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Nº 3105 du vendredi 6 septembre 2019

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Avedis Guidanian. L’incident de Qabrchmoun a plombé le tourisme en juillet

L’incident de Qabrchmoun et les tensions qui ont suivi ont provoqué un ralentissement du tourisme les trois premières semaines de juillet, affirme le ministre Avedis Guidanian. Malgré ce recul, la saison touristique 2019 s’annonce meilleure que celle de l’année dernière.
 

Bien que l’année ne soit pas encore terminée, les chiffres dont vous disposez répondent-ils à vos attentes ?
Je répondrais à votre question en divisant les huit premiers mois de l’année en deux tranches. Je parlerais d’abord des six premiers mois de l’année puis de juillet et août. Les chiffres du premier semestre ont dépassé nos attentes. Les performances des mois de janvier, avril et juin étaient supérieures à celles de 2010, qui est considérée comme une des meilleures années sur le plan touristique. Nous avons dépassé les chiffres de 2010 pour les mois que j’ai cités. Les six premiers mois de 2010, le Liban a accueilli 96 4000 touristes, contre 923 000 pour la même période cette année, soit une différence de 4,7%. En 2018, la différence avec 2010 était de 11,51% et en 2017 de 14,31%. Il y a donc en 2019 une nette amélioration. Pour chacun des six premiers mois de 2019, le nombre de touristes européens était supérieur aux mêmes mois de 2010 (Voir tableau page 14). Nous constatons aussi une amélioration pour les ressortissants américains. En revanche, il y a une baisse des touristes arabes les six premiers mois de 2019, compensées avec l’augmentation du nombre de ressortissants européens qui ont visité le Liban. Malgré cela, la baisse n’est pas importante. Par exemple, en janvier 2019, 40 000 touristes arabes sont venus contre 49 000 en janvier 2010; en février, il y a une baisse de 20%; en mars cette année, ils étaient 52 000 pour 56 000 en mars 2010; en avril 2019, nous avons accueilli 64 000 arabes pour 72 000 le même mois en 2010. Sur une base cumulative, nous constatons un recul de 22% du nombre de touristes arabes et une augmentation de 40,45% des Européens.   
 
Ces chiffres reflètent-ils la réalité sachant que beaucoup de Libanais sont détenteurs d’un passeport européen ou américain?
Nous appelons touriste toute personne non Libanaise qui entre au Liban, à l’exception des ressortissants syriens et palestiniens. Selon les données de la Sûreté générale, 92% des Libanais qui possèdent une autre nationalité entrent au Liban avec leur carte d’identité ou leur passeport libanais. Ils ne sont donc pas comptabilisés parmi les étrangers. Ce qui fait que les chiffres concernant le nombre de touristes sont assez fiables.

 

Comment expliquer la nette augmentation du nombre de touristes européens ?
Le ministère du Tourisme a beaucoup travaillé, en 2017 et 2018, sur les marchés européens, notamment dans les pays avec lesquels nous avons des liaisons aériennes directes, comme la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Nous avons invité au Liban, ces trois dernières années, des groupes de personnes et des individus et organisé des visites pour des acteurs influents du secteur touristique. Nous avons créé un forum appelé «Visitez le Liban», dans le cadre duquel nous avons convié 150 opérateurs et agences de 40 pays, à nos frais. Ils viennent au Liban pour quatre jours, sont logés et nourris, découvrent les sites touristiques, apprécient la nightlife libanaise. Ils venaient au Liban plein d’appréhensions et repartaient ravis. Certains disaient: « Vous vivez dans un paradis et nous ne le savions pas ! ». Cela a payé et de nombreux opérateurs européens ont réinscrit le Liban dans leurs tours.

Qu’en est-il des mois de juillet et août ?
Comme je l’ai dit, les six premiers de l’année étaient excellents. Le mérite en revient aux efforts que nous avons déployés en direction des pays européens mais aussi à la levée de l’interdiction faite aux ressortissants saoudiens de se rendre au Liban. Cela a encouragé des touristes d’autres pays du Golfe à venir. Nous avons constaté, les six premiers mois de l’année, une augmentation de 86,7% du nombre de visiteurs saoudiens, 41% pour les Koweitiens, 90% pour les qataris, 39% pour les Bahreïnis. Il y a eu entre 30 et 40 avions supplémentaires en provenance des pays du Golfe.
Quand je dis qu’il faut diviser les huit premiers mois en deux tranches, c’est parce que nous constatons après le 30 juin, un changement, à cause de l’incident de Qabrchmoun. Les vingt premiers jours de juillet, nous avons noté un net recul, dans le sens où il n’y a pratiquement plus eu une augmentation des réservations. Certes, il n’y a pas eu d’importantes annulations mais il n’y a pas eu non plus de nouvelles réservations. Après avoir enregistré en juin une amélioration de 17,5% par rapport au même mois de 2018, en juillet, la croissance n’était que de 7%. C’est un coup dur pour nos prévisions, surtout que le mois de juillet est celui qui draine le plus de touristes. Heureusement, la situation s’est redressée fin juillet et début août. Nous avons enregistré les quinze premiers jours d’août un taux d’occupation de 78% dans les hôtels 5 étoiles, 74,5% dans les hôtels 4 étoiles, 62% dans les 3 étoiles à Beyrouth. A l’extérieur de la capitale, le taux d’occupation était de 49% pour les 5 étoiles, 48% pour les 4 étoiles, et 29% pour les 3 étoiles. Il y a donc eu une reprise en août mais le manque à gagner de juillet est important. La croissance des sept premiers mois comparée aux deux dernières années est de 8% alors que je m’attendais à une amélioration de 10%. Les sept premiers mois de 2018, nous étions à 1,115 million de touristes. Cette année, nous avons atteint les 1,205 million, soit une augmentation de 90 000 touristes. Je m’attendais à 130 000 ou 140 000 visiteurs en plus. Je prévois 2,1 millions de touristes cette année… sauf si nous avons un autre Qabrchmoun.

L’augmentation du nombre de touristes ne signifie pas forcément une hausse des rentrées car les Européens dépensent moins que les Arabes.
En 2010, les rentrées directes et indirectes du tourisme ont atteint 8 milliards de dollars. En 2018, l’Organisation mondiale du tourisme a estimé les rentrées à 8,374 milliards de dollars. Il est encore trop tôt pour établir une estimation pour 2019 mais certains paramètres nous permettent déjà de nous faire une idée. Par exemple, la détaxe effectuée à l’aéroport est de 13% supérieur à l’année dernière. Autre indicateur, l’occupation des hôtels: la moyenne les six premiers mois de 2018 était de 53,5% alors que cette année elle est de 58,9% pour les 5 étoiles. Pour les 4 étoiles, nous étions l’année dernière à 54,5%, contre 61,1% en 2019. Pour les 3 étoiles, 34% en 2018 et 39% de moyenne les six premiers mois de cette année. Nous enregistrons donc une croissance moyenne allant de 10% à 14%. Il y a un manque à gagner certain dû à la baisse, dans l’absolu, du nombre de touristes arabes, dont les séjours au Liban sont longs, parfois un mois ou deux, alors que les Européens restent une semaine ou 15 jours tout au plus et ne dépensent pas autant que les ressortissants du Golfe, qui peuvent payer 1 000 dollars en un seul jour. Malgré cela, les Européens compensent une partie du manque à gagner. En 2010, il existait au Liban 6 000 restaurants qui tournaient à plein régime. Aujourd’hui, il en existe 12 000 pour le même nombre de touristes, donc les profits sont répartis entre un plus grand nombre. Malheureusement, l’augmentation du nombre de touristes ne suffit pas pour autant de restaurants. S’il n’y avait pas eu l’incident de Qabrchmoun et les tensions qui en ont résulté, le secteur touristique aurait pu être un levier efficace pour l’économie, en apportant un milliard de dollars supplémentaires en deux mois.

En prenant en compte les chiffres dont vous disposez actuellement, quelle serait la contribution de secteur touristique au PIB ?
En 2010, le tourisme a approché les 19% du PIB. Aujourd’hui, il constitue près de 12% et c’est dommage, car nous aurions pu mieux faire. Mais il y a une bonne nouvelle: les réservations en provenance d’Europe pour septembre et d’octobre, qui ne sont pas des mois  touristiques, ont commencé dès le mois de juin, ce qui est inhabituel. Les Européens, surtout les personnes d’un certain âge, vont en vacances pendant ces deux mois et recherchent des hôtels à prix abordables, en dehors de Beyrouth.  

Quelle sont les catégories de tourisme qui a attirent le plus de visiteurs ?
Le tourisme de divertissement était le plus prisé par les touristes des pays arabes. Mais à cause de l’interdiction faite aux ressortissants du Golfe de venir au Liban ces dernières années, ils ont trouvé d’autres destinations et s’y sont habitués. Il sera difficile de récupérer tous ceux qui sont partis. Aujourd’hui, les trois premières catégories sont le tourisme de divertissement, le tourisme religieux et le tourisme culturel, suivies par le tourisme de santé. Beaucoup d’Irakiens viennent au Liban pour se faire soigner. Malheureusement, il y a eu quelques cas d’arnaques et d’exploitations qui ont eu un impact négatif. Aujourd’hui, il y a dans le monde, tous les ans, 1,2 milliard de touristes dont 80 à 100 millions pratiquent le tourisme religieux. La décision du Vatican de replacer le Liban sur la route du pèlerinage après 12 ans d’interdiction est un bon signe. Une délégation est venue au Liban en mars et mai pour inspecter les sites religieux. Les responsables de ce secteur (au Vatican) ont lancé une campagne d’information qui devrait donner ses fruits prochainement.

L’expérience du visiteur
Le ministère du Tourisme a placé des tablettes dans 15 kiosques au départ de l’aéroport de Beyrouth pour recueillir l’avis des touristes et des visiteurs sur leur séjour au Liban. A la mi-août, quelque 2 000 personnes avaient donné leur avis. 40,46% de ceux qui ont répondu ont affirmé qu’ils reviendraient «certainement». 24,6% ont dit qu’il se peut qu’ils reviennent. 13,6% ont assuré qu’ils ne revisiteraient plus le Liban et 15,83% ont affirmé que probablement ils ne reviendraient pas.
Les personnes interrogées ont également expliqué les raisons de leur choix. Cela permettra au ministère d’identifier les problèmes qui font fuir les touristes et les visiteurs et de présenter au gouvernement des propositions de solutions, en collaboration avec d’autres ministères.

Paul Khalifeh
Photos Milad Ayoub

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