Magazine Le Mensuel

Nº 3105 du vendredi 6 septembre 2019

general Talent

Diana Halabi. La briseuse de tabous

Artiste-peintre autodidacte, Diana Halabi a brisé tous les tabous par amour de l’art contemporain. Son histoire démontre que même issus d’un milieu modeste, conservateur et démuni, certains libanais résolus sont capables d’assouvir leur passion à tout prix.

Diana Halabi fait acte de rébellion au quotidien. Pour faire son apprentissage artistique, elle s’insurge contre les normes sociales et religieuses qui lui ont été inculquées, plus particulièrement en ce qui concerne le rôle des femmes.
Née dans les quartiers pauvres du vieux Saida, aux ruelles étroites et bruyantes, elle est la benjamine d’un couple démuni. A 7 ans, son père quitte l’école pour subvenir aux besoins de sa famille et de ses 11 frères et sœurs, son grand-père, violent et parieur invétéré, lui arrache souvent les quelques sous qu’il parvient à gagner. La mère de Diana avait abandonné l’école à dix ans, ses parents ne pouvant financer les études de leurs neuf enfants.
«Mon père est devenu chauffeur de taxi et par la suite camionneur. Ma mère a beaucoup souffert de ses conditions de vie et a toujours insisté pour que ma sœur et moi poursuivions des études universitaires. Alors que je passais mon temps à dessiner, elle insistait sur le fait que les études me seraient une arme précieuse pour mon avenir, en me conférant à la fois indépendance et liberté», explique Diana. Seuls six de la cinquantaine de cousins, dont Diana, sa sœur et son frère, parviennent à faire des études universitaires.
Un rêve venu du père. Au sein de cette famille où l’art est un phénomène abstrait, uniquement accessible aux classes supérieures, le père de Diana fait pourtant rêver sa fille en décrivant un tableau qu’il avait aperçu lors d’un déménagement qu’il avait effectué pour le compte d’une famille bourgeoise. «Mon père avait été émerveillé par le portrait d’une femme vêtue d’une robe transparente. Il ne comprenait pas comment l’artiste avait pu réussir à reproduire une telle transparence de manière aussi subtile sur une toile», se souvient Diana. Inspirée par les commentaires de son père, la petite fille tente de reproduire cette peinture qu’elle n’avait pourtant jamais vue. Elle n’aura cependant jamais l’occasion d’assister à une exposition ou à admirer des œuvres d’art, jusqu’à ses années universitaires.
Une fois admise à l’Université libanaise (UL), Diana choisit à contrecœur d’étudier l’architecture d’intérieur. Ses parents estiment que le parcours d’artiste est trop aléatoire et reste le privilège des classes plus aisées. «Mon meilleur ami a été tué lors de mon entrée en première année de maîtrise, J’ai alors réalisé que la vie était trop courte et j’ai donc décidé de tout laisser tomber et de me consacrer à l’art. Je séchais mes cours d’architecture pour assister aux cours d’art», ajoute Diana.
Lors de ces classes, elle rencontre l’artiste syrien Thaër Maarouf qui l’encourage à rejoindre son atelier et lui enseigne les bases de la peinture.
Pour survivre, elle fait de petits boulots comme serveuse, libraire ou assiste un sculpteur pour pouvoir s’acheter des pinceaux et de la peinture à l’huile. «Le matériel est très cher pour des personnes aux revenus limités, un tube de  peinture coûte près de 20 dollars, sans compter le prix des toiles et des pinceaux. J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer un collectionneur qui s’est intéressé à mes toiles et m’a encouragé à continuer à peindre en finançant mon matériel», précise-t-elle.
    
Manque de conformité
Hypersensible Diana transpose les drames de sa famille et, de manière plus générale, le quotidien de la classe ouvrière libanaise, dans l’intimité de ses œuvres. Sur la toile, l’artiste évoque le corps malade de son père, qui souffre d’un cancer. Elle strie d’explosions ou de jaillissements abstraits le visage défait d’un homme muré dans le silence ou les courbes d’une femme et de son enfant. Elle explore le contenu d’un réfrégirateur qui représente, à ses yeux, l’amour de sa mère pour ses enfants. «Mes parents n’avaient pas les moyens de m’emmener me promener à Beyrouth ou au parc d’attraction. Ma mère nous préparait un repas, c’était sa manière de nous montrer qu’elle nous aimait», ajoute Diane. Aux yeux de l’artiste, le réfrégirateur évoque un endroit réconfortant et chaleureux.
L’amour de Diana pour l’art n’est pas son unique manque de conformité aux yeux de son entourage. A 19 ans, l’artiste quitte la maison paternelle pour habiter seule à Beyrouth. «J’avais besoin d’indépendance et mon milieu ne le comprenait pas, bien que mon père et mon frère m’aient par la suite soutenue et compris que je devais sortir de l’ambiance étouffante et parfois malsaine de la société traditionnelle», commente-t-elle.
Grace à son talent, la jeune artiste peintre parvient à participer à plusieurs expositions dont le prestigieux Salon d’Automne du Musée Sursock et de Achkal Alwan, une association libanaise pour les arts plastiques. La directrice de l’organisation, Christine Tohmé, encourage Diana à poursuivre ses études en vue d’obtenir un master en art. «Elle se rendait compte que je me battais pour apprendre ce que les autres connaissaient déjà. Les jeunes artistes libanais ont pour la plupart fait des études dans de grandes universités libanaises ou étrangères. Ils comprennent parfaitement les concepts philosophiques ou politiques défendus par certains hommes célèbres comme Foucault ou Lacan, dont l’art contemporain est empreint et qui m’étaient totalement étrangers».
Bien que démunie, Diane décide alors de  s’inscrire à l’institut Piet Zwart, à Rotterdam. En six mois, elle parvient à lever 15 000 des 22 000 euros nécessaires aux frais universitaires et ses besoin personnels, en vendant quelques tableaux, mais surtout en ayant recours au Crowdfunding (un financement participatif sur une plateforme sur internet) et au soutien de certains collectionneurs et de ses amis. «Je n’ai toujours pas réussi à lever les fonds nécessaires à ma seconde année universitaire et ça été une source de stress. J’ai beaucoup pleuré et ça a été particulièrement difficile. Mais ce qui compte c’est que je puisse commencer quel qu’en soit le coût. Par la suite, j’aviserai», explique-t-elle, philosophe.

Mona Alami

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