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Nº 2851 du vendredi 29 juin 2012

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Discours sectaire exacerbé. Le désordre gagne les rues de Beyrouth

On attribue aux grands partis chiites et sunnites la faculté de contrôler leurs partisans. Mais à la faveur de l’embrasement inquiétant du front sunno-chiite, les plus échevelés, donc les plus dangereux, désobéissent aux consignes d’apaisement de leurs organisations de tutelle et passent à l’action. Sans Etat ni garants, les discours haineux font florès et le pays échappe à tout contrôle.

Dimanche soir, dans la grande émission politique d’al-Jadeed, cheikh Ahmad el-Assir a frappé fort. La nouvelle star de la mouvance islamiste libanaise a prévenu les responsables de la chaîne, ses attaques se concentreront sur Hassan Nasrallah et Nabih Berry. En cause, la mise en circulation d’un pistolet en plastique émettant un enregistrement audio insultant Aïcha, l’une des femmes du Prophète, qui symbolise l’antagonisme entre les communautés sunnite et chiite. «Des allégations sans fondement et basées sur des rumeurs», selon un communiqué de la Sûreté générale, dirigée par le général Abbas Ibrahim. Son communiqué est resté lettre morte. Mais ce sont deux autres phrases qui ont mis le feu aux poudres. «Je hanterai leurs nuits», déclarera Assir, à l’adresse du secrétaire général du Hezbollah et du chef du mouvement Amal. Plus loin, il prévenait que «Hassan Nasrallah paiera le prix» de l’arrestation d’un imam sunnite officiant dans le sud, Osman Honeini. Le lendemain, la chaîne s’excusera mais ça ne suffira pas. Ce lundi soir, elle devenait une victime expiatoire.

Réflexes inquiétants
Aux alentours de 21h30, deux Pajero argent et or s’arrêtent à l’entrée du siège d’al-Jadeed situé dans un immeuble de Tallet el-Khayyat. Cinq hommes encagoulés en sortent, armes de poing et pneus à la main. Le concierge de l’immeuble a le réflexe de sceller les portes. Il assiste impuissant au déploiement d’un commando de pieds nickelés. Tandis que deux des assaillants tirent en direction du bâtiment, d’autres se postent sur les rues adjacentes et brûlent des pneus. Quatre d’entre eux réussiront à prendre la fuite. Le dernier sera intercepté par les agents de sécurité de la chaîne et les services de renseignement de l’Armée, appelés au secours directement sur l’antenne d’al-Jadeed. Wissam Alaeddine est connu des services de police mais pour des affaires de drogue. Il a passé la nuit de lundi à mardi derrière les barreaux de la caserne Hélou des FSI, rue Verdun. Le lendemain, il sera opéré pour des brûlures datant de la nuit précédente.
Après les incidents autour de l’immeuble de la chaîne, certains quartiers de Beyrouth se sont enflammés. A Verdun, des tirs ont été entendus; entre Zokak Blatt et Béchara El-Khoury, l’armée a effectué des perquisitions. A Aïcha Bakkar, aux alentours de Hamra et du rond-point Fouad Chéhab, des jeunes ont bloqué avec les pneus brûlés les artères y menant. Le calme est revenu tard dans la nuit mais ces débordements sont devenus monnaie courante ces dernières semaines, créant un climat délétère que les autorités semblent vouloir refouler.
Plus tôt dans la journée de lundi, Marwan Charbel, affirmait tout de go que «la situation est bonne et la sécurité au Liban sera la meilleure de toute la région». Méthode Coué pour sauver la saison touristique? En tout cas, le ministre de l’Intérieur a annoncé des mesures exceptionnelles pour le mois de juillet afin d’enrayer les débordements. 

Politiques dépassés
Arrivé sur place, le ministre de l’Intérieur, qui n’a pas écarté l'existence d'une relation entre l’attaque contre al-Jadeed et l’interview d’el-Assir, a expliqué que «les agresseurs ne bénéficient d’aucune couverture politique», mettant en cause une «cinquième colonne». Cette colonne est décidément la parade ultime pour échapper aux responsabilités. Les soupçons portent plus précisément sur les organisations chiites. Lors de son premier interrogatoire, Wissam Alaeddine se serait déclaré membre des Brigades de la Résistance, une branche du Hezbollah créée dans les années 90. Une information démentie par le Parti de Dieu et le mouvement Amal, également mis en cause.
Nabih Berry s’est exprimé, avant même le président Sleiman et le Premier ministre Najib Mikati, pour condamner cette atteinte contre les médias. Une condamnation reprise par le député du Hezbollah Hassan Fadlallah. Reste à savoir comment l’ensemble des protagonistes va réagir à la situation. Quelques jours après les faits, le cheikh Ahmad el-Assir qui, sur sa page Facebook, a rendu public le profil d’Alaeddine, sympathisant chiite et du régime de Bachar el-Assad, dit ne rien regretter. Le garde des Sceaux, Chakib Cortbaoui, a assuré que «la justice remplira son rôle jusqu’au bout» et que toute le la lumière sera faite. Peut-on les croire?
L’importation de la crise syrienne sur le territoire libanais a révélé, de la manière la plus éclatante qui soit, non seulement l’impuissance, voire la crainte des services de sécurité du pays de devoir intervenir, mais aussi et surtout, les marchandages que sont prêts à faire les responsables politiques, au mépris de l’intérêt général et de la morale publique, pour calmer la rue en façade et engranger du capital électoral en sous-main. Mardi, al-Jadeed faisait état de négociations menées par certains partis politiques portant sur la libération de Wissam Alaeddine. Informations démenties par des responsables d’Amal et du Hezbollah.

Vers l’anarchie
Au-delà des récupérations de basse politique liées à cette affaire et qui deviennent mécaniquement la norme dans un pays sans Etat fort ni garants fiables, les événements de ces dernières semaines sont alarmants. Non sans lien avec les incidents de lundi, les manifestations de colère contre la vie chère, la pénurie de courant ou l’enlèvement des pèlerins chiites en Syrie entraînent le Liban dans une spirale incontrôlable. Ahmad el-Assir explique que «le point de non-retour a été franchi». Les discours de haine, l’inefficacité des gouvernements qui se succèdent au gré des équations régionales et, disons-le, les intérêts que tirent les partis politiques de cette situation, constituent des obstacles quasiment infranchissables pour ceux qui veulent renverser la vapeur.
Et le pire est peut-être à venir. En concédant que la Syrie était en état de guerre, Bachar el-Assad et ses opposants légitiment des violences qui se traduisent au Liban, que ce soit du côté des soutiens du régime ou de celui de ses contempteurs, par une escalade communautaire, chrétiens y compris.
Sans parler des discours politiques de plus en plus directs. Mardi, le bloc parlementaire du Futur expliquait que «les causes de ce qui s’est passé dans les rues de Beyrouth sont claires et évidentes. Il s’agit d’un avatar du phénomène de prolifération des armes non légales qui se produit sous le parrainage, la protection et la supervision de l’arsenal du Hezbollah». L’été commence sur les chapeaux de roue.

 

J. A-R.

 

Un plan sécuritaire renforcé
Lundi, à l’issue de la réunion du Conseil central de Sécurité, regroupant les directeurs des FSI, de la Sûreté générale, de la Sécurité d'Etat et de la gendarmerie, le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, a annoncé la mise en place d’un plan d’un mois, qui s’appliquera à partir du 4 juillet prochain, visant à renforcer la sécurité dans le pays.
Principales mesures: multiplication des patrouilles de jour comme de nuit, perquisition intensifiées pour arrêter les suspects, installation de barrages de contrôle mobiles sans notification préalable.

La presse, examen de conscience
Comme pour édulcorer les réactions politiques qui ont unanimement condamné l’attaque «contre la liberté de la presse» dont a été victime la chaîne al-Jadeed, les ordres de la presse et des journalistes ont adopté une position plus équilibrée.
Dans un communiqué conjoint, ils demandent certes «aux autorités policières et judiciaires de faire preuve de fermeté avec ceux qui chercheraient à bâillonner la presse», mais demandent aussi aux journalistes «de rester objectifs et d’observer le principe de réserve dans la mise en forme de l’information, de s’abstenir de diffuser ou de publier des informations avant de les avoir visionnées et vérifiées, de manière à respecter un certain équilibre dans la diffusion de l’information, enfin d’éviter tout ce qui peut constituer une atteinte au moral de l’armée et des forces de sécurité».

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