Magazine Le Mensuel

Nº 3027 du vendredi 13 novembre 2015

Salon du livre

Migrations et médias. Débat corsé autour d’un phénomène

Migrations et médias. Le monde en mutation. Transmission en direct. Le débat à quatre voix, organisé par l’Afej au Salon du livre, a suscité remous et réactions.
 

Ils étaient très nombreux à suivre le débat sur le sujet des réfugiés, des migrations, des camps, des aides humanitaires, de l’action de l’Etat et de la couverture médiatique de ce sujet d’actualité… Sujet brûlant tout court, tant par ses effets sur la population que par les prises de position qu’il suscite.
«Le Liban a une tradition d’accueil et de migration. C’est un pays de tolérance et tous les autres devraient prendre exemple sur lui pour se restreindre de juger l’autre ou d’en prendre ombrage. Il faut vivre «avec». C’est cette convivialité dont le Liban peut s’enorgueillir qui fait défaut au monde et qui, pourtant, est capitale», selon Michel Eddé, P.D.G. de L’Orient-Le Jour intervenu à la suite de l’invitation de la modératrice, Nidal Ayoub, à introduire le thème de la rencontre, ajoutant avec une pointe d’humour: «C’est la formule qui devrait s’appliquer, même si sa pratique est catastrophique!».
Nayla Chahda, spécialiste des migrations, apporte des chiffres sur le nombre des réfugiés au Liban, devenu, depuis 1980, le premier pays d’immigration au monde pour son accueil des réfugiés, toutes catégories confondues: politiques, apatrides, demandeurs d’asile, travailleurs migrants… Ses précisions sont alarmantes d’autant plus que, comme le signalait Chahda, le Liban n’a pas signé la convention internationale sur le statut des réfugiés et, donc, tous ceux qui se trouvent sur son territoire (et que le gouvernement appelle «invités») n’ont pas de protection juridique, légale. Des propos inquiétants surtout quand on sait que le gouvernement libanais, qui a fait un accord avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), n’était pas présent au Forum global sur la migration (octobre 2015) pour négocier des aides internationales aux pays d’accueil. «On a délégué le consul du Liban en Turquie pour parler au nom de l’Etat libanais, alors que les responsables des Etats concernés étaient tous présents pour discuter de la politique migratoire commune à adopter et obtenir le maximum de fonds pour leurs pays respectifs», déplore Chahda.
Concernant la couverture médiatique de ce problème, Benjamin Barthe, directeur du bureau du quotidien Le Monde au Moyen-Orient, n’incombe pas le flot récent des migrants à l’impact des médias. Il suggère de ne pas trop surévaluer leur rôle qui consiste à constater la situation affligeante de ces personnes qui n’ont pas choisi de quitter leurs terres. Il relève, en revanche, le grand rôle des réseaux sociaux et leur effet boule de neige sur les populations déplacées qui se relaient les contacts, les filières, les informations pour bien réussir leur migration vers l’Europe ou ailleurs.
Ouvrant le débat au public, Ayoub donne la parole au ministre de la Culture présent dans l’assemblée. Rony Araiji, d’emblée, remet les pendules à l’heure en disant que, malgré toutes leurs épreuves, les Libanais ne se sont jamais installés dans des camps, mais se sont toujours débrouillés quand ils étaient contraints à quitter leurs domiciles. Il désapprouve la couverture des médias qui met surtout l’accent sur la situation des réfugiés, en occultant les efforts du pays hôte comme, par exemple, l’organisation de deux «shifts» dans les écoles publiques libanaises pour résorber le très grand nombre d’élèves. Il dénonce la destination des aides reçues qui vont aux réfugiés et non aux municipalités et constate amèrement la démission des pays arabes qui n’en reçoivent aucun, «se contentant de donner de l’argent, en pensant résoudre le problème». Araiji relève aussi la présence de beaucoup de «prétendus» réfugiés qui viennent travailler au Liban, mais qui profitent du système, retournant voir leurs familles à l’occasion, comme ils profiteraient aussi des richesses de l’Europe. «Le monde occidental ne récolte que la politique qu’il a semée». Et de lancer: «On n’a pas à recevoir des leçons sur les droits de l’homme de leur part quand 500 000 réfugiés arrivent chez eux, alors qu’on ne sait plus quoi faire avec les 1 800 000 Syriens qu’on accueille».
Le débat est lancé. Des intervenants accusent les grandes puissances d’orchestrer les flux migratoires (diviser l’Irak, la Syrie et, peut-être, voir le Liban s’agrandir), d’autres de laisser les médias occulter les vrais problèmes… Barthe, lui, reconnaît le «miracle libanais» à maintenir une situation paisible malgré cet afflux massif. Eddé insiste sur l’exemple libanais, alors que Chahda martèle: «Le gouvernement libanais doit prendre en charge la question des réfugiés sans compter sur le HCR (pour gérer la situation), en ne permettant pas notamment aux camps de s’étaler».

Gisèle Kayata Eid
 

L’Afej au salon
L’Association du DES francophone des journalistes a couvert les animations, les livres et les actualités du salon. La présidente Nidal Ayoub et ses collègues du conseil, Myrna Zahar et Youmna Chacar Ghorayeb, ont sillonné les stands et les salles de conférence à la recherche de la discussion, de la signature ou de l’activité dignes d’être rapportées au public. L’Afej a initié deux ateliers d’écriture pour les étudiants en journalisme et organisé deux débats importants.

Related

Fouad Khoury-Hélou. Le crépuscule du règne américain?

Sylvie Germain. La frontière floue entre l’homme et l’animal

22e Salon du livre francophone de Beyrouth. Pour que triomphent les «libres livres»

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.