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Nº 2895 du vendredi 03 Mai 2013

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Le drone inconnu. Message de dissuasion ou piège israélien

Alors que la Syrie se retrouve de nouveau au cœur des préoccupations internationales, avec l’emploi supposé d’armes chimiques sur le terrain, l’affaire du drone inconnu abattu par Israël, jeudi dernier, continue d’alimenter les suppositions. Le Hezbollah dément y être impliqué. Reste à savoir qui est derrière ce drone et pourquoi.

Les événements semblent se précipiter ces derniers jours, tant en Syrie, où les combats font rage, qu’au Liban, d’où serait parti un drone – pour l’heure non identifié – abattu par Israël, alors qu’il survolait la baie de Haïfa. Le jeudi 25 avril, un communiqué militaire israélien révèle qu’un «avion sans pilote repéré alors qu’il approchait de la côte israélienne a été intercepté et abattu par l’aviation israélienne à cinq milles nautiques au large de Haïfa». A Tel-Aviv, les accusations fusent immédiatement. Dans la ligne de mire des Israéliens, le Hezbollah, coupable tout désigné depuis l’opération «Ayyoub», effectuée le 6 octobre 2012, au cours de laquelle la Résistance avait envoyé un drone survoler le territoire israélien, avant d’être finalement abattu par un avion de combat israélien au-dessus du désert du Néguev, à proximité de la centrale de Dimona. A la radio militaire, jeudi de la semaine dernière, le vice-ministre de la Guerre, Danny Danon, fait aussitôt le rapprochement, estimant qu’il s’agit d’une «nouvelle tentative du Hezbollah de faire pénétrer un avion sans pilote en Israël». «Nous sommes prêts et nous agirons en conséquence. Il y aura une réaction israélienne. Le Hezbollah sait qu’il ne faut pas nous provoquer», menace Danon. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou, forcé de se poser alors qu’il se rendait au nord d’Israël en hélicoptère, se veut plus laconique. «Je considère avec une extrême gravité cette tentative de violer notre frontière. Nous continuerons à faire tout le nécessaire pour protéger la sécurité des citoyens israéliens», indique-t-il.
Accusé, le Hezbollah dément immédiatement toute implication. Dans un bref communiqué, le parti «dément avoir envoyé un drone en direction de la Palestine occupée». Un démenti que le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a d’ailleurs réitéré lors de son intervention télévisée de mardi soir. «Le Hezbollah n’a pas envoyé ce drone et le parti a déjà démenti son implication. «(La Résistance) a le courage de revendiquer des actes aussi courageux, son histoire le prouve». Le sayyed est même allé plus loin dans son argumentation, passant en revue les différentes hypothèses sur ce drone. Pour lui, aucune preuve n’a été pour l’heure apportée sur l’existence réelle de l’appareil. «Jusqu’à ce moment, rien ne confirme les informations israéliennes sur ce drone, l’affaire pourrait donc être inventée», explique-t-il, tempérant tout de même son propos, en concluant: «Je ne dis pas non plus que cela n’a pas eu lieu». Evoquant les autres hypothèses qui circulent par voie de presse, Nasrallah les a balayées une par une. La responsabilité des «gardes révolutionnaires iraniens» dans l’envoi du drone en Israël est ainsi, selon lui «fausse et irréaliste». Idem pour un scénario mettant en scène une partie tierce «amie» du Hezbollah, notamment palestinienne. En revanche, une autre hypothèse impliquant une partie adverse du Hezbollah, mais non israélienne, et visant à accuser la Résistance dans le but de provoquer une nouvelle guerre israélo-libanaise, apparaît, pour le sayyed, «plausible mais non prouvée». Dernière possibilité évoquée, celle d’une responsabilité éventuelle d’Israël, qui, via «ses réseaux actifs au Liban, y aurait fait introduire le drone pour l’envoyer ensuite en Palestine».
Non revendiqué jusqu’à présent, l’envoi de ce drone suscite en tout cas de nombreuses interprétations.

Lien avec les armes chimiques?
Ainsi, certains analystes rapprochent cet événement de l’affaire des armes chimiques en Syrie, qui préoccupe actuellement les dirigeants occidentaux. Sur le site moqawama.org, Samer R. Zoughaib, publie ainsi un article intitulé Le drone inconnu contre le prétexte des armes chimiques. Selon lui, la question de l’utilisation des armes chimiques par le régime de Bachar el-Assad – ou par les rebelles -, a resurgi récemment et subitement, via un responsable du renseignement militaire israélien, Itai Brun. Zoughaib explique que «lorsque les rebelles syriens ont utilisé des gaz toxiques à Khan al-Assal, près d’Alep, le mois dernier, faisant 25 morts et plus de 150 blessés, Damas a officiellement demandé aux Nations unies d’envoyer une commission d’enquête. L’affaire a alors été étouffée par la manœuvre qui consistait à élargir le champ d’action à des incidents non avérés, alors que les preuves tangibles et visibles à l’œil nu ont été négligées». Zoughaib poursuit en estimant que «ce n’est pas un hasard si les Occidentaux ont décidé de ressortir l’affaire des prétendues armes chimiques syriennes au moment où l’armée régulière inflige de graves défaites aux rebelles». Dans ce contexte, l’envoi du drone aurait eu pour objectif d’envoyer «un message à caractère dissuasif à Israël et ses soutiens occidentaux: toute tentative d’intervenir militairement en Syrie risque de provoquer un conflit à l’échelle régionale».
Ibrahim el-Amine, du journal al-Akhbar, partage cette analyse. Selon lui, «l’opération ne peut être dissociée des développements régionaux en cours, notamment en Syrie». Le drone «dissuasif» aurait pu être envoyé afin de prévenir une «opération militaire israélienne contre la Syrie, avec ou sans alibi, n’était-ce par les déclarations successives sur la question des armes chimiques ou par le discours renouvelé sur les entrepôts de roquettes du Hezbollah, ou ceux de l’armée syrienne qui les procure au parti». Cette hypothèse serait renforcée par le fait que, sur le terrain, il devient de plus en plus difficile de parler et surtout de miser sur une chute du régime Assad, comme l’ont prouvé les événements des dernières semaines.

Détourner l’attention
Le professeur de Sciences politiques à l’AUB, Hilal Khachan, estime de son côté, «qu’il est clair que le drone a décollé du Liban-Sud et que l’Iran et le Hezbollah sont derrière, même si le Hezbollah dément toute implication». A Magazine, il déclare que l’objectif de l’envoi de ce drone par la Résistance est de «détourner l’attention de son implication fâcheuse en Syrie. Le Hezb sera condamné s’il lâche la Syrie, tout autant que s’il reste là-bas pour combattre». Khachan ne pense pas que le drone ait pour vocation d’envoyer un autre message. En tout cas pas de dissuasion. «Le drone envoyé au nord d’Israël s’apparentait plus à un jouet, sans dispositif explosif. L’Iran et le Hezbollah ne pourraient pas espérer gagner une confrontation militaire avec Israël en utilisant ce type d’équipement», souligne-t-il. A cela, s’ajoute le fait qu’«Israël peut réaliser ses objectifs régionaux sans recourir à une guerre». Convaincu que c’est bel et bien le Hezbollah qui a envoyé ce drone survoler la baie de Haïfa, Hilal Khachan estime que le discours de Nasrallah, mardi soir, n’apporte aucun éclairage supplémentaire.

Un drone fantôme?
Ghassan el-Ezzi, professeur de Sciences politiques à l’Université libanaise, ne partage pas ce sentiment. «J’aurais pu penser la même chose si Hassan Nasrallah n’avait pas démenti fermement toute implication», explique-t-il. «Après avoir écouté ce qu’il a dit mardi soir, je suis obligé de le croire, car le Hezbollah a pour habitude de revendiquer ses actes», ajoute Ezzi. L’hypothèse d’une main iranienne lui semble également peu plausible. «Alors que nous vivons à l’ère de l’image, avec tous les moyens d’information qui existent, on ne nous a montré aucune image, aucune vidéo, à part celles du drone Ayoub détruit en octobre dernier qui, lui, avait été revendiqué par le Hezbollah», souligne-t-il. «On ne nous a montré aucun débris de l’appareil, peut-être y avait-il des inscriptions en hébreu dessus, ou peut-être même que ce drone n’a jamais existé», avance-t-il. D’autant que la Finul, qui dispose de navires sur la zone, a affirmé n’avoir détecté aucun mouvement suspect. «Si la Résistance avait vraiment envoyé ce drone, analyse-t-il, Nasrallah aurait tout intérêt à le confirmer, en expliquant que malgré l’implication en Syrie, il continue de surveiller le front israélien, et qu’on peut lui faire confiance. Sinon, il perdrait sa crédibilité».
Très sceptique sur l’implication du Hezbollah ou de toute partie alliée, Ghassan el-Ezzi avance l’hypothèse que toute cette affaire ait été «inventée par Israël, pour des raisons médiatiques et psychologiques». «Cela fait des années qu’Israël livre une guerre médiatique contre le Hezb. Cela pourrait être une manière pour l’Etat hébreu de jeter une pierre de plus au Liban et d’inciter les opposants du Hezbollah à le condamner davantage sur le plan intérieur, pour l’affaiblir», juge-t-il. «Bien sûr, en tant que citoyen libanais, quand on a parlé de ce drone, j’ai tout de suite pensé au Hezbollah, le seul à avoir les capacités d’envoyer un tel engin». «Dans quelques mois, quand on évoquera ce drone, c’est la première impression qui subsistera pour tout le monde, celle que le Hezbollah en est à l’origine».
Autre hypothèse, avancée par Ezzi, celle d’une «erreur technique faite pendant des essais par l’armée israélienne, qui a peut-être cherché ensuite à camoufler cela en accusant le Hezb».
Le professeur de l’UL ne voit pas, en tout cas, quel peut être le message véhiculé par ce drone, s’il existe. «Israël a tout intérêt à laisser le Hezbollah patauger tout seul, sur le plan intérieur libanais autant que vis-à-vis de son implication en Syrie. Il a avantage à ce que la situation en Syrie dure et perdure, jusqu’à ce que le pays soit détruit et ne représente plus rien sur l’échiquier régional».
Hasard ou coïncidence, depuis l’affaire du drone, l’armée israélienne a déployé pour un exercice, semble-t-il imprévu, près de 2000 militaires, à sa frontière nord, visant à simuler une attaque ennemie, selon des responsables.

Jenny Saleh

Pas d’abandon de Qoussair
Hormis l’affaire du drone, sayyed Hassan Nasrallah a évidemment évoqué la situation en Syrie. Il a expliqué que l’objectif caché dans le conflit syrien est «de détruire la Syrie et de l’épuiser pour la rendre totalement impuissante». «Ce qui est actuellement demandé, c’est d’empêcher que ce pays continue d’avoir une influence régionale», a-t-il souligné.
A propos de Qoussair, où des combattants du Hezbollah épaulent l’armée syrienne, Nasrallah a indiqué qu’il ne «lâchera pas» les Libanais vivant dans cette zone.
Autre sujet, celui de la protection du mausolée de Sayyeda Zeinab.
«C’est un lieu de culte extrêmement important dans son symbolisme, d’autant que les groupuscules armés ont menacé de le détruire une fois qu’ils auront mis la main sur cette localité», a affirmé Nasrallah qui a mis en garde contre des «répercussions extrêmement dangereuses» si l’édifice était détruit.

Autre déclaration phare, car inédite, le chef du Hezb a laissé entendre que son mouvement, ainsi que l’Iran, pourraient intervenir directement dans le conflit. «La Syrie compte dans la région de vrais amis qui ne permettront pas que ce pays tombe dans les mains des Etats-Unis, d’Israël ou des groupes takfiris», a-t-il martelé. «Si la situation devenait plus dangereuse, des Etats, des mouvements de résistance et d’autres forces seront dans l’obligation d’intervenir de manière efficace dans la confrontation sur le terrain».

Un drone syrien?
Suite au vacarme autour du drone qui a survolé Haïfa, la semaine passée, et qui, d’après les sources israéliennes, a pris son envol à partir de Beyrouth, des médias proches de Damas ont reconnu la responsabilité des unités de l’armée syrienne quant à l’envoi du drone, et cela sur fond d’escalade militaire et de tension extrême sur la ligne séparant la Syrie d’Israël. Le drone syrien, abattu par les Israéliens dans le golfe de Haïfa, représente un message dissuasif régional adressé à Israël, expliquent ces sources, qui ne confirment pas le décollage de l’appareil à partir du Liban, comme l’avance le scénario israélien, mais soulignent que si «cette attaque minime n’avait pas eu lieu et si le drone n’avait pas survolé le complexe industriel pétrochimique et gazier de Haïfa, les avions israéliens auraient pénétré via le Liban, la Jordanie et la Turquie pour attaquer les positions de l’armée syrienne qui encerclent les combattants takfiristes et intégristes à Qoussair au sud de Homs». Les milieux militaires israéliens tentent de savoir si le robot syrien était équipé d’armes d’attaque ou s’il s’agissait simplement d’un espion volant. Ce point est important vu que l’apparition du drone dans le ciel de Haïfa a coïncidé avec la présence du Premier ministre Netanyahou à bord d’un hélicoptère militaire.

Ali Nassar
 

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