Magazine Le Mensuel

Nº 3082 du vendredi 6 octobre 2017

Focus Proche-Orient

Deir Ezzor. Un commandant du Hezbollah raconte la bataille

Tous les regards convergent vers Deir Ezzor, en Syrie, où les troupes loyales au régime du président Bachar el-Assad ont traversé la ligne stratégique de l’Euphrate. Dans ces batailles de l’est de la Syrie, le Hezbollah joue un rôle important, notamment au niveau de l’infanterie, du déminage et de la logistique. Magazine a rencontré un commandant du Hezbollah, en permission pour quelques jours au Liban.

Début septembre, l’armée syrienne a brisé le siège de l’aéroport militaire de Deir Ezzor qu’imposait depuis trois ans le groupe Etat islamique (EI). «La Russie et l’Iran ont pris la décision stratégique de reprendre la Badia (steppe s’étendant entre la Syrie et l’Irak)», explique le commandant s’exprimant sous couvert d’anonymat.
Dans le cadre de la levée du siège de l’EI, le Hezbollah a félicité lors d’un communiqué «la Syrie résistante, en la personne de son président, de sa direction, de ses forces armées héroïques, et de son peuple qui a patienté et a consenti à d’énormes sacrifices pour remporter une grande victoire sur le terrorisme». Une victoire qui a ouvert la voie à la libération des zones restantes contrôlées par l’organisation terroriste dans l’est syrien, notamment Bou Kamal et Mayadeen. «Ces zones sont stratégiques, notamment pour ce qui est de la sécurité frontalière de la Syrie et de l’Irak ainsi que du Hezbollah. Sinon comment relier l’Iran au Liban?», s’interroge le commandant. L’officier assure que plus de 8 000 combattants du Parti de Dieu auraient été déployés dans la Badia, dont 70% de l’étendue serait désormais entre les mains des forces pro-régime.

Une véritable armée
Selon le commandant, cette région présente de nombreuses difficultés en raison de l’étendue de la steppe, du climat désertique et des tempêtes de sable qui freinent l’avancée des combattants. «Le Hezbollah est (désormais) une armée. Nos troupes opérant dans le secteur comportent différents corps tels l’infanterie, les forces spéciales, l’artillerie, les tanks et les services logistiques et de soutien (comme le soutien médical et de ravitaillement)», explique-t-il.
L’opération de grande envergure lancée par les forces pro-régime dans cette région stratégique riche en ressources naturelles est coordonnée par une chambre d’opération qui comprend les Iraniens, les Syriens et le Hezbollah.
Dans un déploiement typique, le Hezbollah dirige l’offensive et assure le travail de déminage. «L’armée syrienne suit (les commandos du Hezbollah) et stabilise le secteur. Les unités d’ingénierie du Hezbollah décident ensuite de l’établissement des quartiers d’état-major et attribuent les tâches. La région est répartie en secteur et on décide de la logistique», ajoute-t-il.
Le commandant, très optimiste, estime que le reste de Deir Ezzor va rapidement tomber, notamment les villes de Mayadeen et de Bou Kamal, qui se trouvent en bordure de la frontière avec l’Irak. «Les Américains sont venus au secours de l’EI, en les laissant accéder à nos campements. Nous avons perdu 18 martyrs, dans la région entre Sukhna et Deir Ezzor», révèle l’officier. «Sans compter les chefs de l’EI qui sont héliportés». Le commandant se réfère à un rapport véhiculé par les médias syriens et russes faisant état de l’évacuation présumée de commandants de l’EI par l’armée américaine dans la province de Deir Ezzor. Une rumeur lancée par une source diplomatique militaire russe, qui aurait déclaré à l’agence de presse Sputnik qu’un avion des forces aériennes américaines avait évacué les dirigeants du champ de bataille d’EI de la ville de Deir Ezzor.

Près du Golan
Mais la région de Deir Ezzor n’est pas la seule à recevoir l’attention du Hezbollah. Selon le commandant, le parti chiite serait en train de consolider sa présence dans le sud de la Syrie.
En mai dernier, la Russie et l’Iran, alliées du président Assad, et la Turquie, qui soutient les rebelles, ont adopté un plan russe créant des «zones de désescalade», c’est-à-dire sécurisées. Ces zones ont été établies dans diverses provinces syriennes occupées par les rebelles. Une zone comprend la province d’Idleb (nord-ouest) où 1500 observateurs turcs, iraniens et russes seront déployés selon un récent rapport, et des secteurs de Lattaquié, Hama et Alep. Dans le centre du pays, une zone a été établie dans la province de Homs ainsi que plus au sud près de Damas, dans la Ghouta orientale, grand bastion rebelle. Mais c’est dans le sud que le bât blesse. Dans cette région, le plan de désescalade a permis un rétablissement relatif du calme, notamment dans les provinces de Deraa et Quneitra, contrôlées majoritairement par les rebelles. Mais le Hezbollah semble profiter de l’accalmie pour construire des fortifications. «Cette désescalade est tout à notre avantage», estime le commandant, qui assure que son parti serait en train de mener des opérations de reconnaissance, de percer des tunnels et d’installer des lance-roquettes dans le secteur. A l’instar de la Badia, le sud de la Syrie revêt une importance stratégique pour le Hezbollah et l’Iran, en raison de l’accès à la ligne de front israélienne à travers le Golan.

Mona Alami

Related

Caroline Galactéros, présidente du think tank Geopragma. Une nouvelle guerre froide, plus dangereuse que l’ancienne

Gilles Kepel: «Nous sommes dans les manœuvres d’un futur après-guerre»

40 ans après la révolution. L’Iran plie mais ne rompt pas

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.