Chercheur studieux, intellectuel averti, universitaire, auteur de 40 ouvrages, Mgr Maroun Nasser Gemayel met tout son savoir et son énergie au service de ses ouailles. Parcours d’un homme de foi.
Le 30 août 1981, il est ordonné prêtre, le 30 août 2012, consacré évêque, le 30 août 2019 il lance le Collège Mar Maroun dans l’ouest de Paris, en île de France. Ces quelques dates illustrent, parmi d’autres, le parcours de Nasser Gemayel, venu de la montagne libanaise et qui a consacré sa vie d’étudiant, de chercheur, de professeur et de religieux à l’héritage spirituel et au patrimoine ancestral de Mar Maroun, fondateur de l’Eglise à laquelle il appartient. Son attachement à ce personnage historique est tellement fort qu’il l’a poussé à ajouter son nom au sien lors de son ordination et à devenir Monseigneur Maroun Nasser Gemayel.
Qui est-il? A la fois chercheur studieux, intellectuel averti, homme de lettres, universitaire, auteur de 40 ouvrages, spécialiste de l’histoire des maronites et de leurs relations avec l’Europe (sa thèse s’intitule: Les échanges culturels entre les maronites et l’Europe), pasteur de terrain, polyglotte…
C’est pour toutes ces qualités qu’en 2012 Benoît XVI le place à la tête de l’Eparchie Notre Dame du Liban de Paris des maronites, tout juste créée par le Pape. Il lui confie en plus la charge de Visiteur apostolique pour les maronites d’Europe septentrionale et occidentale (une quinzaine de pays). Une mission pastorale qui touche une centaine de milliers de maronites (80 000 en France et 20 000 dans le reste de l’Europe).
Les relations entre l’Eglise maronite et la France sont anciennes, la présence des maronites remonte au XVIIème siècle et la première Procure permanente fut installée à Paris le 12 février 1893 à la Chapelle du Palais du Petit-Luxembourg.
Bien sûr la France n’est pas une terre inconnue pour Mgr Gemayel, ce passionné du patrimoine et d’histoire. C’est en France, à Lyon et Paris, qu’il a poursuivi de hautes études, dans le sillage d’ailleurs des grands savants maronites libanais au début du XVIIème siècle. Gabriel as-Sahiouni, Youhanna al-Hasrouni, Ibrahim al-Haqilani – et plus récemment Youakim Moubarak et Michel Hayek- avaient inauguré la tradition d’enseignement au Collège Royal, devenu Collège de France dans la capitale des Lumières. Gemayel est fier de se réclamer de leur héritage et d’être l’un des fidèles disciples de ces grands maîtres de la connaissance maronites.
«Authenticité et Mission»
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le nouvel évêque a choisi comme devise épiscopale «Authenticité et Mission». Ce choix traduit un double engagement, une dynamique quasi missionnaire: une manière d’inciter ses coreligionnaires à « renouer avec leur identité antiochienne d’origine, à préserver leur authenticité, sauvegarder leur patrimoine maronite ancestral et leur précieuse identité libanaise», et en même temps « faire œuvre de témoignage dans le pays d’accueil pour y véhiculer les valeurs universelles gardées et sauvegardées au prix de grandes souffrances».
Et Mgr Gemayel d’ajouter: «L’Europe en général et la France en particulier n’ont peut-être pas besoin de nous. Mais nous pouvons leur apporter notre expérience du monde musulman et des valeurs que nous maintenons encore aujourd’hui, alors que l’Occident, lui, se sécularise. Nous lui apportons d’une certaine manière notre parfum oriental: notre expérience de 1400 ans avant l’Islam, avec lequel nous parlons la même langue et avons des habitudes communes».
Cette profession de foi ne vise pas seulement les maronites libanais, mais également l’ensemble des chrétiens d’Orient. Le nouvel évêque souhaite que son éparchie soit une «institution de référence» pour cette diaspora. D’ailleurs, Mgr Gemayel prône l’instauration d’un équilibre parfait entre les deux appartenances, entre l’insertion dans la société française et européenne, et l’attachement aux valeurs des chrétiens orientaux.
«Villa des Cèdres»
Le nouvel évêque se souvient des conditions difficiles des débuts de sa nouvelle mission lorsque, fraîchement nommé, il arrive en France. Il n’avait pour toute arme dans ses maigres valises, que la foi, dit-il, capable, faute de déplacer les montagnes, au moins de les faire bouger», pour seul capital, ses bagages culturel et spirituel, accumulés pendant plus d’un demi-siècle, et dans ses poches le seul montant de sa retraite d’ancien professeur de l’Université libanaise. Elle reste d’ailleurs sa principale ressource personnelle pour la vie quotidienne dans sa nouvelle mission.
Les sept premières années du mandat de Mgr Gemayel furent bien remplies. La première phase, celle de la construction de cette première éparchie, ne fut pas facile: elle s’est résumée à faire face aux «défis du démarrage» et au «peu de moyens». Il fallait tout édifier, à commencer par le siège épiscopal autonome. En raison de ces conditions financières et budgétaires difficiles et des prix élevés dans la capitale française, les recherches se sont dirigées vers la proche banlieue (Hauts-de-Seine).
«La Providence est venue à notre secours! Nous avons pu nous installer à Meudon, ville de Rodin, rue Ernest Renan, missionnaire de Phénicie, à l’ancien monastère des Sœurs Ursulines de Jésus, Villa des Cèdres, un site prédestiné et chargé de symboles», indique fièrement Mgr Gemayel avant de préciser que le lieu a été aussitôt baptisé «Beit Maroun» (la maison de Maroun).
Ce fut la première pierre. Et bientôt, grâce à un effort soutenu, dix nouvelles paroisses ont été créées, des prêtres ordonnés et des diacres consacrés pour développer un service ecclésial de proximité et d’accompagnement.
Sans oublier deux événements très importants de la vie communautaire de l’éparchie: la tenue du premier Synode diocésain et le premier Rassemblement des jeunes.
Le deuxième projet était d’acquérir l’Eglise Saint-Sauveur, à Issy-les-Moulineaux, dans la proche banlieue de Paris. Elle avait été bénite une première fois en 1863 et avait cessé d’être en service depuis plus d’une dizaine d’années. Mgr Gemayel souhaitait la consacrer de nouveau et la mettre au service des fidèles maronites et des autres chrétiens d’Orient résidents dans la banlieue sud et de quelques quartiers parisiens limitrophes. Ce fut chose faite en janvier 2018.
Collège Mar Maroun trilingue et numérique. Le troisième projet, qui s’apprête à prendre corps dès cette rentrée 2019, c’est l’inauguration du Collège Mar Maroun. L’établissement scolaire a été lancé par l’association diocésaine L’Excellence pour tous, créée par l’éparchie maronite. Il sera installé à Boulogne Billancourt. Mgr Gemayel explique que «cet établissement sera au profit des enfants d’origine libanaise qui souhaitent rester connectés à leur culture mère, et à leurs amis français qui souhaitent connaître cette culture. C’est un défi pédagogique, un challenge financier et un rêve ambitieux. Tout est fait pour que nos enfants puissent grandir et se construire dans un cadre épanouissant, où ils apprennent à découvrir leurs capacités et à développer leurs talents». Il ajoute que «ce collège sera trilingue et numérique de la primaire à la Terminale et sera en partenariat avec Notre Dame de Jamhour au Liban. Une année préparatoire obligatoire de mise à niveau linguistique est organisée afin que les enfants soient prêts à intégrer les classes trilingues l’année suivante». Mgr Gemayel souligne que c’est «la première initiative éducative libanaise de cette nature en France».
Le quatrième projet du prélat tient beaucoup à cœur à cet intellectuel et chercheur passionné de patrimoine et d’histoire. Il s’agit de construire un grand centre culturel maronite et oriental avec des fonctions multiples. Il hébergerait une bibliothèque, un espace dédié aux expositions, une salle de conférences, une médiathèque etc… L’ensemble serait ouvert à un public diversifié, animé par de désir de découvrir ou d’approfondir son savoir sur cet héritage si riche et si enrichissant. Mgr Gemayel s’engage à ramener sa propre bibliothèque privée, constituée de cinquante mille livres et ouvrages, stockés dans la maison familiale d’Aïn el-Kharroubé, dans la région du Metn au Liban. D’autres bienfaiteurs libanais ont eux aussi exprimé le souhait de faire don de leur bibliothèque privée. Le projet est en bonne voie et un partenariat avec la Mairie d’Issy-les-Moulineaux sera déterminant à cet égard.
Maison Maronite, à proximité de Lourdes
Le cinquième projet est encore plus spectaculaire. Via l’association diocésaine «Authenticité et Mission», en mai 2017 a été acquis le domaine gigantesque de l’ancienne Abbaye romane de Saint-Pé-de-Bigorre, sur une superficie bâtie de 13 000 m2 et un terrain de 4 hectares. La particularité de ce site millénaire n’est pas seulement sa superficie mais sa dimension spirituelle et sa proximité géographique de Notre-Dame de Lourdes, second haut-lieu de pèlerinage marial mondial. L’abbaye est située à 9 km du sanctuaire et de la Grotte et également sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Pour Mgr Gemayel, la réhabilitation de l’Abbaye revêt une importance majeure. Il la considère comme l’«œuvre de (sa) vie» tellement elle est chargée de sens, de symboles et de visions. Son souhait le plus cher est de pouvoir réaliser la première étape en 2022 date d’anniversaire du millénaire de la bâtisse, fondée en 1022. Car l’accomplissement total de ce projet demande du temps et, surtout, plus d’une douzaine de millions d’euros. L’évêque espère que des généreux donateurs emboîteront le pas à ceux qui ont permis d’acheter le domaine et de permettre sa réhabilitation. Mgr Gemayel, qui vient d’un village voisin de Himlaya, terre de Sainte Rafqa, implore la Sainte d’intercéder dans la réalisation d’un tel «miracle»!
A quoi servira ce lieu, renommé désormais Maison Maronite de la Mère de la Miséricorde? «Ce domaine sera un lieu de rassemblement, de vie et d’avenir, explique Mgr Gemayel. Un lieu de prière et de paix ouvert à tous, avec une grande polyvalence: accueil des pèlerins de Lourdes et de Saint Jacques de Compostelle, retraites spirituelles, activités spirituelles et culturelles…». Mais la vocation et la mission principales de ce site, précise–t-il, seront de «devenir un grand Centre de ressourcement dédié aux jeunes, notre préoccupation majeure et notre souci permanent. Nous voulons leur créer des structures adaptées pour les éduquer, les former à l’enracinement, et surtout les initier aux vraies valeurs. Leur apprendre l’entraide, la solidarité, le don, le sens du service, de l’engagement solidaire et du bénévolat. Permettre une ouverture aux autres cultures, promouvoir le dialogue et l’échange, apprendre à cultiver la terre et à la respecter». Pour Mgr Gemayel «c’est une œuvre pastorale et missionnaire par excellence».
«Tous ces grands projets, ajoute-t-il, ont été accompagnés d’actions pour renforcer les relations séculaires franco-libanaises et les liens anciens entre l’Eglise maronite et l’Eglise catholique française. Des initiatives d’ouverture et de vivre-ensemble ont également été menées envers la communauté musulmane».
Dans ce domaine d’ailleurs, il convient de signaler le geste du président palestinien Mahmoud Abbas qui a octroyé la citoyenneté d’honneur palestinienne à Mgr Gemayel. Distinction qu’il lui a remise en personne à Paris «en reconnaissance de son rôle, de ses efforts déployés et des actions engagées en faveur de la justice et la paix».
Une ombre à dissiper
Toutefois, en parallèle du bilan plus que satisfaisant de ces sept premières années d’exercice, Mgr Gemayel est obsédé par la précarité financière et les difficultés matérielles quotidiennes. C’est une ombre épaisse qui obscurcit ce tableau lumineux. «L’éparchie, explique-t-il, est dépourvue de toutes finances propres. Or sa gestion nécessiterait un budget spécifique et la présence a minima d’une petite équipe. A part le denier du culte, de tradition latine, auquel les fidèles maronites ne sont pas encore habitués et qui rapporte de moins en moins de ressources, l’évêché ne dispose d’aucune autre recette. Pour combler le déficit dû aux salaires des prêtres des nouvelles paroisses et les autres frais divers, l’éparchie doit compléter les dons de quelques bienfaiteurs par des prêts bancaires». Le message de l’évêque est clair: «La solidarité engagée et généreuse de tous doit être concrète, effective et continue, affirme-t-il, afin de pouvoir résoudre, et de façon pérenne, ce grand souci». Comment Mgr Gemayel envisage-t-il la suite de sa mission dans cette conjoncture difficile?
S’il est vrai qu’il a fallu au nouvel éparque maronite beaucoup de détermination, de persévérance et de solides convictions pour pouvoir surmonter ce qu’il appelle «les défis du démarrage», sa confiance en l’avenir reste intacte malgré les nombreux obstacles: «Je ne suis pas pessimiste, conclut-il. Je travaille sur des projets d’avenir. Je suis comme cet ingénieur-architecte qui dresse des plans et qui construit des fondements pour un grand édifice que d’autres viendront compléter et finaliser. L’essentiel reste que la nouvelle éparchie soit en marche! Je suis confiant qu’à l’avenir elle sera une institution de référence et une force d’attraction pour les générations futures. Elle doit les aider à rester enracinées, à continuer à s’ouvrir aux autres et à s’intégrer sans perdre leur identité».
Béchara Bon (à Paris)