Magazine Le Mensuel

Nº 2982 du vendredi 2 janvier 2015

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Entre les mots. Ritta Baddoura: La langue autrement

Révélée notamment par son recueil de poésie Ritta parmi les bombes publié par Dar al-Saki, Ritta Baddoura, poète, journaliste et critique, vient de publier deux nouveaux recueils, Arisko Palace et Parler étrangement.
Dans ces deux livres écrits plus ou moins en même temps, Ritta Baddoura a essayé, comme elle le dit, de se libérer de ce que peut être l’attente de quelqu’un qui lit, l’attente de l’autre. «J’ai eu un long moment où je n’écrivais pas et, bizarrement, le sujet qui m’a fait écrire a été celui de la langue, de la langue autre, qui est notamment le français pour moi puisque je suis libanaise, mais pas que, parce que la poésie pour moi est aussi un autre langage».
Le déclic a eu lieu en quelque sorte lors d’une résidence d’écriture dans le Varne, dans l’intention précisément que cela serve d’inspiration pour l’écriture d’un livre. «Il y a eu comme une rencontre entre mon histoire et celle du lieu où différentes choses m’ont interpellée autant que les personnes que j’ai rencontrées, dont beaucoup d’enfants d’immigrés. Et, ajoute Ritta Baddoura, ça m’a fait un coup, comme une histoire parallèle, une sorte d’histoire intemporelle qui traverse les âges et que je trouve là dans ce lieu». L’écriture a donc commencé dans le Varne pour se poursuivre sur un an environ après la fin de la résidence.
Parler étrangement est publié aux éditions l’Arbre à paroles, dans la collection «if», qui s’intéresse aux textes hybrides, comme l’explique Baddoura, qui ne sont ni vraiment purement poétiques, ni du roman, ni de la fiction. «C’est important pour moi parce que c’est le signe que quelque chose pour moi, dans la structure, dans le rythme, commençait à se libérer… je ne saurais dire quoi exactement, mon écriture était moins libre. J’ai l’impression qu’ici il y a un truc qui coule, qu’il y a une histoire qui commence, du début à la fin. Et j’aime bien qu’il y ait une histoire dans un recueil de poésie».
En effet, Parler étrangement, peut-être moins qu’Arisko Palace (éditions Plaine Page), «qui est encore plus cohérent du début à la fin, avec trois personnages principaux qui évoluent», déroule entre les interstices des mots et des phrases, l’histoire d’une langue, l’histoire des langues, «autant la langue comme organe de parole dans la bouche avec la salive et toute sa densité, que la langue en tant qu’imaginaire et sonorité», que le français et le libanais. «La langue qui m’a fait croire qu’il fallait très tôt mourir était parlée par tout le monde» – «L’autre langue de la langue, on croyait qu’elle nous aiderait à tromper la mort qu’en l’apprenant si bien et la prononçant vite du moins naturellement sans erreurs, on serait un peu les autres» − «Mettre cet après-midi dans un poème pour le tenir au chaud dans l’appartement où les mots sont tombés» − «La langue où je suis morte est collée sous la peau de l’autre langue». Et le lecteur se plaît à essayer de percevoir une langue de l’autre, à se glisser dans les infimes détails de chaque texte, de cette langue autre que le texte énonce, à sa manière, rassemblés tous par cette question relevant plus de l’identité que d’un quelconque vocabulaire, d’une identité qui se cherche toujours dans le cosmopolitisme, la diversité, la pluralité de ses constituantes.
«Dans mon livre, explique Baddoura, je parle autant aux gens de mon accent, d’ici, qu’à ceux d’un autre accent, les gens de là-bas… Pour moi, de là où je viens, de ma famille, de mon histoire, parler, écrire en français, c’est une manière de continuer à pouvoir parler en libanais autrement, une sorte de travestissement».

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