Magazine Le Mensuel

Nº 2939 du vendredi 7 mars 2014

general

Georges Chakra. Un homme qui ose

Il fait partie de ceux qui ont contribué à faire la renommée internationale des créateurs libanais. Un grand nom de la haute couture qui habille les stars du monde et dont les créations se portent à Hollywood ou défilent sur le tapis rouge à Cannes. Audacieux et perfectionniste, ses collections varient selon les saisons de la nature et du cœur. Portrait du designer Georges Chakra.
 

C’est dans une atmosphère décontractée que Georges Chakra nous reçoit et n’hésite pas à répondre à toutes nos questions, retraçant pour nous son parcours, ses débuts, ses réalisations et ses projets. Il est encore en classe de seconde lorsqu’un ami lui parle de William Khoury, un des plus célèbres couturiers de cette époque, et lui montre quelques croquis qu’il a réalisés. «J’avais été très impressionné et cela m’était resté en tête. Il y avait également la revue Jour de France qui publiait  des modèles et des photo-shoots que je regardais avec beaucoup d’intérêt», raconte Georges Chakra. Mais à l’époque, il a d’autres projets et entame des études en architecture d’intérieur. «Au bout de deux ans, j’ai réalisé que ce n’était pas pour moi. Ce n’était pas ce que je voulais. Il a fallu que je prenne une décision. A Beyrouth, il n’y avait pas une école où l’on pouvait étudier le Fashion design». C’était la guerre. Il part au Canada, où son frère était installé, avec la ferme intention d’entreprendre des études par correspondance avec une école à Paris. Malgré ses réticences, un concours de circonstances le pousse finalement à suivre des cours à la Fashion Canadian Academy où il obtient son diplôme en tant que fashion designer. «J’ai reçu plusieurs offres de travail au Canada, dit-il, mais je n’avais nullement l’intention d’y rester, une fois mon diplôme en poche. Malgré la guerre, j’étais très heureux de retourner au Liban».
Il travaille, pendant six mois, auprès d’un grand nom de la haute couture à Beyrouth. «Notre mentalité et notre façon de voir les choses étaient différentes. J’ai donc décidé de le quitter et de me lancer seul». En 1985, il fait ses débuts dans un petit atelier, avec un nombre réduit d’employés. «Le juste nécessaire», indique-t-il. Malgré les événements, ses créations ont un succès immédiat auprès de la gent féminine. «A l’époque, le long n’était pas encore à la mode. Les femmes avaient besoin de plusieurs tenues, pour des occasions différentes: robes du soir, robes de mariée, manteaux. Le bouche à oreille aidant, j’ai connu un boum auquel je ne m’attendais pas et brusquement du jour au lendemain, je me suis retrouvé avec soixante employés». Georges Chakra a plein de nouvelles idées qui trouvent un écho favorable auprès des femmes. Il introduit les peaux de serpent sur les manteaux et du vernis sur les tailleurs. Son inspiration ne vient pas d’un facteur particulier. Pour lui, tout est source d’inspiration et celle-ci ne vient pas de quelque chose de spécial. «Ça peut être un film, un restaurant, quelqu’un croisé dans la rue, une belle femme». Sa source de création est intarissable.

 

Défier les traditions
Audacieux jusqu’au bout, Georges Chakra est un homme qui ose, quitte à défier les traditions. «Mes collections ne se répètent jamais et ne se ressemblent pas. J’ai tout le temps de nouvelles idées. J’aime prendre le risque d’oser du neuf», confie le styliste. Avec beaucoup d’humour, il raconte comment il avait succombé au charme d’un tissu très particulier, plus adapté à fabriquer des abat-jour qu’à créer des robes. Après avoir acheté ces tissus, trois semaines avant la date du défilé, il se retrouve à court d’idées, se demandant ce qu’il pouvait en faire. «J’ai passé une nuit blanche en compagnie de deux mannequins pour tenter de créer quelque chose. Résultat: ce ne fut pas un succès seulement sur le podium pendant le défilé, mais la robe fut commandée plus tard par des clientes et exposée une année entière au Gemeente museum d’Amsterdam dans le cadre de l’exposition intitulée Haute Couture en 2010», se rappelle Georges Chakra. Passionné par les détails, ils sont pour lui une forme de luxe. «C’est dans la recherche des détails que l’on retrouve le luxe». Il est perfectionniste à tel point qu’il est
capable de refaire une robe plusieurs fois la veille d’un défilé, rapportent ses collaborateurs. Il ne badine pas sur la qualité du finissage qui doit être parfait, même si c’est un détail que personne ne peut remarquer.
 

A Paris et New York
Aux yeux de Georges Chakra, la femme est une éternelle source d’inspiration. Fier et heureux de voir ses tenues portées par les stars du monde entier, mais il n’en est pas blasé pour autant. «Au contraire, explique-
t-il, cela me pousse à aller encore de l’avant et vouloir faire encore mieux». Ses collections sont destinées à toutes les femmes, mais une femme qui change selon les états d’âme du designer et ses dispositions d’esprit. Celle-ci peut être audacieuse, classique, sexy ou réservée. Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. «En été 2014, la femme veut vivre sa vie comme dans un cirque et veut s’amuser tout le temps. Elle se métamorphose tout au long de la journée, tout en gardant son élégance dans toutes les occasions. C’est la mode des années 50 qui revient, les robes de poupée, les chaussures plates. En revanche, en hiver 2014, la femme était triste, elle sortait à peine. Elle était réservée et avait dressé des barrières autour d’elle. La couleur noire dominait. Même la robe de mariée était en blanc et noir. Au contraire cet été, il y a beaucoup de couleurs dans la collection». Pour le styliste, «la femme libanaise est l’une des plus élégantes du monde. Elle s’occupe constamment d’elle-même. Elle sait parfaitement ce qu’il faut porter le jour ou la nuit».
Avec son associée Jocelyne Abdel-Malak, il fonde en 1994 la société Onna group, propriétaire de la marque Georges Chakra. «Onna signifie femme en japonais», indique le designer. Depuis 2002, Georges Chakra présente deux fois par an sa collection haute couture dans le cadre de la semaine de la mode à Paris. En février 2009, il lance sa ligne de prêt-à-porter Edition by Georges Chakra lors de la semaine de la mode de New York. «Cette collection existe en force sur le marché américain et dans les pays arabes et nous essayons actuellement de la lancer en Europe, en Chine et en Russie». Une sous-marque de la collection Edition verra bientôt le jour. Plus accessible, elle s’adresse à une clientèle jeune. Il a deux filles, Jennifer et Dorothée. L’aînée, Jennifer, a choisi de suivre les traces de son père. Après des études en public administration à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), elle s’est spécialisée en fashion design à la prestigieuse Parsons School de New York. Quant à Dorothée, elle a choisi l’archéologie.
Parmi tous les grands noms du monde de la haute couture, Georges Chakra dit être influencé par Yves Saint Laurent. «Les couleurs et les formes chez Saint Laurent sont magnifiques. J’ai été marqué par cette façon qu’il avait de tailler un vêtement directement sur le mannequin, ses robes, ses manteaux. Même la finition était remarquable». Notre entretien tire à sa fin. Avec beaucoup de patience, Georges Chakra se prête à la séance photo. Dans ce décor qui parle de vêtements et d’élégance me revient cette fameuse phrase d’Yves Saint Laurent: «Rien n’est plus beau qu’un corps nu. Le plus beau vêtement qui puisse habiller une femme, ce sont les bras de l’homme qu’elle aime. Mais pour celles qui n’ont pas eu la chance de trouver ce bonheur, je suis là». 


Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub

Dans «The devil wears Prada»
Dans le fameux film The devil wears Prada (Le diable s’habille en Prada), dont l’héroïne était Meryl Streep, apparaît la collection haute couture de Georges Chakra. «Au départ, nous avions reçu un mail qui nous demandait de faire figurer la collection dans un film américain. Nous n’avons pas pris le mail au sérieux et nous n’avons pas donné suite à la demande jusqu’à ce que notre bureau de presse à Paris nous relance. Nous avons dû alors envoyer toute la collection à Paris pour figurer dans les prises de vue faites dans la ville. Cela nous a aidés à Hollywood et a 
représenté un boom pour la marque».

Ce qu’il en pense
Social media: «C’est un outil très important qui nous permet de rester en contact 
permanent avec notre clientèle dans le monde. Nous avons une page sur Facebook».
Ses loisirs: «J’aime beaucoup voyager. J’aime le cinéma et je fais de la peinture aussi. Malheureusement, je suis trop
paresseux pour faire du sport».
Sa devise: «Tout est dans le détail. Le luxe est une affaire de détails».

Related

22e édition du Festival du cinéma européen. Des films et des événements

Problème des déchets. Traitement, coût et solution

Electricité: déficit chronique de production

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.