Magazine Le Mensuel

Nº 2902 du vendredi 21 juin 2013

general

Adieu Alixa Naff. L’historienne tire sa révérence

Elle était l’historienne libano-américaine la plus connue dans sa communauté d’origine. Une pionnière qui n’avait jamais oublié d’où elle venait. A 93 ans, Alixa Naff vient de s’éteindre. Magazine se rappelle de la richesse de son legs.
 

Alixa Naff aurait aimé cela: le silence pour pouvoir mieux se concentrer. Le calme pour mieux réfléchir aux sujets qui l’ont tant intéressée. Et surtout une prière pour cette chrétienne attachée à sa foi et à sa religion.
Pour elle, tout commence au Liban, depuis plus de 85 ans. Alors que ce pays n’avait ni son indépendance ni son entité actuelle, elle le quitte avec sa famille pour se rendre aux Etats-Unis. Elle grandit d’abord à Spring Valley, dans l’Illinois, avant de se rendre à Falls Church, en Virginie. Dans son pays d’accueil, elle prend conscience de l’importance de l’Histoire, notamment de sa sauvegarde. C’est ce qui fait qu’elle devient la première personne de sa communauté à documenter la vie des immigrés arabo-américains.

En sa mémoire
La collection d’histoires orales d’Alixa Naff demeure, jusqu’à aujourd’hui, un outil important pour les chercheurs. Elle est disponible pour la recherche scientifique au Musée national d’Histoire américaine. Et cette collection a été dédiée au Smithsonian, institution de recherche scientifique associée à l’Onu et composée de dix-neuf musées et neuf centres de recherche principalement situés à Washington. D’ailleurs, dans un communiqué, le Smithsonian a considéré que, «grâce à ses recherches, Alixa Naff a grandement contribué à la compréhension de l’expérience des immigrants arabes arrivés entre 1880 et 1950». Quant à la chercheuse Rosemarie Esber, spécialisée dans l’Histoire, la culture et l’économie du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et qui a servi en tant que consultante auprès de l’Organisation des Nations unies, elle explique comment Naff a parcouru les Etats-Unis dans sa Volkswagen Beetle bleue qu’elle surnommait «le chameau», pour recueillir des histoires d’émigration. Esber ajoute: «Elle (Alixa) utilisait ses pouvoirs de persuasion pour convaincre les gens de renoncer à des éléments de famille précieux pour être inclus dans sa collection».
Mais qu’est-ce qui particularisait autant cette collection? Le fait que ce soit dans sa propre famille, Naff, que débutent ces documentations.
La première collecte, du nom de ses parents, Faris et Yamna Naff, contient plus de 2 000 photos, 450 histoires orales et divers biens personnels et domestiques. Les éléments de la collection comprennent des instruments de musique, des vêtements et même un pilon kibbé, et une grande pierre utilisée pour faire un plat traditionnel du Moyen-Orient. «Son plus grand héritage est de sauver tout ce matériel pour tous les autres qui sont venus après elle», résume si bien Esber. Pour Helen Samhan, une amie et ancienne directrice exécutive de l’Institut arabo-américain à Washington, le mérite d’Alixa Naff est d’étudier une communauté qui a été souvent négligée par les chercheurs, et de montrer la diversité de l’expérience arabo-américaine. «Même dans les milieux scientifiques, l’histoire de l’expérience arabo-américaine est souvent biaisée en faveur des questions politiques chaudes», ajoute Helen Samhan.
Des propos qui reflètent la situation actuelle.

P.M.

Ses diverses publications
Alixa Naff a publié plusieurs livres et essais. Becoming American: The Early Arab Immigrant Experience est paru en 1993. Il aborde la période de l’avant-guerre, comment  la 
première génération des immigrés 
arabophones a établi les modèles de 
règlement et d’assimilation. Il montre que, contrairement à beaucoup d’immigrants qui sont venus aux Etats-Unis portés par leurs rêves d’emplois industriels ou pour échapper à la persécution religieuse ou économique, la plupart de ces artisans arabes avaient prévu de rester deux ou trois ans et de retourner à leur patrie. The Arab Americans, publié en 1998, traite de l’Histoire, la culture et la religion des Arabes, ainsi que les facteurs favorisant leur émigration et leur acceptation comme un groupe ethnique en Amérique du Nord.

Related

Conflit syrien. Le Liban le plus touché

La Traversée de Zeina Kassem. De la douleur à la résilience

Frédéric Martel. Journaliste d’investigation

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.