Magazine Le Mensuel

Nº 2930 du vendredi 3 janvier 2014

Histoire

Le centre international des sciences de l’Homme. Lieu de rencontre des grands penseurs du siècle

Dans la vieille ville de Byblos, tout juste accoudée aux remparts croisés datant du XXe siècle, est installé le Centre international des sciences de l’homme (le CISH) en 1999 sous l’égide de l’Unesco. Un centre unique au monde, niché dans une bâtisse de caractère où les grands penseurs du siècle viennent débattre de démocratie et de problèmes contemporains.

A l’entrée des souks de la vieille Byblos, juste derrière une ancienne tour de défense, des drapeaux d’une dizaine de pays flottent au sommet du Centre international des sciences de l’homme. Depuis le mercredi 4 décembre, et pendant trois jours, s’est tenu un congrès international regroupant treize Etats dont sept arabes autour du thème Dialogue, vérité et démocratie. «Penseurs et intellectuels débattent de cette trilogie, notamment du principe de vérité qui constitue un élément charnière dans la démocratie, explique Adonis Akra, directeur du CISH. Est-ce que l’on peut gouverner les êtres humains par une vérité absolue? C’est une question-clé». Tout un programme!
Le centre de recherches pluridisciplinaires et de documentation, chapeauté par l’Unesco, est donc consacré aux sciences de l’homme, c’est-à-dire aux sciences politiques, à la philosophie, à la sociologie, à l’histoire, à l’anthropologie, à l’ethnologie, aux droits de l’homme, à la science des religions et entre autres à l’économie politique. S’il n’existe qu’à Byblos, son actuel directeur a de quoi argumenter sur le choix de sa localisation. «Quelles en sont les raisons administratives? Je n’en suis pas certain, concède-t-il. Mais pour nous, Libanais, nous avons notre propre interprétation de sa présence à Jbeil. La ville est un prototype du dialogue des civilisations qui s’y sont succédé. La société de Jbeil découle de ce dialogue, trois fois millénaire. Sa structure est profondément multiculturelle et multireligieuse. Si bien que tout le monde participe au travail public et à la vie en commun, singulière et pacifique», note Akra. «Or, l’un des objectifs de l’Unesco est le dialogue des religions et des civilisations, mais encore la consolidation des valeurs de la démocratie et la promotion de ses principes, notamment dans le monde arabe», souligne-t-il. Jbeil était donc un emplacement idéal pour ce centre où les sciences de l’homme sont mises au service de la démocratie». De plus, faut-il le rappeler, Byblos est également inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
Le CISH, unique au monde, a pris ses quartiers en 1999 dans une bâtisse d’époque dont on ne connaît pas encore toutes les pages de l’histoire. En attendant une recherche plus approfondie réalisée par des archéologues et historiens, voulue par son directeur, il semble qu’elle ait été élaborée en plusieurs étapes. Si l’un de ses murs appartient à la muraille croisée construite au début du XIIe siècle, l’édifice aurait été conçu en partie au XVIIIe siècle, puis au XIXe et achevé dans son état actuel au début du XXe siècle. Jadis maison privée, elle a été expropriée dans les années 70 et offerte au CISH par le ministère de la Culture et la Délégation générale des antiquités.
A l’image des bâtisses de la vieille ville, sa façade arbore fièrement des pierres apparentes que l’on retrouve également à l’intérieur de l’institution, notamment au rez-de-chaussée, constitué d’une bibliothèque et de petits salons nichés dans de charmantes alcôves sous des voûtes. Le premier étage est consacré aux bureaux et salle de conférences dont les murs peints en blanc laissent toutefois entrevoir, en hauteur, de petites ouvertures circulaires d’origine. Des locaux sont également mis à la disposition des organisations culturelles et scientifiques autant libanaises qu’arabes, pour faciliter les activités de recherches et de la société civile. Encadrée dans le salon principal juxtaposant l’espace des réunions, une citation du directeur Adonis Akra, ancien professeur universitaire de philosophie et sociologie politique, donne le ton. «Quand la voix de la philosophie baisse dans l’espace culturel arabe – et partout ailleurs sur cette planète – injustices et oppressions poussent sur les trônes des gouvernants, la liberté s’identifie à un bagne, les fanatismes se cachent sous les dômes et les minarets si bien que Dieu cesse d’écouter leurs hymnes et prières. Il règne alors parmi nous l’obscurantisme, et les démons se livrent à dévorer les hommes».
 

Le combat contre l’obscurantisme
Un obscurantisme que le CISH veut combattre avant tout à renfort de colloques internationaux, de congrès et de conférences spécialisées, mais également en finançant des études dans le monde, en formant des chercheurs et en mettant en place des réseaux de travail afin d’obtenir un niveau de coopération optimum. «Nous focalisons notamment nos activités sur la problématique de savoir comment servir la démocratie au mieux et promouvoir ses principes, reprend Adonis Akra. Cela passe par la formation des jeunes, en les préparant à participer à la vie publique dans leur pays. Les thèmes des droits de l’homme et de la citoyenneté sont capitaux pour nous», souligne-t-il avant d’ajouter que le dialogue entre les religions est d’autre part très important. «L’Unesco et les pays occidentaux ont été éblouis par le «Printemps arabe». Ils souhaitaient que les régimes politiques installés dans ces pays fassent une transition vers la démocratie. «Un souhait également des jeunes qui ont participé à ces révolutions pour un changement de régime», poursuit-il. «Puis finalement, ajoute-t-il, nous avons vu une mentalité fanatique religieuse prendre le pouvoir, provoquant un retour en arrière d’une centaine d’années dans certains pays. Ce fanatisme religieux est un obstacle à la démocratie et nous sommes en train de concentrer nos efforts sur ce problème pour le contrer et réduire son impact en préparant le terrain dans des sommets arabes». Depuis les réunions de travail de Paris en juillet 2011 et la publication d’une feuille de route «Démocratie et renouveau dans le monde arabe», l’Unesco a décrété que les travaux du CISH, entre autres, se concentreraient uniquement, durant une période de quatre ans, sur les problématiques de cette région du monde.
La démocratie… «Le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire», expliquait Winston Churchill. Serait-elle possible ou souhaitable dans le monde arabe où le «fanatisme religieux» est installé au pouvoir par le peuple dans certains pays? «La démocratie, ce n’est pas le vote, répond Adonis Akra. C’est la liberté d’expression, la liberté individuelle et les droits de l’homme. L’organisation du scrutin ne signifie pas que la démocratie s’est installée. Les élections ont été un moyen camouflé par la démocratie de faire arriver des extrémistes au pouvoir. Et de par leur nature, ils ne peuvent pas approuver les droits de l’homme avec la liberté de croyance, puisqu’ils croient détenir la vérité absolue». C’est justement cette vérité qui était débattue dans le cadre du congrès international qui s’est tenu au CISH du 4 au 6 décembre dernier. «La vérité absolue vient de deux sources: le ciel (religion) et la terre (idéologie), la démocratie étant une idée philosophique, précise le professeur. Le peuple doit être gouverné selon une vérité relative. Les libertés individuelles donnent une volonté générale, présente-t-il. Ce sont les gens qui font le contrat social et non Dieu. La société doit être gouvernée selon la volonté de ses membres, une société démocratique et libre. Pour cela, continue-t-il, il faut agir et impulser une mentalité démocratique pour que l’opinion publique opte pour ses valeurs et principes, à travers les institutions, les écoles et les universités».
Prochaine étape pour l’équipe du CISH: répondre à l’invitation de la Ligue arabe qui organisera, dans les prochaines semaines, un congrès à Bagdad sur le rôle des jeunes dans le développement humain dans les sociétés arabes. L’occasion d’accroître une collaboration tant souhaitée pour élaborer des projets communs. Chargé de mission auprès du CISH depuis 2012, Adonis Akra en est devenu le directeur pour cinq ans en mai dernier. Une mission, venant chapeauter une carrière de plus de trente-cinq ans, qu’il compte bien prendre à bras-le-corps. Et d’ores et déjà, il sonne l’alerte: «Le budget restreint du centre ne suffit pas et il nous faut un travail immense pour financer nos projets. C’est pourtant essentiel, sans quoi,  nous ne pouvons rien faire, regrette-t-il avant de déclarer: «Je crois en la lutte pour la démocratie et je me donnerai toutes les possibilités pour la mener». n

Delphine Darmency
 

Les rencontres de 2013 du CISH
19 janvier: cercle de débats autour du thème Le droit au mariage civil sur le territoire libanais, en partenariat avec le Centre civil de l’initiative nationale.
4 et 5 avril: conférences du professeur Claude Mutafian sur L’histoire de l’Arménie médiévale, en collaboration avec l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) à Beyrouth.
17 et 18 avril: colloque interarabe sur La tolérance dans la pensée philosophique et religieuse, en partenariat avec l’institution irakienne Beit el-Hikma.
5 et 6 juillet: chantier de réflexion sur La cité et la philosophie, en collaboration avec l’Organisation des architectes arabes.
4 au 6 décembre: colloque international Dialogue, vérité et démocratie, en partenariat avec l’Union philosophique arabe. 

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