Magazine Le Mensuel

Nº 2861 du vendredi 7 septembre 2012

LES GENS

Naji Gharios. Un grand humanitaire place de l’Etoile

«Je suis le premier déplacé de la guerre. J’ai quitté ma maison le 14 avril 1975». Ces propos sont de Naji Gharios, député  maronite du Bloc de la Réforme et du Changement pour la région de Baabda, depuis 2009. Portrait de cet homme, pour qui la qualité de médecin est bien plus importante que celle de député. Elle représente pour lui une véritable mission humanitaire: celle de servir.

C’est à Chiyah qu’il a grandi dans une famille de cinq enfants, dans une maison à proximité de l’église Mar Mikhael. Là où tout a commencé un funeste 13 avril 1975. Dans cette région où se côtoyaient chrétiens et musulmans, on lui a appris que tous les hommes, quelle que soit leur religion, étaient égaux. «On ne nous a jamais dit que nous étions meilleurs que les autres. Nous naissons et mourons tous, les uns comme les autres, riches ou pauvres, noirs ou blancs, chrétiens ou musulmans, mais chacun vit différemment», déclare Naji Gharios. Selon le député, certains vivent selon des choix et d’autres selon des paris. «A celui qui fait un pari je demande, est-ce que le cheval sur qui vous pariez court toujours? En revanche, le choix représente une responsabilité. Celui qui fait un choix devient responsable», dit-il.
Elève turbulent chez les Jésuites, il se souvient d’avoir accumulé quelque 42 retenues en une seule année, alors qu’il était en classe de troisième. Après quelques hésitations, il est attiré par la médecine et fait ses études à la Faculté française de médecine de l’USJ. Il obtient son diplôme en 1968. «J’étais séduit par le titre de «Hakim», un sage dans la médecine et dans la vie. Pour moi, c’est un titre humain plus que professionnel», confie Naji Gharios. Il devient chef de clinique à la maternité française entre 1968 et 1971 puis part en France où il réside pendant un an. A son retour, il pratique la médecine aux côtés du Dr. Raymond Serhal à l’hôpital Serhal à Badaro jusqu’en 1975. «Nous avions entre 100 et 120 accouchements par mois alors que la petite clinique ne comptait que 20 lits. C’était ahurissant comme travail», se souvient le médecin.
Avec le début de la guerre, il est obligé de quitter sa maison, une première fois, le 14 avril 1975. «Notre maison était collée à l’église Mar Mikhael, là où les évènements ont commencé. Je suis le premier déplacé de la guerre», confie le député. Il y reviendra quelques jours avant de l’abandonner définitivement en octobre 1975. C’est avec émotion qu’il raconte: «Cette maison a été pillée et brûlée par les Palestiniens que j’avais servis pendant plus de 15 ans et que je transportais, la nuit dans ma voiture, de leurs camps aux hôpitaux pour les soigner». En 1999, il cède pour un prix dérisoire une demeure de 200 ans d’âge au wakf maronite de Chiyah. A partir de 1976, il habite la région de Mar Takla et rejoint l’hôpital du Sacré-Cœur où il n’y avait pas encore de maternité. Il crée alors le département d’obstétrique gynécologie et en devient le chef de service, fonction qu’il occupe à ce jour. C’est à Mar Takla qu’il fait la connaissance du général Michel Aoun dont il devient un fervent militant au sein du Courant patriotique libre. Son cheval de bataille est depuis toujours la lutte contre la corruption. «Chaque individu qui fait prévaloir ses intérêts personnels sur les intérêts de l’Etat est un corrompu. Nous luttons contre la corruption. C’est notre choix et c’est la raison de notre présence en politique», affirme Gharios. Il estime que, durant les deux années que le général Aoun a passées au pouvoir, il a dit tout ce qu’il avait à dire au peuple libanais et à ceux de la région. «Il percevait déjà le complot qui se profilait et il a toujours demandé aux musulmans et chrétiens de rester unis», dit-il. Malgré l’exil, la relation entre les deux hommes se poursuit et le député, en compagnie de son épouse, se rend plusieurs fois en France pour rencontrer le général. «Notre relation est familiale et amicale avant d’être politique. Il nous a toujours dit de ne jamais avoir recours aux armes et d’utiliser les mots pour convaincre. Il a demandé à chacun de faire de la résistance selon ses moyens», indique le médecin. A cette époque, il ne pense pas à la politique. Ce n’est qu’en 2005, avec le retour du général Aoun, qu’il est candidat aux élections législatives dans la région de Baabda-Aley. «J’étais le seul à sourire de cette défaite. Quand on m’a posé la question, je leur ai répondu que c’est le premier échec de ma vie et maintenant je sais au moins ce que c’est que de perdre». En 2009, il est élu député. «Je pensais qu’en devenant député et membre d’un bloc important, j’allais contribuer à l’élaboration des lois. Pourtant, malgré le retrait de l’armée syrienne, nous souffrons encore de la mentalité qui prévalait alors. Il y avait un chef qui travaillait pour ses intérêts et ceux de ses proches et qui considérait les citoyens comme ses clients. Notre but est de construire un Etat au sein duquel les gens seraient traités comme des citoyens. C’est une tâche difficile, mais nous ne baissons pas les bras», confie Naji Gharios. L’aspect social et les services médicaux et sociaux sont des secteurs auxquels ses parents l’ont initié. D’ailleurs, son épouse Sonia Achi, assistante sociale de formation est encore plus impliquée que lui dans ce domaine. «Ma femme possède un grand charisme et les gens viennent tout naturellement vers elle», dit-il. Ils sont parents de deux enfants, une fille et un garçon, Jihane et Camille. Si Camille est toujours célibataire, Jihane, mariée au Dr. Carlos Adem, leur a donné le grand bonheur de devenir grands-parents de deux petites filles et bientôt d’une troisième. Pour lui, la famille est très importante et il manifeste un grand respect envers la femme. «L’homme n’est pas seul le chef de la famille. Le véritable chef de famille, c’est la femme car elle a été élevée et formée à tenir ce rôle. Quand la mère décède la famille se disloque, alors que si c’est le cas du père, la famille se resserre et s’unifie», estime Naji Gharios. Pour ce médecin, qui a à son actif environ 27000 accouchements et 15000 opérations, l’être humain doit être honnête dans son travail, d’abord vis-à-vis de lui-même avant de l’être à l’égard des autres. Son amabilité et sa simplicité le rendent proche des gens. Avec ses adversaires politiques, il entretient des relations courtoises «même si nous nous opposons radicalement en politique. Je leur dis les choses en face, mais nous n’entretenons aucun lien d’intimité». Joëlle Seif

Sa rencontre avec Aoun
A Mar Takla, où s’installe finalement Naji Gharios, vivaient la plupart des officiers de l’armée, en particulier le général Michel Aoun, mais ce n’est qu’en 1984 que les deux hommes se rencontreront. «Quand j’ai connu le général Aoun, il était encore commandant de la huitième brigade. J’ai tout de suite senti à quel point cet homme était instruit et cultivé. Il avait une grande expérience dans plus d’un domaine, surtout en politique et en économie internationales, la construction de la société, de l’Etat, la manière de traiter entre les différentes religions. C’est quelqu’un qui peut vous parler pendant des heures de n’importe quelle religion en vous citant des noms et des dates. Pour moi, Michel Aoun est une encyclopédie et je le considère comme un érudit mondial», raconte Naji Gharios. Pour le député de Baabda, le général Michel Aoun a séduit les gens par son savoir et ses principes. «On n’a pas été vers lui, c’est lui qui est venu vers nous avec ses idées. Il aurait pu vivre comme tous les autres, mais lui, a une mission, celle de construire l’Etat libanais. C’est ce qui l’a poussé à lancer aux Libanais son fameux, «O grand peuple du Liban» (Ya chaab loubnan el azim). Je l’ai connu en tant qu’être humain et non en tant que chef, c’est ce qui est le plus important. C’est un homme qui n’a pas changé et qui a su rester le même. Malgré tout ce qu’il a connu, il a toujours le même but et la même mission. Il est plus qu’un leader, c’est un être humain», confie le député.  

Ce qu’il en pense
-Le document d’entente entre le CPL et le Hezbollah: «D’abord c’est un accord entre Libanais avant d’être un accord entre le général Michel Aoun et sayyed Hassan Nasrallah. Avec la pratique, du retard est apparu dans l’application de certains articles, en particulier ceux concernant la création d’un Etat véritable. Nous sommes convaincus, en tant que CPL, que les communautés ne représentent pas un handicap pour la création d’un Etat. Bien au contraire, au lieu de les éliminer, nous voulons utiliser le potentiel de ces communautés pour créer une société civile. C’est pour cela que les gens disent que nous sommes à deux vitesses différentes. Stratégiquement, nous sommes avec le Hezbollah mais nous aimerions aussi qu’il y ait d’autres priorités que la lutte contre Israël. Celle-ci n’est pas une excuse pour ne pas construire un Etat».
-Ses Loisirs: «Depuis que l’Etat n’assure plus les services, les seuls loisirs que j’ai c’est d’en rendre aux gens. Pourtant, j’aime bien la marche et la natation».
-Sa devise: «Je préfère vivre pauvre dans une nation riche plutôt que de vivre riche dans un pays pauvre». Une devise écrite par lui-même et qu’il a fait encadrer dans un tableau, accroché bien en évidence sur le mur de sa clinique.

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