Magazine Le Mensuel

Nº 2924 du vendredi 22 novembre 2013

Livre

Laurent Constantini. Lettre d’amour à Beyrouth

Le photographe français Laurent Constantini, sous le charme de Beyrouth, capte sur pellicule, au détour de plusieurs séjours, notre patrimoine architectural qui disparaît de jour en jour. Ses photos lui inspirent un récit poétique Beyrouth Beyrouth publié aux Editions Z.
 

Quelle est votre histoire avec Beyrouth?
Je devais venir au Liban sans doute avant même d’en connaître l’existence, puisque mes grands-parents y ont vécu pendant plusieurs années avant la guerre civile. J’ai grandi au milieu de récits et d’objets qui venaient du Liban et d’autres pays de la région. Je suis venu à Beyrouth à l’automne 2005. J’en suis tombé amoureux du taxi qui me menait de l’aéroport à mon lieu de résidence. Un vrai coup de foudre. Beyrouth, surtout il y a huit ans, avait tout pour me séduire puisque, par la fenêtre du taxi, j’ai vu tout un tas de maisons abandonnées et d’immeubles anciens derrière des rideaux de végétation. Ça m’a fait rêver. Durant ce voyage de découverte, je me suis promis de revenir bientôt pour prendre des photos. Au printemps 2006, je suis revenu. Et j’ai marché tous les jours dans les rues à la recherche de ces maisons abandonnées et de ces immeubles anciens. A chaque voyage, de découvrais de nouveaux lieux et, en même temps, je me rendais compte que beaucoup de ce que j’avais photographié avait disparu. Parfois, entre le début et la fin de mon séjour, je voyais des maisons qui n’existaient plus. Au début ça me surprenait. Maintenant, ce qui me surprend, c’est lorsque j’en retrouve, car il n’y en a presque plus.

Que peut raconter un ancien bâtiment?
Il est le garant de la mémoire d’un pays en quelque sorte. Un vecteur de transmission de la mémoire et de l’histoire d’un pays. Le Liban est un pays d’histoire très riche et très ancienne. Il n’y a pas que les bâtiments de l’époque ottomane ou du mandat français, qui appartiennent à une histoire très récente en fait. Je suis également passionné d’archéologie, et au Liban, les traces archéologiques existent, ou existaient, je ne sais plus quel temps employer. Dommage qu’on ne les croise pas davantage qu’au musée national qui est pour moi, peut-être, le plus beau musée du monde, même si c’est une collection qui n’est pas très vaste. J’y vais chaque fois que je viens au Liban.

«Beyrouth tu as survécu à la guerre, tu ne survivras pas à la paix». Pouvez-vous nous expliquer cette phrase?
Je l’ai écrite, il y a sept ans, en 2006, avant la guerre. Je repense souvent à cette phrase et je me dis que malheureusement c’est vrai. Le paradoxe de la guerre. La ville a été figée dans le temps, durant la guerre et dans l’immédiat de l’après-guerre. Maintenant que la guerre est terminée, le pays est à nouveau ouvert à tous les projets. Et du coup, je parle d’un point de vue architectural, on a l’impression que Beyrouth veut faire table rase de tout son passé, toutes ses traces, ses vestiges du passé, et pas seulement ceux de la guerre. Peut-être parce que la ville a des racines très anciennes, on s’imagine qu’elle peut tout se permettre. Et Beyrouth se permet tout effectivement, y compris détruire son passé.

Beyrouth, la ville de tous les contrastes, un cliché?
C’est tout sauf un cliché. C’est la vérité. Et Beyrouth suscite en moi, surtout ces derniers temps, des sentiments très mêlés, contradictoires. Au sein d’une même journée, parfois dans des laps de temps très restreints, je peux l’adorer et la détester en même temps. On l’aime, car elle a tous les charmes de l’Orient, même si elle regarde beaucoup vers l’Occident qu’elle tente de rattraper en courant toujours plus haut vers le ciel. Mais elle est aussi très fatigante, c’est une ville exténuante. D’un point de vue urbanistique, architectural, la ville déploie son labyrinthe, ses méandres de rues, d’impasses, d’escaliers. Et si on veut aller plus loin, c’est une ville où on peut se perdre dans tous les sens du terme. C’est une ville tout le temps en ébullition, en mouvement, en train de changer. Elle n’est pas rassurante de ce point de vue. Par moments, et c’est le paradoxe, elle semble ne pas bouger. Elle est à la fois rassurante et effrayante. Ce livre est une interpellation à Beyrouth, une lettre d’amour, une promenade amoureuse dans les rues de la ville. C’est comme un chant incantatoire. Un amour lucide. J’aime Beyrouth avec ses nombreuses qualités et ses nombreux défauts. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui j’ai tendance à la fuir le plus souvent possible, car elle m’étouffe parfois. Peut-être que c’est pour mieux la retrouver par la suite, je ne sais pas. 


Propos recueillis par Nayla Rached

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