Magazine Le Mensuel

Nº 2856 du vendredi 3 août 2012

general

Alep. La guerre ouverte

Sous l’œil impuissant de la communauté internationale, les combats qui font rage dans la deuxième ville de Syrie, jusque-là épargnée par le soulèvement, témoignent d’un rééquilibrage des forces. Désormais, dirigée depuis la Turquie, la rébellion, mieux équipée, tente de prendre l’un des bastions symboliques d’un régime certes affaibli mais toujours en vie après l’attentat de Damas.

L’Armée syrienne libre (ASL) cherche en vain à se renforcer. Le 27 juillet, l’agence Reuters, citant des sources des pays du Golfe, révélait que les autorités turques, avec leurs alliés saoudiens et qataris, avaient installé une base secrète dans la ville d’Adana pour fournir aux rebelles syriens une assistance militaire et un appui logistique dans les communications. Ce centre névralgique, situé à une centaine de kilomètres de la frontière syrienne, a été mis en place à la demande du vice-ministre des Affaires étrangères saoudien, le prince Abdel Aziz Ben Abdallah Al Saoud, après une visite en Turquie. L'existence de cette base clandestine contrôlée par les services de renseignement des puissances régionales peutexpliquer comment les rebelles syriens, jusque-là fractionnés, mal armés et mal organisés, ont récemment pu orchestrerdes attaques majeures, à l'image de l'attentat à la bombe du 18 juillet à Damas. Mais elle illustre également la prudence, voire l’impuissance des Occidentaux, qui ont joué un rôle majeur l'an dernier dans l'éviction de Mouammar Kadhafien Libye, mais qui ont évité jusqu'à présent de s'impliquermilitairement en Syrie.

Alep, le Benghazi syrien?
Avec l’aide de plusieurs anciens généraux de l’armée régulière, le centre de commandement de l’ASL a donc décidé d’attaquer la ville d’Alep. Pour les insurgés, la ville est la clé de voûte pour le renversement de la situation militaire. Pour le régime, il s'agit de ne pas perdre l'un de ses bastions. Alep, centre économique majeur au nord de la Syrie est, depuis plus d'une semaine, au cœur du conflit. Après avoir lancé la bataille de Damas avec plus ou moins de succès, les insurgés ont décidé de libérer la deuxième ville du pays. Le 22 juillet, dans une vidéo postée sur Youtube, le colonel Abdel Jabbar al-Okaidi, commandant de l'Armée syrienne libre (ASL) proclamait «le lancement de l'opération visant à libérer Alep des mains tachées de sang de la clique d'Assad». Mais, pour la rébellion, la tâche s’annonce ardue.
Avec ses activités industrielles, la ville a toujours attiré une classe bourgeoise commerçante et conservatrice que Bachar el-Assad a su favoriser. Les hommes d'affaires ont donc été plus enclins à le soutenir. La ville est d'ailleurs restée longtemps éloignée de la révolte. Et puis, avec ses deux millions d’habitants, Alep accueille de nombreuses minorités chrétiennes, kurdes, arméniennes, chiites et alaouites. Pas sûr que ces populations prennent fait et cause pour l’ASL qui peut compter sur une bonne partie de la communauté sunnite plutôt défavorisée.
Pour l’opposition, la ville revêt une importance capitale. Contrôler cette métropole située à une cinquantaine de kilomètres de la Turquie, c'est assurer l'approvisionnement en armes – achetées notamment au Qatar – et instaurer une zone de sécurité sur tout le nord du pays. La création d'un couloir sécuritaire qui relierait Alep à la Turquie pourrait faciliter les relations avec le commandement de l'ASL. Lundi, la rébellion a pris un important poste de contrôle à Anadan, permettant de relier cette ville à la frontière distante de 45 kilomètres.

L’équilibre de la terreur
«Alep, la mère des batailles», titrait le journal al-Watan la semaine dernière. «Toutes les forces antisyriennes se sont rassemblées à Alep pour lutter contre le gouvernement», a assuré dimanche le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem, «et elles seront sans aucun doute vaincues». Après avoir investi de nombreux quartiers, l’opposition fait face depuis ce week-end à une vaste contre-offensive de l’armée régulière.
La rébellion a dépêché à Alep plusieurs milliers de combattants, venant essentiellement du nord du pays. Dans leurs paquetages, un gros arsenal d’armes légères et moyennes, principalement récupérées lors des combats avec l’armée, propices aux combats de rue. Postés à l’est autour du quartier de Sakhour et dans le centre près de la vieille ville, l’ASL a installé son centre de liaison aleppine dans les quartiers ouest de Seif el-Dawla et de Salaheddine. C’est là que les combats semblent les plus acharnés. Tout au long de la semaine dernière, l’armée régulière a posté des chars et des héliports de combat autour de ces zones. Elle a donné l’assaut dans la matinée de samedi. Des hélicoptères, des tanks et des chasseurs bombardiers Mig pilonnent la ville depuis plusieurs jours. Le combat semble déséquilibré. Le président du CNS, Abdel Basset Sayda, a demandé aux Occidentaux de fournir les rebelles en armes «capables d'arrêter les chars et les avions de combat». Les roquettes antichars, des lance-roquettes et des kalachnikovs risquent de ne pas faire le poids très longtemps.
Environ 200000 personnes ont, en effet, fui Alep depuis le début des combats, selon l'Onu. «Beaucoup de gens ont trouvé refuge temporairement dans des écoles et d'autres bâtiments publics, dans des zones plus sûres», a expliqué le 29 juillet la responsable des opérations humanitaires de l'ONU, Valerie Amos. Les habitants d'Alep se réfugient aussi dans des villages contrôlés par les rebelles ainsi qu'en Turquie, qui craint un afflux massif de déplacés.
 

Impuissance internationale
Les combats ne font pas rage qu’à Alep, le nouveau commandant de la mission d’observation de l’ONU, le lieutenant Babacar Gaye, dont le convoi a été attaqué dimanche par l’armée syrienne selon le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a rapporté avoir pu constater par lui-même le pilonnage de l’armée syrienne. «C'était un pilonnage continu des quartiers de la ville. Je suis allé à Rastane, la ville a subi d'énormes dégâts. Il y avait aussi des chars de l'armée gouvernementale, détruits et abandonnés sur les routes principales».
L'émissaire international pour la Syrie, Kofi Annan, s'est d’ailleurs dit «inquiet (…) face à la concentration de troupes et d'armes lourdes autour d'Alep». Le secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil el-Arabi, a lui dénoncé «des crimes de guerre», commis en Syrie, «notamment à Alep». Léon Panetta, secrétaire américain à la Défense, a expliqué que, selon lui, l'offensive contre Alep ne «fait que creuser la tombe du régime de Bachar el-Assad».
Dans un communiqué, dimanche 29 juillet, le Conseil national syrien appelle à une réunion du Conseil de sécurité de l'Onu, à l'instauration d'une zone d'exclusion aérienne et de zones sécurisées pour les déplacés syriens.
En France, le président de la République, François Hollande, a affirmé que «cela sera le chaos et la guerre civile si Bachar el-Assad n'est pas à un moment empêché», appelant ainsi de ses vœux une intervention du Conseil de sécurité de l'ONU. Quelques heures plus tard, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a annoncé que la France, qui prend la présidence du Conseil de sécurité de l'ONU le 1er août, allait demander «avant la fin de la semaine la réunion du Conseil de sécurité, probablement au niveau ministériel, à la fois pour essayer d'arrêter les massacres, et en même temps pour préparer la transition politique». La Russie et la Chine devraient néanmoins continuer à s'opposer à tout projet de résolution contre le régime de Bachar el-Assad au Conseil de sécurité.
«Les positions de la Russie, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne ne sont pas aussi éloignées qu'on le dit parfois, a indiqué le Premier ministre russe, Dmitri Medvedev, dans un entretien publié lundi par le quotidien britannique The Times. «Nous sommes tous sur la position que le pire serait une guerre civile en Syrie. Je ne sais pas exactement quel sera l'équilibre politique à l'avenir, et quelle place y aurait Assad», a-t-il indiqué au quotidien.
«Cela doit être décidé par le peuple syrien. Nos partenaires nous exhortent à soutenir des actions plus fermes. Mais la question est alors posée: où s'arrêtent les résolutions et où commence l'action militaire?»

Julien Abi-Ramia

 

Le malheur des journalistes
La chaîne de télévision du Qatar al-Jazira a annoncé que l'un de ses journalistes, Omar Khachram, a été blessé lundi à Alep, en Syrie, et évacué en Turquie où il a été hospitalisé. Le journaliste français freelance Pierre Torres, donné dimanche pour blessé, a affirmé lundi 30 juillet à l'AFP être sain et sauf et n'avoir jamais été touché.

Méthodes de guerre
Les rebelles utilisent des méthodes qui n’ont rien à envier à celles du régime baasiste. C’est une anecdote qui tourne sur les réseaux favorables au régime d’Assad. Au cours de leur avancée vers Alep et avec un cynisme macabre des rebelles de l’Armée Syrienne Libre (ASL) forcent deux jeunes soldats – probablement des appelés vu leur jeune âge – à téléphoner à leurs parents respectifs pour leur dire : «j’ai attrapé des rebelles de l’ASL, qu’est ce que j’en fais? Je les tue ou je les laisse partir?». Le premier soldat est sauvé par la bonne réponse de son frère, alors que le deuxième soldat est condamné à mort par la mauvaise réponse de son père. Un des rebelles annoncera à ce dernier: «Tu viens de condamner ton fils à mort».

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