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Nº 2984 du vendredi 16 janvier 2015

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Double attentat suicide à Jabal Mohsen. Tripoli, une fabrique de kamikazes

Le double attentat suicide qui a frappé un restaurant de Jabal Mohsen, à Tripoli, a suscité les plus grandes inquiétudes, d’autant plus que près d’une douzaine de jeunes, récemment disparus, sont suspectés d’être des kamikazes potentiels.
 

Ils seraient autour de 200 à avoir fui le Liban depuis l’application du plan sécuritaire, mis en place après de violents combats entre l’Armée libanaise et les hommes de Chadi Maoulawi et Oussama Mansour, alliés du Front al-Nosra, auxquels auraient également participé les affidés de l’Etat islamique (EI). «Plus d’une centaine d’entre eux auraient fui en Syrie et en Irak, près de quatre-vingts auraient disparu et seraient toujours au Liban», commente une source salafiste.
Les militants libanais auraient rejoint l’Irak et la Syrie, où ils se seraient ralliés au Front al-Nosra à Alep, ou à l’Etat islamique à Raqqa. Ainsi, Omar Mikati, un des compagnons d’armes de Maoulawi et de Mansour, plus communément connu sous le non d’Abou Horeira, se serait rendu dans le Qalamoun, où il aurait rejoint le Front al-Nosra. «L’EI possède cependant de gros moyens financiers et verse de l’argent aux familles des jeunes recrues», assure la source salafiste.

 

Disparus depuis trois mois
Le danger viendrait cependant de ceux qui sont toujours au Liban. Selon cette même source, une douzaine de jeunes pourraient être éventuellement instrumentalisés dans de nouveaux attentats suicide. Une source au sein des services de renseignements de l’armée assure cependant que le chiffre serait sans doute moins important et ne serait que de l’ordre de quatre ou cinq personnes à l’heure actuelle.
L’attentat terroriste contre Jabal Mohsen, ayant provoqué la mort de onze personnes et blessé trente-sept autres, est une première à Tripoli. Les deux jeunes kamikazes étant originaires de Mankoubin, un des secteurs les plus pauvres de la ville. «Près d’une dizaine de jeunes Tripolitains ont été tués dans des opérations suicide en Irak et en Syrie, mais le fait d’avoir choisi de cibler leur propre ville est inédit», souligne la source salafiste.
Les kamikazes, Bilal Mohammad el-Mariyan et Taha Samir el-Khayal, avaient disparu depuis plus de trois mois, lors des derniers combats ayant opposé l’armée aux militants de Chadi Maoulawi et Oussama Mansour et auxquels ils auraient participé. Le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, a déclaré que les kamikazes étaient affiliés à l’EI, en se basant sur des rapports sécuritaires les liant à Mounzer el-Hassan, un individu soupçonné d’avoir fourni des gilets explosifs aux membres de la cellule terroriste de l’Hôtel Duroy et qui a été, par la suite, abattu dans un raid. Une théorie qui ne fait pas l’unanimité, le responsable des services de renseignements tripolitain estimant que l’opération aurait été commanditée par le Front al-Nosra qui serait pour le moment la faction dominante à Tripoli.
Les deux jeunes kamikazes auraient eu des liens présumés avec des détenus de la prison de Roumié, plus particulièrement le bloc B qui regroupe les islamistes. Ce bâtiment était devenu depuis le début de la guerre en Syrie le quartier général des extrémistes qui assuraient la coordination entre les cellules terroristes ou émettaient leurs communiqués.
Plusieurs personnes ont été arrêtées ces derniers mois pour avoir recruté des jeunes de Tripoli, dont Oussama Antar, qui travaillait pour le compte de l’EI, selon la source salafiste. «De même, le dénommé Tarek Khayat», ajoute un commandant de l’Armée libanaise s’exprimant sous couvert d’anonymat. Maoulawi et Mansour s’occupaient de recruter pour le Front al-Nosra. Un autre cheikh serait également entré en jeu pour ce qui est de l’endoctrinement de Khayal et Mariyan: Abou Adam, un membre de la famille Brahim, qui serait apparenté à plusieurs membres de la famille Hassan morts en Syrie, ainsi qu’à des combattants de Fateh el-islam.
Selon plusieurs sources sécuritaires, les deux jeunes kamikazes avaient très peu d’éducation religieuse. «Khayal vient d’une famille peu pratiquante, son père travaille comme informateur pour les services de sécurité libanaise», précise le responsable de services de renseignements. Ghada Khayal, la mère du jeune homme, exprime le choc qu’elle a éprouvé après avoir découvert l’implication de son fils dans l’attentat suicide de Jabal Mohsen. «Mon fils était doux, son comportement était tout à fait normal avant sa disparition, mis à part, qu’il s’était mis à prier, mais il ne défendait pas pour autant des idées radicales», s’insurge-t-elle. A l’instar de son ami, Mariyan n’était pas pratiquant et buvait, fait inédit dans une société où la consommation d’alcool est taboue.
Des dizaines de jeunes du quartier ont été arrêtés à la suite du double attentat, vu comme les prémices d’une nouvelle poussée de violence dans le chef-lieu du Liban-Nord. «Nous avons également arrêté les mois passés des douzaines de Syriens suspectés d’être impliqués dans des attentats terroristes au Liban», assure le responsable des services de renseignements.
Les groupes jihadistes évoluant au Liban dépendraient de multiples cellules fonctionnant tantôt de manière autonome tantôt avec des membres communs. «A titre d’exemple, les cellules du cheikh Khaled Hoblos et Omar Mikati», assure le responsable des services de renseignements.
Les kamikazes ne sont pas nécessairement des personnes formées en Syrie, précise la source, qui ne croit pas aux rapports indiquant l’entraînement de Khayal et Mariyan auprès des mouvances radicales dans le Qalamoun. «Quelques semaines sont parfois suffisantes pour une formation supervisée par des experts en explosifs», ajoute la source des services de renseignements.
Une source militaire estime que les attaques contre l’armée sont inévitables, la Grande Muette recevant «au quotidien des menaces». Le désamour des classes populaires de Tripoli pour les centres de pouvoir sunnites, ainsi que la mise en fuite des figures salafistes traditionnelles, comme le cheikh Daï Islam el-Chahhal et le cheikh Bilal Dokmak, poursuivis pour détention d’armes, de même que la prochaine mise en examen du cheikh Nabil Rahim, ne font qu’exacerber le vide et le ressentiment au niveau d’une scène islamiste déjà tendue.
Un vide dont les mouvances radicales syriennes veulent profiter. C’est dans ce cadre que peut être interprétée la revendication faite par le Front al-Nosra de l’attentat suicide de Jabal Mohsen, «visant à venger» le double attentat des mosquées Taqwa et Salam en 2013.
Cette théorie fait des adeptes dans les milieux de jeunes salafistes. «Je m’attendais à une telle attaque après avoir appris le retour au Liban de Rifaat Eid (le chef du Parti arabe démocratique), qui a orchestré les attentats de Taqwa ayant fait des centaines de blessés et des dizaines de morts», raconte Mohammad, un jeune salafiste ayant combattu en Syrie. Cette rumeur dénuée de tout fondement a permis de raviver les passions dans les cercles de jeunes jihadistes et qui sait? De faire de nouvelles recrues… 

Mona Alami

Bombe désamorcée
L’Armée libanaise a désamorcé, mercredi, un engin piégé constitué d’une bonbonne de gaz remplie de 10 kilogrammes d’explosifs, sur la route Qobbé-Majdelya, à Tripoli. D’autre part, l’armée a arrêté Hussam Nabuch, soupçonné de préparer un attentat suicide dans le quartier de Mankoubin à Tripoli, deux autres personnes ont été également appréhendées à Ersal. Des sources de Mankoubin ont cependant nié l’implication de Nabuch dans un éventuel attentat, assurant qu’il n’a que «17 ans».

Al-Nosra revendique
Le Front al-Nosra a affiché sur l’un de ses comptes Twitter le communiqué numéro 22, revendiquant sa responsabilité dans l’attaque contre le café de Jabal Mohsen. Selon le Front, l’attaque visait à «venger l’attentat contre les mosquées al-Salam et al-Taqwa». Selon ce communiqué, Bilal el-Mariyan se serait fait exploser le premier en visant les «foules de Nusayris présents (terme péjoratif signifiant alaouites)». Une deuxième détonation aurait été provoquée par Taha el-Khayal à l’arrivée des éléments de sécurité».

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