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Nº 2989 du vendredi 20 février 2015

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Journaliste, otage, espion et amant de Yann Le Pen. Les quatre vies de Roger Auque

Un scandale? Les médias accourent! L’«affaire» Roger Auque a non seulement occupé la presse internationale, mais aussi la presse libanaise. Pourquoi? Parce que ce dernier avait affaire avec le Mossad (Institut pour les renseignements et les affaires spéciales de l’ennemi du Liban – Israël), parce qu’en 1980, il avait été enlevé par le Hezbollah, parce qu’il était impliqué, au niveau médiatique, dans la guerre libanaise, et parce qu’il est le père biologique de Marion Maréchal-Le Pen. De quoi amuser les spectateurs-lecteurs.

Facile de faire circuler des divulgations pareilles. Le «scandale» Roger Auque aurait pu faire le sujet d’une pièce de théâtre de boulevard. Une femme (Yann Le Pen), mariée à un homme (Samuel Maréchal), cette première ayant eu auparavant un amant (Roger Auque), avec lequel elle a conçu une fille (Marion Maréchal-Le Pen ou plutôt Marion Auque-Le Pen). C’est en 2013, lorsqu’une journaliste, Christine Clerc, dévoile, dans son livre intitulé Les Conquérantes, le secret de la famille Maréchal-Auque-Le Pen, que le «scandale» est lancé. C’est alors que l’hebdomadaire français L’Express vient appuyer la «thèse» de Clerc en ajoutant que Marion Maréchal-Le Pen serait née deux ans avant l’«établissement» de la relation entre Yann Le Pen et son époux. Aujourd’hui, ce «secret» qui a «bouleversé» le monde, vient d’être confirmé par les écrits de Roger Auque lui-même (décédé le 8 septembre 2014 à la suite d’un cancer) dans son livre posthume, Au service secret de la République. Un drame théâtral dont l’ampleur a pris le dessus sur les autres thèmes et secrets politiques et diplomatiques abordés par l’auteur dans son œuvre.
 

Otage du Hezbollah et l’affaire Eurodif
Après ses études à la Faculté d’anglais et de lettres orientales à Paris, Roger Auque se rend au Liban où il combat du côté des chrétiens et des phalangistes contre les «musulmans progressistes». Le 13 janvier 1987, il se fait enlever par le Hezbollah. Alors correspondant de guerre au Liban, il est pris en otage «en pleine lumière en sortant de son immeuble sous les yeux de son confrère Paul Marchandîs» par le parti de Dieu. Ce «rapt» n’est pas injustifié. Ce qui avait été nié à l’époque est aujourd’hui confirmé. Auque admet, dans son livre posthume, qu’il avait été véritablement agent de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ce qu’avait vu en lui la Résistance libanaise au moment de l’enlèvement. Plus tard, il est libéré. Cet «affranchissement», Auque le doit à Kadhafi. Dans son œuvre, l’auteur affirme: «Je dois faire aujourd’hui quelques révélations sur la rançon qui a été versée. Je le confirme, de l’argent, beaucoup d’argent, a été remis en échange de notre libération. Ce n’est pas la France qui a payé, mais le Libyen Kadhafi. Ce fut un échange de services. L’affaire qui a conduit à l’enlèvement des Français se situe à l’origine au cœur d’un contentieux financier entre la France et l’Iran au sujet du consortium nucléaire Eurodif». En 1972, un accord est signé entre les principaux pays européens pour former une association Eurodif, qui aurait pour mission d’étudier «les perspectives économiques liées à la réalisation, en Europe, d’une usine d’enrichissement de l’uranium par le procédé de diffusion gazeuse, compétitive sur le plan mondial». En tant qu’actionnaire, l’Iran avait un droit d’enlèvement sur 10% de l’uranium enrichi par Eurodif. Lors de la révolution islamique de 1979, l’ayatollah Khomeiny, exilé en France, revient en Iran et prend le pouvoir et les dirigeants de son pays se retournent contre Paris et Washington. Après la mise en service de l’usine Eurodif en 1981, l’Iran réclame 10% de la production d’uranium enrichi auxquels il a contractuellement droit, ce que la France refuse. D’où le célèbre contentieux entre la France et l’Iran (à noter que les Iraniens déclarent que d’autres éléments étaient aussi à l’origine de ce litige). Dans son livre, Auque mentionne ce qui suit: «Le chah avait versé, en 1974, un milliard de francs, mais le projet avait été annulé à la suite de l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny. Depuis lors, l’Iran réclamait le remboursement de certaines sommes. C’est ce qui a été fait à l’occasion de notre libération. L’argent versé via Kadhafi, plusieurs millions d’euros, représentait environ le double de ce que devait réellement la France à l’Iran dans l’affaire Eurodif».

Franc-maçon, Mossad, CIA et DGSE
Pour des raisons financières principalement, Roger Auque choisit de devenir agent pour plusieurs services secrets dont la CIA, la DGSE et le Mossad. «J’étais vraiment au cœur de la mécanique des services secrets internationaux dans les affaires d’otages». «A cette époque, les Etats-Unis cherchaient des renseignements sur l’Iran et l’Irak (…). Je me suis rendu à New York (…), mais également au Pentagone pour rencontrer des agents américains», confie Auque. Un double intérêt l’a poussé à collaborer notamment avec les Israéliens: «Israël possède des services secrets très efficaces. C’est, en outre, un appui important dans mon métier. (…) J’entretiens alors des contacts étroits avec le Mossad, qui a vite compris l’intérêt que pouvait présenter un journaliste français connaissant le Moyen-Orient sur le bout des doigts. Je vous dévoile aujourd’hui ce qui constitue ma part d’ombre. Je n’ai pas été qu’un journaliste, j’ai été rémunéré par les services secrets israéliens pour effectuer certaines missions, par exemple des opérations secrètes en Syrie, sous couvert de reportage. […] J’ai également travaillé pour les Français. De la même manière, j’ai exigé d’être rémunéré, car je ne voulais pas être considéré comme un agent secret. Les Français payaient moins bien que les Israéliens». Son adhésion à la franc-maçonnerie lui ouvre les portes du monde de la politique. C’est ainsi que grâce à des amitiés tissées avec les politiciens, notamment avec Nicolas Sarkozy, que Roger Auque devient ambassadeur en Erythrée. En 2009, il parvient à rencontrer Sarkozy, qu’il connaissait déjà, pour lui demander de l’aide dans le lancement de sa carrière politique: «Je lui ai demandé un coup de pouce pour les élections européennes». La réponse du président: «Il faut que Roger soit ambassadeur», exigeant cette demande auprès de son conseiller, par téléphone. En quelques minutes, l’affaire est bouclée: «Tu seras ambassadeur», annonce Sarkozy en raccrochant.

Natasha Metni

Qui est Roger Auque?
Né en 1956 dans le nord de la France, Roger Auque est le fils d’une famille de la classe moyenne de Roubaix. Son père est présenté comme un «gaulliste de gauche» et sa mère comme une «communiste». Sa proximité supposée avec Carla Bruni lui donne accès au poste d’ambassadeur que lui cède Nicolas Sarkozy.
Pétri de culture arabe, journaliste de grande expérience, Roger Auque travaille, avant, pendant et après le Liban, pour de nombreux grands médias dont Paris Match, RTL, La Croix, etc. Il est correspondant de plusieurs radios et télévisions dont TF1, la RTBF, TSR ou encore Radio-Canada entre 2002 et 2007.

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