Les 50 millions de dollars débloqués la semaine dernière en Conseil des ministres sont loin de laisser présager un déblocage de la crise des déchets.
Quelques jours à peine après le déblocage des fonds par le gouvernement pour l’exportation des déchets, de nouveaux scandales sont venus s’ajouter au dossier.
La société britannique Chinook, sélectionnée pour mener à bien l’opération, avait jusqu’au 29 janvier pour présenter la preuve de l’approbation de la Russie pour accueillir les déchets libanais.
Or, le gouvernement avait prolongé ce délai à fin février pour permettre à Chinook de présenter les documents originaux nécessaires au démarrage des opérations, se contentant, en attendant, de simples «copies» de ces papiers pour débloquer les 50 millions de dollars.
«Ce nouveau délai n’existait nulle part dans les contrats, précise Raja Noujaim, coordinateur général de la coalition contre le plan Chéhayeb. Il a été purement inventé par le gouvernement pour permettre à Chinook de rester en course».
La question se pose alors de savoir pourquoi le gouvernement s’est obstiné à travailler avec Chinook, alors qu’il avait reçu des offres bien moins coûteuses, qu’il avait ignorées prétextant justement une expiration du premier délai? «La réponse est simple, pour Noujaim. Derrière Chinook, il y a les intérêts de personnes proches du gouvernement. Le contrat signé par cette compagnie a un prix, redistribué entre les personnes concernées».
La Russie dément
Le ministère russe de l’Environnement a affirmé que les documents faisant état de son approbation à recevoir les déchets libanais seraient «complètement faux». Après la société Hova, mise hors jeu pour avoir présenté une fausse approbation de la Sierra Leone, il semble bien que le même scénario se reproduise avec la Russie, seule destination annoncée par Chinook.
Raja Noujaim, Bassam Kantar, journaliste et ancien membre de la commission de Chéhayeb, et l’ensemble des experts interrogés sur ce dossier en sont convaincus: l’exportation des déchets ne se fera pas. C’est également l’avis d’Antoine Abou Moussa, consultant en environnement pour Terre Liban. «Même si le gouvernement russe avait donné son aval pour accueillir nos déchets, rien ne garantissait qu’il trouverait une entreprise qui accepte et soit capable de trier et traiter légalement les déchets libanais une fois en Russie», souligne l’expert.
Raja Noujaim rappelle, de son côté, qu’outre le problème légal et financier, l’exportation des déchets pose toujours le problème technique que le gouvernement refuse de résoudre. «Outre la question du pays d’accueil, se pose également celle du respect de la procédure qu’impose cette technique, explique-t-il. L’exportation n’a aucune chance de réussir tant qu’ils ne passeront pas par l’étape du tri préalable des déchets», martèle-t-il.
«Sans décision politique de trier et trouver des sites d’enfouissement, les déchets resteront dans les rues, renchérit Antoine Abou Moussa. Il est clair qu’il se prépare en coulisse un deal pour que les gens du pouvoir se partagent le gâteau, sinon pourquoi auraient-ils choisi l’option la plus coûteuse et la plus compliquée?».
Car sans évoquer les coûts directs de l’exportation, estimés à 123 dollars la tonne par Chinook (uniquement pour le transport), l’opération pourrait en réalité coûter bien plus cher selon les experts. «Les coûts indirects n’ont pas été pris en compte, en les ajoutant, l’exportation pourrait bien revenir à entre 400 et 500 dollars la tonne de déchets, estime Abou Moussa.
Outre ces coûts, l’exportation des déchets représente un manque à gagner pour l’économie libanaise. Il existe dans le pays au moins une vingtaine de centres de tri privés ou publics, 500 entreprises travaillant dans le domaine du recyclage, de la revente de matériaux recyclés ou de traitement des ordures. «Ce sont des centaines de millions de dollars dont l’économie ne bénéficiera pas, souligne le consultant. Sans compter le coût pour les municipalités libanaises qui seront finalement les premières à payer pour l’exportation des déchets».
«La manière dont a été choisie Chinook pour mener l’opération demeure toujours opaque, ajoute Raja Noujaim, sachant qu’aucun appel d’offres n’a été lancé. La découverte, la semaine dernière, de liens entre cette société et un homme qui a déjà été accusé d’espionnage pour le compte d’Israël», soulève bien d’autres interrogations. Affaire à suivre.
Soraya Hamdan
50 centres de tri
Selon les experts, la construction d’un centre de tri et de traitement des ordures, pouvant traiter jusqu’à 150 tonnes de déchets par jour, soit desservir une zone de 250 000 habitants, coûterait près de 2 millions de dollars. «Avec 50 millions de dollars, on pourrait tout simplement construire 25 centres de tri, soit un centre pour chaque caza, et ainsi solutionner de manière évidente et durable une bonne partie du problème», explique Antoine Abou Moussa, consultant en environnement pour Terre Liban.