Magazine Le Mensuel

Nº 2939 du vendredi 7 mars 2014

general

Et le plaisir s’intensifie au Bustan

Le festival Al Bustan se poursuit dans sa deuxième semaine, d’autant plus chargée en virtuosité, lyrisme et audace. La Nature, thème de cette 21e programmation, se pare de tous ses atours.
 

L’effluve automnal de Strauss
Le mercredi 26 février, le point de mire du festival Al Bustan était axé sur l’interprétation des Quatre Derniers Lieder de Strauss, par la soprano sud-africaine Johanni Van Oostrum. Mais avant qu’elle n’enjambe la scène, l’Orchestre symphonique de Tbilissi, dirigé par Gianluca Marcianò, fait résonner dans la salle de l’auditorium Emile Bustani l’ouverture de Der Freischütz de Carl Maria von Weber. Le souffle coupé, une vraie révélation. Ce compositeur allemand n’est peut-être pas très connu auprès du grand public, même si Der Freischütz est l’un des plus célèbres opéras du répertoire romantique allemand. La puissance de cette composition vous happe d’un coup à mesure que se dessine devant vos yeux, dans votre esprit, l’image d’une déchirure éternelle entres les forces de l’univers, le combat entre le bien et le mal, le mystère et l’harmonie d’une composition qui sonne comme un poème saisissable, ou insaisissable, dans ses moindres nuances. Et du cœur de la forêt où se poursuit dans le silence cette lutte, l’audience se retrouve transposée au cœur de l’effluve automnal des Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss, composés durant l’année 1948: Frühling (Spring), September et Beim Schlafengehen (Going to sleep) sur des poèmes d’Herman Hesse, ainsi qu’Im Abendrot (At sunset) sur un texte de Joseph von Eichendorff. Un jardin en deuil, mais porteur de tellement de sérénité, porté par la splendeur de la voix de Johanni Van Oostrum qui révèle à merveille la dualité du sentiment qui anime ces textes, la mort paisiblement accueillie. Et après l’intervalle, Marcianò reprend la direction de l’orchestre pour la Symphonie no.4 op.36 de Tchaïkovski.

Sergej Krylov 
et son violon enchanté
Pour entamer la soirée du 28 février, l’orchestre symphonique de Tbilissi, sous la direction de Gianluca Marcianò, a concocté pour le public un bouquet de senteurs musicales où la nature règne, avec trois compositions de Gioachino Rossini, l’ouverture de William Tell, et des extraits du Barbiere di Siviglia et Cenerentola, ainsi que The Storm de Tchaïkovski.
L’intervalle se déroule dans l’impatience en attendant le clou de la soirée, la prestation du violoniste russe Sergej Krylov. Dans la foule, le mot ne cesse de circuler sur sa virtuosité, son génie à faire danser l’archet sur les cordes de son violon. Les vingt minutes de pause s’écoulent et voilà Krylov qui enjambe la scène face à une audience ravie. Et, aussitôt, l’orchestre entonne les premières notes du Concerto pour violon en ré majeur, op.35 de Piotr Tchaïkovski. Quelques accords d’ensemble et voilà que le soliste fait parler son archet. Il a suffi de quelques minutes pour que le spectateur ressente cette extase musicale qui l’entraîne à son insu, comme si la musique devenait un accouplement irrépressible entre le musicien et son instrument, entre le soliste et l’orchestre, entre la scène et la salle. Au bout de l’archet magique de Krylov, le concerto pour violon de Tchaïkovski en ses trois mouvements se tisse de délires et de drames qui se côtoient, s’emmêlent, se déchirent, sur une nappe de thèmes lyriques, expressifs, au bord d’un romantisme impromptu, aux abords d’un impressionnisme naissant. Peine, joie, espoir, les sons deviennent un et les images se multiplient, à mesure que la virtuosité de Krylov se joue de la complexité technique de cette œuvre, de ses variations, de ses reprises, de ses multiples oscillations, de sa dynamique où se perçoit la sensibilité écorchée du compositeur et toute l’ampleur de son génie. Aussitôt achevé, la foule se lève d’un seul bond unanime, pour une «standing ovation» qui n’en finit plus, entre applaudissements et Bravo! Et Sergej Krylov revient sur scène, pour deux solos supplémentaires. Encore une bouffée d’oxygène musicale, encore des moments d’extase.

La table de Karbido: une expérience unique
Karbido, The Table. La soirée du dimanche 2 mars s’annonçait comme l’un des concerts à ne pas rater du festival Al Bustan. Parce que ça sort de l’ordinaire, parce que c’est innovant, audacieux, original, très original. Parce que les quatre musiciens du groupe polonais Karbido ont pour instrument de musique… une table. Et pas n’importe laquelle évidemment. Une table spécialement conçue pour produire de la musique, avec des bouts d’autres instruments et des amplificateurs incorporés. Une table que la foule se précipitera sur scène, une fois le concert terminé, pour découvrir, observer, photographier, les yeux étonnés et essayant de reconstruire les images entre visu et sonorités entendues. Et les sonorités étaient tellement nombreuses ce soir-là.
Une scène plongée dans le noir total, avec cette fois, des sièges également disposés à même la scène en demi-cercle autour de la table, illuminée par un seul spot. Paweł Czepułkowski, Igor Gawlikowski et Marek Otwinowski et Michał Litwiniec entrent sur scène pour s’installer sur des chaises disposées des quatre côtés de la table. Et le voyage commence. Lentement, doucement, progressivement. Dès les premières minutes, le spectateur perçoit le côté ludique du spectacle auquel il est en train d’assister. Un vrai spectacle où une mise en scène judicieusement étudiée prend corps sur cette table musicale, entre jeu, sérieux, humour, dialogue, monologue et synergie. Un corps à corps, à quatre, à cinq, sans oublier le rôle vital de l’ingénieur du son et du responsable de l’éclairage.
Ils ont l’air de bien s’amuser. Et de nous subjuguer! Avec leurs mains en percussions sur la table, avec des archets, avec toutes sortes d’objets insolites, un verre, une pièce de monnaie, une fléchette… ils créent de la musique. Une musique qui reste inclassable, qui leur appartient et qui emmène les spectateurs d’image en image, de sensation en sensation, toujours aux aguets, guettant, époustouflés, amusés, les moindres mouvements de ces musiciens jongleurs retransmis sur les deux écrans disposés de part et d’autre de la scène. Un vrai voyage musical qui rime avec découverte et exploration, oscillant entre cette impression de côtoyer les contrées les plus profondes de la planète, les plus sauvages, les plus antiques, avec un chant qui résonne comme un rituel, celle d’assister à un concert rock entraînant et endiablé, et cette autre encore de côtoyer les bords d’une rivière, d’une rive à une croisée de chemins entre le passé et le présent. A aucun moment, le charme ne s’est rompu, malgré une certaine longueur au milieu du concert, mais rien ne valait le plaisir de cette découverte de rythmes et de sonorités!

Nayla Rached

A ne pas rater
Parmi les prochains rendez-vous de la 21e édition du festival Al Bustan, et probablement l’événement le plus important et le plus 
attendu de la programmation 2014, la 9e 
symphonie de Beethoven, Ode à la joie, 
prévue le mercredi 19 mars, à 20h30, à l’église Saint-Joseph des pères jésuites. Une soirée inédite au Liban qui rassemblera des artistes de différents pays, Yasko Fuji, Clare Presland, Irakli Murjikneli, Sasa Cano, ainsi que la 
chorale du Conservatoire libanais et de 
l’Université Antonine sous la direction de Khalil Rahmé et Toufic Maatouk, et The State Youth of Orchestra of Armenia dirigé par Gianluca Marcianò. Le directeur musical du festival Al Bustan pour qui ce concert s’annonce excitant, mais aussi comme un défi. «Cette 9e 
symphonie est le point ultime qu’un 
compositeur peut atteindre. Beethoven est parvenu à créer un moyen de communication qui va au-delà de l’expérience humaine, pour établir un contact avec quelque chose de supérieur. Dès les premières notes, c’est comme si l’orchestre était en train de donner naissance à quelque chose, à cette apothéose finale où tous les instruments s’unissent aux voix sur le merveilleux texte de Friedrich von Schiller. Un moment titanesque».

Billets: 40 $, 60 $ et 80 $, en vente à la Librairie Antoine et au Festival Al Bustan. www.albustanfestival.com

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