Magazine Le Mensuel

Nº 3105 du vendredi 6 septembre 2019

à la Une Décryptage

Agences de notation. Un tir de sommation

Un désagréable malaise s’installe et un vent de panique souffle sur le Liban avant la publication des rapports de Fitch et Standard’s & Poor’s.
 

Les assurances des hautes autorités monétaires et politiques, qui se plaisent à répéter que le Liban n’est pas dans une situation d’effondrement ou de faillite, et qu’il traverse seulement une période de «turbulence » nécessitant des solutions ponctuelles, n’ont pas réussi à tranquilliser les Libanais. Sur le terrain, les transactions commerciales et financières obéissent désormais à de nouvelles règles de jeu effrayantes. La dégradation de la notation de la dette souveraine est la goutte qui a fait déborder le vase.
La publication de ces rapports provenant d’instances internationales a révélé tout haut ce que les gens au pouvoir disaient tout bas. Elle a levé le voile sur un Etat en déliquescence et en déconfiture socio-économique, une situation qui a pris naissance et grandi en temps de paix et non de guerre, poussant le président de la République à évoquer des réformes et des mesures douloureuses et le gouverneur de la banque centrale à reconnaître des ingénieries financières qu’il mène depuis 2017 ainsi que des prévisions d’une croissance économique nulle en 2019.  

Des règles de jeu effrayantes
Les rapports de Fitch et Standards & Poor’s ont montré clairement que ces agences n’ont pas été convaincues que la loi de finance 2019 est un budget réformateur, même si elles ont procédé à des évaluations différentes du crédit souverain. Les agences se sont accordées sur les points de faiblesse structurelle du modèle libanais qui affecte sa situation financière et économique ainsi que les aléas à venir si l’Etat échoue à entreprendre les réformes indispensables.
La notation des agences internationales de la dette souveraine d’un pays n’affecte que l’appétit des investisseurs étrangers à acheter ses outils obligataires en prenant en compte leur valeur et les taux d’intérêts qui y sont appliqués. «Or, souligne Ghassan Ayache, ancien vice-gouverneur de la BDL, l’enjeu du Liban ne représente que 7 milliards$ d’eurobonds, le reste de l’endettement public étant réparti entre la Banque centrale et les banques commerciales.» Il ajoute que dans le cas du Liban, le niveau des taux d’intérêts n’est pas déterminé par l’offre et la demande sur le marché mais est tributaire de négociations entre le ministère des Finances, la BDL et les banques commerciales. «Cette soif du billet vert enregistrée sur le marché interne se comprend par les besoins de la Banque centrale à financer sa propre dette auprès des banques libanaises, le service de la dette publique, le déficit de la balance des paiements, et ceux de la balance commerciale et du compte courant public», dit-il. En effet, la BDL a engagé des ingénieries financières depuis 2017 en s’endettant auprès des banques libanaises, attirant auprès d’elle leurs dépôts en devises, à défaut de flux de capitaux de l’étranger. Ghassan Ayache déclare que «chaque dollar que nous attirons au Liban coûte aux instituions libanaises et aux citoyens 3$.» Autrement dit, l’ancien vice-gouverneur de la BDL est moins soucieux d’une dévaluation de la livre que du fait que les fondements du nouveau modèle du système financier reposent sur les dépôts et épargnes bancaires des Libanais.
La création d’un marché de change parallèle s’agrandit dans un mutisme total de la part de la BDL et des banques. Il ne s’agit pas d’un hasard. La BDL et les banques commerciales sont condamnées à la coordination puisque leur survie est interdépendante. Pour l’obtention de billets verts en cash, les établissements de crédit vous recommandent en toute état de conscience le changeur du coin. Ce dernier, bien sûr, effectuera les transactions mais «à son prix», vu qu’il n’y a pas de déjeuner gratuit, selon le dicton populaire anglais. Il est donc clair que la BDL a des priorités et ne peut de ce fait les sacrifier de peur de sacrifier ensuite tout un pays. Elle se protège et protège le Liban en s’interdisant toute intervention sur le marché. Ses réserves, qui sont plutôt des actifs, sont constituées des réserves obligatoires des banques et, par conséquent, des dépôts des épargnants, représentent pour nous tous le coup de grâce -56% des avoirs des banques commerciales sont déposés auprès de la BDL. Ce marché parallèle n’est pas à négliger, il aurait d’après certaines sources un volume de 2,5 à 3 milliards$ en prenant en compte les frontières poreuses entre le Liban et la Syrie.
   
Les ratios des banques
La dégradation de la dette souveraine impacte sur les métriques que les banques commerciales doivent respecter. Les circulaires de la BDL, en l’occurrence l’article 7 de la décision 12713 relatif à l’application des normes internationales IFRS9, exigent que les institutions financières procèdent à des réévaluations – trimestrielles ou à chaque fois que le besoin s’en fait ressentir- des risques crédit des avoirs inscrits au bilan et hors bilan. Dans le même esprit, la décision principale de la BDL No 6939 définit l’adéquation des capitaux propres des institutions financières en relation avec les risques de leurs placements dans les titres souverains. La notation inférieure ou égale à B- des titres souverains exige que les banques assurent une couverture de 150% de leurs souscriptions aux eurobonds et de 100% à leurs souscriptions aux bons du Trésor en livre.

Liliane Mokbel

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