Magazine Le Mensuel

Nº 2865 du vendredi 5 octobre 2012

Festival

Festival de Jazz de Beyrouth. Sous le signe de l’émerveillement

Le week-end dernier, le centre de la capitale a résonné au rythme du Festival de Jazz de Beyrouth, organisé par Solidere pour la cinquième année consécutive. La scène, installée aux souks de Beyrouth, a accueilli, les 27, 28 et 29 septembre derniers, respectivement la formation al-Madar dirigée par Bassam Saba, le trompettiste cubain Arturo Sandoval et le musicien-interprète britannique, Charlie Winston. Quand musique rime avec plaisir…

Al-Madar
Entre l’ici et l’ailleurs

Le coup d’envoi du Festival de Jazz de Beyrouth est donné le jeudi 27 septembre avec un retour aux sources. Un souffle venu d’Orient a envahi la capitale, métissé à des sons d’ailleurs. Des sons issus des quatre confins de la terre. Conçu et dirigé par Bassam Saba, figure connue du monde de la musique orientale et directeur de l’Orchestre arabe de New York, la formation al-Madar se distingue par une musique qui puise de multiples influences, orientales, espagnoles, indiennes, latines… pour propulser le public sur un terrain en même temps familier et étranger. Le monde de la fusion musicale, de l’expérience du métissage, du rapprochement des peuples, au-delà des différences et des mots, par la musique, en unisson, en communication, en communion. En synergie.
Musicien multi-instrumentiste, Bassam Saba joue du oud, du nay, de la flûte et du bansuri, (flûte indienne), troquant tour à tour un instrument pour un autre, déposés en face de lui. Il est accompagné sur scène d’April Centrone à la batterie et aux percussions arabes, de Timba Harris au violon et à la trompette, de Gyan Riley à la guitare et de Brian Holtz à la basse. Véritable chef d’orchestre, il dirige ses musiciens au cœur de la musique, pour aiguiser la perception de chaque spectateur, le mener, dès les premières notes dans un champ d’inconnus, de possibles, d’imageries suggestives. Pour le surprendre ensuite, encore et encore, au détour d’une variation musicale, au détour d’une nouvelle note qui surgit, étrange, intrigante, pour s’harmoniser aussitôt avec celle qui l’a précédée et celle qui va suivre. Et le lâcher d’un coup, au moment où l’imaginaire se débride, s’étire, se contorsionne, s’amplifie. Pour le retrouver finalement, enrichi, aguerri, apaisé, quelques minutes plus tard, quelques notes de plus et après bien des images qui se bousculent, s’emboîtent, créant impressions et sensations. Vous vous retrouvez tantôt au bord d’une rivière indienne, tantôt au cœur d’une valse doucereuse, avant de retrouver le parfum de la terre du Sud. Nassim min al janoub, Fantasy, Afro-Cola… les compositions de Bassam Saba se meuvent sur un terrain sûr, parfaitement maîtrisé, intenses, denses.
La musique d’al-Madar se joue de toutes les variations possibles, enchaînant tour à tour mouvements lents et mouvements rapides, des solos, des duos et des mouvements d’ensemble. C’est surtout Bassam Saba qui détonne par son jeu et sa maîtrise de chaque instrument. Tantôt il caresse les cordes de son oud pour en extraire un son clair, limpide, éthéré, vibrant, audacieux. Quand il s’empare de son nay, le silence se fait douceur, plainte, sensualité, langueur. Et la flûte s’électrise, toujours en nappes vaporeuses.
Le premier concert du Festival de Jazz de Beyrouth s’est achevé en toute spiritualité, au bout d’une heure de musique environ, à cheval entre l’Orient et l’Occident, le passé et le présent, le nouveau et le renouveau.

Arturo Sandoval
Et le bien-être vous envahit

Deuxième concert au programme, le vendredi 28 septembre avec le trompettiste cubain Arturo Sandoval. Sa réputation avait enrobé cette soirée de grandes expectatives. On savait que le concert allait être exceptionnel. On s’y était préparé. Mais peut-être pas à ce point-là. Pas au point de sentir tout votre corps envahi par une onde de chaleur, un bien-être foudroyant, qui vous saisit dès le premier souffle de trompette. Qu’elle mugisse, crie, s’essouffle, reprenne souffle; qu’elle cingle la nuit, transperce l’esprit, s’amuse à le caresser; la trompette d’Arturo Sandoval s’effeuille au fil des images qu’elle suggère. Et parce que la musique est avant tout un plaisir, Sandoval semble tellement s’amuser sur scène, se déhanche, chante, discute avec l’audience, mime par vocalises le son de tel ou tel instrument, que le public est sous hypnose.
Décontracté, il ne cesse d’encourager la foule à se laisser porter par la musique au cœur de Beyrouth. «We love it here», lance-t-il au début de la soirée. Et le public libanais le lui rendra bien. Devant lui, un set de percussions et un synthétiseur sur lesquels il jouera quand il délaissera sa trompette, pour donner le ton, ajouter une nouvelle sonorité à la musique, ou suivre les musiciens qui l’accompagnent. Le contrebassiste fait tonner son instrument de groove en groove, de puissance en subtilité. Le batteur donne le rythme tout en nuances et en énergie. Le pianiste jongle entre son piano et son synthé en fonction des exigences du morceau. Accompagnant les musiciens, comme invité spécial, le percussionniste libanais Rony Barrack, qui fera résonner, à plus d’une reprise, sa darbouka arabe. Et Sandoval ne cessera de l’encourager à se lancer en solo, pour avoir le plaisir de s’essayer avec lui à de nouvelles improvisations, pour introduire une touche de subtilité occidentale au cœur du battement explosif et oriental de Barrack.
Improvisations orientales également, Bassam Saba rejoint la scène, l’espace d’un morceau. Plaisir de la musique, un duo s’enclenche. Le oud résonne par petites notes, imitées au synthé par Sandoval. Puis la trompette rejoint la valse du oud. Un son. Un instant magique. Et voilà que votre souffle se coupe d’un coup. Un cri d’admiration émerveillée affleure à vos lèvres.
Les minutes s’écoulent et le temps se suspend. Durant deux heures environ, Sandoval et ses musiciens se donnent à fond, généreux, enthousiastes, entraînants. Les morceaux s’enchaînent. La musique se fait célébration. Arturo Sandoval s’installe face au piano, sa passion première, comme il l’explique. Et le clavier crépite. Puis le pianiste libanais Arthur Satyan est invité à son tour sur scène l’espace d’une chanson Joy Spring. La soirée est sur le point de s’achever sur un grand morceau: A Night in Tunisia, de Dizzy Guillespie. De sonorités en improvisations, Sandoval invite la foule à danser, alors qu’il incite encore Rony Barrack à entamer un rythme oriental entraînant. «A night in Beirut», crie-t-il, à mesure qu’il scande le rythme par un «Habibi Habibi», Rony Barrak lui ayant, à sa demande, appris un mot en arabe. «Habibi Habibi», répète la foule. Le dernier mot sera à la trompette, un son de plus en plus fort emplit le cœur de Beyrouth. Jusqu’à l’extase.
Les musiciens font leur révérence et s’éclipsent, pour revenir aussitôt sous les vivats et les applaudissements. «Are you sure you want another one?», demande Sandoval à un public entièrement conquis. Et devant sa réponse affirmative et enthousiaste, il impose sa condition: qu’on se retrouve tous juste en face de la scène pour donner libre cours à nos corps dansants. Aussitôt demandé, aussitôt fait. Et c’est une fin de soirée enchantée. On quitte les souks de Beyrouth, le cœur tellement plus léger, le corps détendu, le rire à l’âme, comme métamorphosée, comme guérie… Arturo Sandoval, quel maître enchanteur!

Charlie Winston
Ou la jouissance des sens

Le Festival de Jazz de Beyrouth s’est terminé, le samedi 29 septembre, dans une implosion de sonorités diverses, éclectiques, endiablées. A l’image du jeune chanteur d’origine britannique qui a conquis la France par une seule chanson Like a Hobo avant que son succès ne devienne international, faisant de lui l’artiste ayant vendu le plus de disques en 2009, juste après Black Eyed Peas.
Au cœur de Beyrouth, Charlie Winston a mené son concert tambour battant. Plus qu’un simple concert, c’était un vrai spectacle. La scène reste presque plongée dans le noir, rehaussée par un léger éclairage. Charlie Winston fait son apparition. Face au micro il salue le public en trois langues, anglais, français et arabe avec un «Kifkoun?». Armé de sa guitare acoustique, il fait résonner les premières notes, puissantes, avant que les musiciens ne le rejoignent sur scène. «We love the energy here», lance-t-il encore. Et le concert débute. C’est un show, un vrai show que Charlie Winston offre au public. Jeunes ou moins jeunes, surtout jeunes, les spectateurs se laissent emporter par l’énergie que les musiciens mettent en scène.
Charlie Winston ne cesse de manipuler guitare acoustique et guitare électrique au fil des chansons qu’il entonne, n’hésitant pas à se placer également derrière le synthétiseur. Véritable bête de scène, il entonne tubes et chansons de sa voix puissante, rauque et les riffs électrisants se succèdent à la guitare. Les musiciens qui l’accompagnent sont, eux aussi, animés par la fièvre du spectacle. Batterie, basse, synthé, harmonica, ils dansent, sautent sur scène, haranguent la foule, l’incitent à se lever, à danser, à les rejoindre dans leur euphorie. Facétieux, rigolards, ils ajoutent du piment à une scène déjà épicée. L’harmoniciste ne se lasse pas d’esquisser des mouvements de danse swinguant entre disco et techno, avec de larges mouvements des bras et des jambes. Quant au pianiste, pourquoi pas, quelques mouvements rapides de had-banging. Tout était permis ce soir-là. Implosion des sens, des corps. Implosion de la musique.
Au bout de quelques chansons, le public ne tarde pas à montrer son enthousiasme grandissant. On se lève, on applaudit, on commence à danser parmi les sièges. Des deux côtés de la scène, les plus jeunes s’attroupent, pour mieux se laisser aller à leurs cris, à leurs applaudissements, à leur danse. Charlie Winston les prend au jeu, se prend au jeu, spontanément. Il quitte la scène, et déambule parmi les sièges, pour le plus grand plaisir des spectateurs dont pas un seul ne reste assis, applaudissant à se rougir les paumes, lançant cris et sifflements. Ils en demandent et encore.
Ambiance gig amplifiée, Charlie Winston s’empare à plusieurs reprises du micro, non seulement pour chanter, mais pour discuter avec ses fans. Et voilà qu’il explique pourquoi un festival de Jazz l’accueille, alors que sa musique ne fait pas partie du genre. C’est qu’elle est inclassable, puisant de ça et de là, métissée, donc ouverte à tous les possibles, s’intégrant à tout genre de festivals. Pour le plus grand bonheur de Beyrouth et de ses fans libanais.
Aventurier, audacieux, funambule, Charlie Winston n’a pas peur d’emmêler, au cœur de ses compositions, sonorités anciennes et nouvelles, sons attendus et inattendus. Sa musique est à tendance plutôt pop, même si souvent percent des intonations rock, folk. Du rap aussi. Parfois, plane sur le concert une impression de style cabaret ou de fête foraine, avec des samples délirants au synthé qui scandent la mélodie, le rythme, et emmènent l’audience sur un terrain musical expérimental, maîtrisé de bout en bout. Et jouissif.

Nayla Rached

 


 

Dhafer Youssef à Liban Jazz
Retour pour une nouvelle expérience

Liban Jazz reçoit le Sextet de Dhafer Youssef le mardi 16 octobre au Music Hall. Le oudiste tunisien sera notamment accompagné du guitariste Aivind Aarset et du trompettiste Nils Petter Molvaer, pour présenter son nouveau projet. Youssef réserve, pour sa quatrième visite au Liban, un concert qui promet être unique en son genre.

Dhafer Youssef est de retour au Liban, de retour à Liban Jazz. Figure désormais célébrée par tous les Libanais, figure incontournable du Festival Liban Jazz lancé il y a un peu moins de dix ans par Karim Ghattas. Le nom de Dhafer Youssef est presque lié à ce festival. Et pour cause, il était parmi les premiers invités de la première édition en 2004 qui se tenait à l’époque à l’amphithéâtre de Zouk Mikaël. Peu de gens connaissaient alors ce musicien d’origine tunisienne. Et ce fut la révélation. Depuis, le nombre de ses fans libanais ne cesse de grandir. C’est que Dhafer Youssef arrive à subjuguer son public dès les premières minutes. Sa musique égrène un scintillement passionnel de mille et une images, une émotion taillée dans le vif. Sa voix particulière monte dans les aigus les plus extrêmes. Ses compositions à cheval entre l’Orient et l’Occident révèlent sa véritable identité musicale. Et c’est ce qui ne cesse de passionner le public libanais.
Ayant grandi, dans sa Tunisie natale, au contact des chants traditionnels de l’islam qu’il pratique dès son plus jeune âge, il apprend, au fil des ans, à jouer au oud en autodidacte, avant de prendre la direction de Vienne où il enchaîne rencontres et nouvelles aventures musicales. Sa voix exceptionnelle et ses compositions originales, enracinées dans la tradition soufie mais métissées de diverses influences, plaisent au public.
Le succès va croissant jusqu’au moment où il enregistre son premier album, en 1998: Malak le propulse comme un artiste prometteur et intéressant sur la scène du jazz et de l’improvisation. En 2002, il enregistre son second album, Electric Sufi, où il introduit les musiques électroniques et le funk au jazz et au mysticisme oriental. En 2003, Dhafer Youssef atteint au plus haut niveau la maturité du métissage des influences; son album Digital Prophecy, est une alliance de groove oriental et de transe chargée.
En 2006, année de la sortie de Divine Shadows, il participe aux côtés d’autres artistes au «concert en blanc» organisé par Karim Ghattas et Liban Jazz, à Paris, en signe de solidarité avec le Liban pris dans la tourmente de la guerre israélienne.
En 2010 toujours dans le cadre de Liban Jazz il avait présenté au public libanais son dernier album, Abu Nawaz Raphsody, à travers lequel il avait délaissé la vague électronique pour un retour aux sources, à l’acoustique, au jazz. Il était accompagné du très jeune pianiste Tigran Hamasyan, du contrebassiste Chris Jennings et du batteur Mark Giuliana.
Et Dhafer Youssef revient une quatrième fois à Liban Jazz pour présenter son nouveau projet en avant-première, des extraits de son nouvel album en gestation. Ce projet marque également le retour dans le groupe de Youssef, du guitariste norvégien Eivind Aarset avec qui il a collaboré de longues années. Au Dhafer Youssef Sextet se joindra également le trompettiste norvégien Nils Petter Molvaer, figure familière de Liban Jazz. Le rendez-vous est fixé au mardi 16 octobre, au Music Hall, à 21h. Un concert unique, à ne pas rater!

N.R.
 

Billets en vente au Virgin Megastore: (01) 999666.

Rock Lebnani Festival
Le vendredi 12 octobre, un festival de rock rassemblera à l’Hippodrome de Beyrouth, sept groupes de rock libanais, qui joueront leurs compositions originales. Au programme: Nashaz, The Incompetents, Zeid and the Wings, The Kordz, Lazzy Lung, Meen, Adonis.
Hommage donc au rock libanais, dès 17h, à l’Hippodrome de Beyrouth, et jusqu’après minuit.
Billets en vente, à 20 $, au Virgin Megastore.


 

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