu’en sera-t-il si les pressions de Washington s’intensifient? «La nouveauté des récentes sanctions et des lois adoptées est qu’elle donne au président américain un vaste pouvoir discrétionnaire, explique Hassan Moukalled. Certes, des dérogations sont prévues pour les institutions médicales et humanitaires et pour les municipalités où le Hezbollah siège et qui peuvent toujours traiter avec les banques en livres libanaises. Mais si le président décide d’élargir les listes aux «amis» et «alliés» du parti, et si 200 noms sont subitement ajoutés, cela provoquera une grave secousse économique et financière». L’économiste ce croit pas à ce scénario «irrationnel» car rien ne montre que les Etats-Unis ont décidé de provoquer une vaste déstabilisation du Liban, qui «ne servirait pas leurs intérêts.» Mais dans l’optique d’une «guerre totale» contre le Hezbollah, où une stratégie de dissociation du parti de sa base populaire naturelle est mise en œuvre, rien ne peut être exclu. Dans ce cas, les sanctions américaines pourraient toucher le monde des affaires chiite dans le but de provoquer une cassure entre lui et le parti de Hassan Nasrallah.
Mais les trois banques appartenant à des chiites, Jammal Trust Bank, Phœnicia bank et MEAB ne comptent que 2% des dépôts, et même si elles sont directement dans le collimateur des Etats-Unis, ce qui est peu probable, cela n’aura pas d’incidence sérieuse sur l’ensemble du secteur bancaire.
Et il est peu probable aussi que les déposants chiites, qui possèdent près du tiers des dépôts bancaires, soit 55 milliards de dollars, soient directement pris pour cible à cause de leur appartenance communautaire. D’ailleurs, ces capitaux sont déposés auprès des cinq principales banques du pays.
L’impact des sanctions américaines augmentées sur l’économie libanaise reste donc limité à moyen terme, sauf si Washington décide un grand coup, en élargissant d’une manière discrétionnaire la liste de ses cibles. Cela équivaut à mettre le Liban tout entier sous sanctions, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour, même avec une Administration jusqu’au-boutiste et peu encline aux compromis.
*https://www.treasury.gov/about/organizational-structure/offices/Pages/Office-of-Foreign-Assets-Control.aspx
Paul Khalifeh