Magazine Le Mensuel

Nº 2916 du vendredi 27 septembre 2013

general

Jawad Boulos. Retour aux valeurs morales

Avocat de formation et ancien député, pourtant le titre qu’il affectionne le plus c’est «Cheikh el Awedim», un surnom que lui ont attribué ses partisans et supporters et que lui reconnaissent ses adversaires. Membre indépendant du 14 mars, il est élu pour un mandat unique en 2005. Portrait de l’ancien député de Zghorta, Jawad Boulos.

Il était normal que Jawad Boulos s’intéresse à la politique, lui, qui est né dans une famille engagée dans les affaires publiques depuis plus de 150 ans. «Dès mon plus jeune âge, dit-il, j’ai été élevé dans l’idée d’appartenir à une chaîne d’hommes qui ont marqué l’Histoire du pays et qui ont défendu des principes, nationalistes et souverainistes, sans jamais compromettre leur intégrité personnelle». Sa mère, d’origine libanaise mais de culture anglo-saxonne, lui a appris à refuser le conformisme et à assumer son individualisme tout en se mettant au service de la collectivité.
Son aïeul, notable d’Ehden, avait commandé les insurgés de Youssef Karam dans son combat pour l’indépendance du Liban contre l’hégémonie ottomane. C’est lui qui a donné à la famille son aspect dynastique. «A la fin de l’insurrection, il a été emprisonné cinq ans à Istanbul et n’a dû son salut qu’à l’intervention du prince de Saxe. Le hasard a voulu que celui-ci fasse une escale à Ehden et soit secouru par mon aïeul lors d’une violente tempête de neige qui bloqua les routes quelques jours», raconte l’ancien député.
Son grand-oncle, Jawad Boulos, dont il porte le nom, a été élevé dans cet esprit d’indépendance, rejetant toute forme de tutelle. Député puis ministre dans la  mouvance eddéiste, théoricien de la Nation libanaise, il se retire de la vie publique pour se consacrer à l’Histoire, puis à la formation du Front libanais. C’est selon les mêmes principes que son père, avocat, s’est engagé en politique. Il s’est présenté sans succès aux élections législatives dans les années 60 et 70, mais en tenant un rôle important dans les coulisses politiques pendant quatre décennies. On dira de lui, à son décès, qu’il fut ambassadeur de son pays, mais sans jamais se voir confier ses lettres de créance. «C’est grâce à lui que j’ai toujours été informé des dessous des affaires politiques et donc de leurs vraies motivations. C’est aussi de lui que j’ai hérité mon intransigeance sur les questions qui comptent».

 

Entre la médecine et le droit
C’est à Champville, puis à l’Athénée de Beyrouth, que Jawad Boulos fait ses études scolaires. «Nous partagions notre vie entre Beyrouth, Tripoli et Ehden où nous estivions, jusqu’en 1978, année de la grande rupture chrétienne après le massacre d’Ehden. J’avais 12 ans quand je m’installais à Zghorta où j’ai poursuivi mon éducation à l’école des Frères», raconte Boulos.
Alors qu’on s’attendait à le voir suivre la tradition familiale et faire des études de droit, Jawad Boulos choisit la médecine. Face au choc familial, un compromis est accepté. «J’opte pour le système américain, plus flexible». Il cumulera donc des études de biologie et de gestion à l’AUB. «Je m’enrôle dans le Off Campus Program (OCP), car il m’était interdit à cette époque de me rendre à l’Ouest en raison de la situation sécuritaire et de notre engagement politique. Nous, c’était la «droite pure et dure». Il est admis en médecine mais, pragmatique, il y renonce et entame des études de droit à l’USJ. «C’était pour moi une option de secours car nos moyens financiers ne me permettaient pas de poursuivre de longues études à l’étranger». En 1990, il est contraint à partir en France pour cause de «guerre fratricide, bête mais totale». Il s’inscrit à la Sorbonne. Il retourne au Liban doté d’une licence en droit privé et un problème de santé qui le laisse malentendant. Il termine alors à l’USJ sa licence en droit libanais et se retrouve, à 24 ans, détenteur de trois diplômes: biologie, gestion et droit. Sur le plan personnel, c’est l’année qui marque aussi sa rencontre avec Randa Ghobril, qui deviendra sa femme et son principal soutien. «Au bout de trois mois, je lui ai demandé sa main, mais cela m’a pris trois ans pour l’épouser», confie Jawad Boulos. Ils sont parents de trois enfants: Simon (19 ans), Elizabeth (18 ans) et Farid (15 ans).  
Il se lance alors dans le travail avec le contentieux de la société d’assurances Bankers Assurance et poursuit son stage dans un bureau d’avocats. «C’est un Dieu bienveillant qui a placé Saba Nader sur mon chemin. Cet homme extraordinaire a fortement marqué mon parcours». Nader est cofondateur du groupe Nasco Karaoglan auquel appartient Bankers. Six mois après son mariage, son père décède. «Je suis contraint de travailler encore plus dur pour subvenir aux besoins de ma petite famille et pour assumer mes responsabilités vis-à-vis de ma base». Son oncle reprend le flambeau politique, poussant Jawad Boulos à passer toutes ses fins de semaine à Zghorta, où il accompagne le choix de son oncle et l’assiste dans la gestion des élections législatives de 1996 et 2000. Il prend quand même le temps de décrocher son MBA à l’Insead.
Après l’échec de ce dernier aux législatives de 2000, Jawad Boulos décide de se lancer lui-même en politique. «C’était un pari un peu fou vu mes moyens financiers et l’absence de patronage, face à la machine électorale de Sleiman Frangié qui partait favori. Je bénéficiais de très peu d’appuis». Réaliste, il reconnaît ne pas avoir été pris au sérieux. «Mais j’ai toujours eu confiance en moi-même et dans la cause qui m’a toujours fait vibrer, celle d’un Liban indépendant et libre. Je pressentais l’influence que je pourrais mettre au service d’une certaine idée de la justice économique et sociale. Je voulais voir mon pays réintégrer le concert des nations et jouer le grand rôle que j’estime être le sien. J’étais aussi conscient de mon devoir, celui de ne pas être l’ultime maillon d’une chaîne de patriotes qui s’était construite à force de sacrifices durant 150 ans». Il continue à évoluer sur la scène locale se construisant un nom comme un jeune plein de promesses et proche des gens, disposé à dire non aux puissants de l’époque. «Ça a marché parce que les gens ont réalisé que leur bien-être m’importait plus que leurs voix».
En 2004, il participe aux élections municipales et mène sa bataille aux côtés de l’opposition conduite alors par Nayla Moawad et proche de Kornet Chehwan. «Cette bataille était pour moi une sorte de baptême du feu et m’a permis de me positionner pour ma candidature aux élections législatives de 2005, où j’ai eu l’honneur d’être élu aux côtés de Nayla Moawad et de Samir Frangié». Il est élu secrétaire du Parlement au poste qu’avait déjà occupé un autre Jawad Boulos en 1937. Il devient membre de la Commission du Budget, des Finances, de celle de l’Economie et de l’Industrie. «Pour un nouveau, outsider de surcroît, cela faisait beaucoup».
Après son élection, le jeune député fait face à de nombreux défis. «Il fallait mener une action locale et nationale et répondre aux attentes de mes électeurs sans sacrifier mon intégrité personnelle dans un système clientéliste qui oblige l’homme politique à se prostituer à l’autel des intérêts locaux et régionaux souvent aux dépens de l’intérêt national. Nous faisions face à des problèmes existentiels et nous nous faisions abattre comme des oiseaux. Il fallait élaborer des lois et j’avais aussi besoin de me faire connaître».
Aujourd’hui, Jawad Boulos continue son combat. «Si j’ai moins de pouvoir que sous mon mandat, c’est que la fonction rend l’action plus efficace». Il faut aussi travailler pour vivre ce qui, paradoxalement, choque bon nombre d’électeurs. Selon l’ancien député, le pays vit l’une des périodes les plus difficiles de son Histoire, non pas à cause de la situation régionale ou locale, mais surtout parce que les Libanais sont de moins en moins attachés à l’idée même du Liban pluriel, ouvert, démocratique et républicain, à son exception historique et sociale, à l’importance des libertés et à la nécessité de les défendre face à la montée des fascismes religieux et des abominables cultes de personnalité. On ne croit même plus dans un Etat parce qu’on n’en a jamais connu». Pourtant, cela ne l’empêche pas de conclure sur ces quelques mots: «Ce pays, je l’aime. J’y crois fermement».

Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR

Le mariage de l’opposition
C’est le 6 août 1992 que Jawad Boulos épouse Randa Ghobril à Bkerké, un mariage dont la photo sera publiée en couverture d’al-Massira sous le titre 3eres el-mou3arada. «Ce jour-là, se souvient Boulos, était un jour mémorable, car l’opposition était réunie au siège du 
patriarcat pour déclarer son boycott des législatives. Les participants, y compris Mgr Nasrallah Sfeir et mon père, faisaient la navette entre la salle où la réunion avait lieu et l’église où nous nous mariions. C’était drôle».

Ce qu’il en pense
Social Networking: «J’ai été introduit à 
Facebook à un moment où les élus du 14 mars étaient confinés pour des raisons de sécurité. C’était une échappatoire et la seule façon de communiquer avec les électeurs. C’est un  instrument de ce qu’on appelle la politique «participative» qui permet à l’élu d’écouter ses électeurs et concitoyens et d’échanger. Il 
permet également d’exprimer en temps réel des positions sur des événements ponctuels».
Ses loisirs: «La théologie et la physique 
quantique. Ayant versé dans l’existentiel en politique, je ne peux pas m’empêcher 
d’enquêter sur le pourquoi des choses et de la vie. Les moments les plus heureux sont ceux que je passe avec les jeunes qui forment ma base politique, autour d’un bon repas 
montagnard, un verre d’arak en main en 
interprétant nos chansons préférées jusque tard dans la nuit, surtout quand ça gêne les voisins».
Sa devise: «La foi, la persévérance et un peu d’humour».

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