Magazine Le Mensuel

Nº 2924 du vendredi 22 novembre 2013

general

Fadia Kiwan. Deux divorces et une carrière

Deux fois divorcée, une première fois de l’Université libanaise et une seconde fois du Bloc national, Fadia Kiwan est avant tout une rebelle, fière et hautaine comme cette montagne libanaise à laquelle elle appartient. Passionnée par l’enseignement, véritable vocation pour elle, elle milite sur le plan politique. Derrière la femme de carrière, une femme de cœur. Portrait.
 

Directrice de l’Institut des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, professeur de Sciences politiques à la faculté de droit de l’USJ, ses titres et ses occupations ne se comptent plus. Impliquée en politique dès son plus jeune âge, elle allie le côté académique à une profonde connaissance de la politique. «J’ai vécu deux divorces dans ma vie. Le premier lorsque j’ai quitté l’UL et le second lorsque j’ai quitté le Bloc national». Pour Fadia Kiwan, l’enseignement est un engagement, une mission publique. «J’ai compris que l’enseignement est un bien public. Je suis convaincue que quel que soit le lieu où il s’exerce, qu’il soit payé par le contribuable ou par l’Etat, il demeure une mission publique».
Elle est née dans une famille politique. Son père, homme de grand labeur, militant aimant les relations publiques, était membre du bureau politique du Bloc national. De condition moyenne, elle a vécu la terrible épreuve et la douleur de ceux qui voient la maladie frapper les êtres les plus chers, son frère et sa sœur. A l’évocation de ce sujet, l’émotion affleure. Derrière la force de cette femme, se cache une grande sensibilité. «Mes parents ont été admirables, dit-elle. Ils sont devenus encore plus affectueux et très sensibles à la dignité des malades. Cela a tissé des liens encore plus forts entre nous, car nous étions tous unis contre la maladie».
Au début de la guerre, elle perd son père et décide de changer de parcours. «Je voulais intégrer la diplomatie, mais je me suis convertie à l’enseignement. Je l’ai fait avec plaisir et j’ai aimé cela». Comme tous les Libanais, elle a vécu la guerre et ses tourments. «J’étais contre la guerre, la partition, l’action milicienne. Beyrouth était partagée en deux et j’effectuais régulièrement la traversée entre les deux secteurs de la ville. Je m’associais à des activités civiques contre la guerre». Après l’achèvement de sa thèse, elle décide d’enseigner à l’Université libanaise pour atteindre le plus grand nombre d’étudiants et assurer un aspect démocratique en offrant un enseignement de qualité aux personnes défavorisées. «L’UL était divisée communautairement. J’ai trouvé une place à Zahlé dans la cinquième section. Les autres sections étaient contrôlées par les milices et ne m’avaient pas ouvert leurs portes», souligne Fadia Kiwan.
En 1991, Boutros Harb, ministre de l’Education nationale, lui propose d’être à la tête de son cabinet alors qu’il ne la connaissait pas personnellement. «C’était nouveau pour moi et ce fut une expérience très enrichissante. Je venais d’un milieu opposé à l’accord de Taëf.
J’ai été ainsi propulsée dans le secteur public, dans la sphère politique de l’administration».
Avec le départ du gouvernement, en 1992, sa mission prend fin et elle décide de se mobiliser pour le boycott des élections législatives de 1992. En octobre 1992, Michel Eddé, alors ministre d’Etat à la Culture et l’Enseignement supérieur, lui propose de collaborer avec lui. «J’ai accompagné les premières activités de Michel Eddé en tant que ministre d’Etat et je l’ai pressé de créer un ministère de la Culture, ce qui a été fait en 1993». En évoquant sa collaboration avec les deux ministres Harb et Eddé, Fadia Kiwan confie: «Ils avaient tous deux une finesse culturelle et un usage scrupuleux des deniers publics. Michel Eddé utilisait même ses fonds propres et mettait ses locaux à la disposition du ministère. Ils étaient respectueux de la femme et tous les deux m’ont encouragée par la qualité de leurs rapports et ont facilité mon insertion dans le domaine public. Ce sont des personnes d’une grande probité, qui possèdent une grande éthique même si l’on ne partage pas leurs vues politiques». Toutes ces activités l’ont propulsée sur le plan international et Fadia Kiwan fait partie de plusieurs commissions de l’Unesco ayant rapport avec la femme, la francophonie et autres.

 

Le BN, un amour de jeunesse
A 16 ans, Fadia Kiwan est membre du comité exécutif des étudiants du Bloc national (BN) qui, pour elle, est une sorte d’amour de jeunesse. «La guerre nous a éparpillés et nous avons gelé nos activités. Ce n’est qu’en 1995, à la demande de Raymond Eddé, que j’ai rejoint le BN en tant que membre du comité exécutif et membre de l’assemblée générale du parti. En 2000, j’ai vécu la douleur du décès du Amid et j’ai été très déçue par les problèmes de la succession». Les luttes et les querelles au sein du parti laissent chez Fadia Kiwan un goût amer. «Ils étaient désunis et j’ai réalisé que, finalement, c’était la personnalité de Raymond Eddé qui les unissait. A ma grande déception, ils se sont orientés vers l’élection de son neveu à la tête du parti. C’était un homme bien, mais qu’ils ne connaissaient pas. Ils l’ont choisi sans le connaître», souligne Fadia Kiwan. Conséquente avec elle-même, elle vote blanc. Elle prend tout à fait conscience des propos que répétait Raymond Eddé: «Après moi, vous serez des factions comme les gaullistes, mais moi je ne veux pas mandater quelqu’un».
Après l’élection de Carlos Eddé à la tête du parti, elle fait sa connaissance et accepte de collaborer avec lui en demeurant dans le comité exécutif. Très active politiquement à ses côtés, elle participe aux réunions du Bristol. «Avec l’assassinat de Rafic Hariri, en 2005, les événements se précipitent et nous étions au cœur de la mobilisation populaire qui réclamait le départ des Syriens. Au cours de cette période, il fallait associer le Courant patriotique libre (CPL) à ce mouvement. J’ai convaincu Eddé de rencontrer le général Michel Aoun pour que le CPL se rallie au mouvement de contestation, ce courant était le plus proche de nous. J’imaginais qu’avec le CPL, on pourrait constituer un noyau dur au sein du mouvement de libération», se souvient Fadia Kiwan. Hélas, la réalité est bien différente. «Les choses se sont confondues. Carlos Eddé avait conclu des accords politiques dont je n’étais pas au courant, et il est arrivé que le CPL s’est brouillé, un jour, avec le rassemblement du Bristol». Par la suite, est apparu le fameux accord quadripartite. «C’était un scandale sur le plan éthique. Malgré leur haine les uns des autres, ils n’avaient qu’une appréhension en tête, celle que les chrétiens ne reprennent du poil de la bête». Au cours d’une discussion entre le général Michel Aoun et Carlos Eddé, à la veille du scrutin de 2005, ce dernier lance au général: «Je ne comprends pas pourquoi je devrais quitter mes autres alliés pour être avec vous dans cette bataille?». Aoun lui souhaite alors bonne chance. «Devant mon air atterré, le général m’a pincé la joue affectueusement et m’a dit: ‘‘Ne t’en fais pas, ce sera une bataille sportive’’. Le résultat fut pour nous un échec cuisant». Au lendemain des élections, Fadia Kiwan quitte le BN avec beaucoup d’amertume et un sentiment d’échec. «J’étais peinée de voir le BN, un parti qui avait le potentiel nécessaire pour reconstruire le pays, s’effondrer et de constater à quel point les gens ont la mémoire courte. Pour moi, la politique est le moyen de changer le monde, de protéger les faibles et d’instaurer un Etat de droit».
Elle porte un grand intérêt pour le secteur de l’éducation qui permet de réduire l’inégalité des chances. Inlassable travailleuse, c’est avec son caractère taquin et espiègle que Fadia Kiwan affronte les situations graves. Le jour où elle cessera de travailler, elle se consacrera au social. Nationaliste mais pas xénophobe, Fadia Kiwan possède un humanisme prononcé dont elle ne se dessaisira jamais, dit-elle. Elle est pour la liberté, la citoyenneté et contre toute forme de sectarisme. «Je suis du côté des gens démunis et en faveur d’un Etat où on lutte contre la corruption et l’inégalité très accentuée des chances».

Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

Candidate aux législatives
Fadia Kiwan affirme qu’elle ne se déroberait pas devant une charge politique, mais qu’elle ne mettrait pas sa carrière en péril pour s’aventurer dans ce domaine. «S’il y a un quota pour les femmes, je me présenterai sûrement. Je ne réfute pas l’idée de 
m’associer à une action politique, mais 
celle-ci devra être calculée. Si j’ai des chances réelles de gagner, je me présenterai aux élections législatives. Toutefois, je me vois plus dans un rôle exécutif que 
législatif». Elle propose d’ajouter à 
l’Assemblée nationale actuelle quelques sièges (quatorze) pour les femmes, ce qui aurait pour but de rassurer les hommes et de ne pas leur donner l’impression qu’on leur arrache des sièges. Jalouse de son confort et de son autonomie, elle dit: «Ce sont mes convictions et non mon confort qui me feront prendre une décision».

Ce qu’elle en pense
Réseaux sociaux: «C’est une arme à double tranchant. Je suis timide de nature et je n’aime pas être exposée tout le temps. Je n’aime pas être accessible, j’aime la 
discrétion et la décence. Vivre heureux,
c’est vivre caché».
Ses loisirs: «J’en ai très peu. Je fais du tennis quand l’occasion se présente. Je me détends en compagnie de mes amis et je prends des vacances de temps à autre».
Sa devise: «Etre conséquent avec soi-même quel que soit le résultat. Ne tenir à rien et à personne. Etre détaché de tout et de tous».

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