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Nº 2994 du vendredi 27 mars 2015

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Régis Wargnier présente Le temps des aveux. «Provoquer la réflexion en passant par les émotions»

Le réalisateur du film oscarisé Indochine, Régis Wargnier, était au Liban pour présenter son dernier film, Le temps des aveux, qui a officiellement inauguré, le 18 mars dernier, la salle entièrement numérisée du Cinéma Montaigne de l’Institut français de Beyrouth. Basé sur le livre Le portail de François Bizot, le film relate l’enlèvement de ce dernier par les Khmers rouges au Cambodge en 1971.

Dans votre œuvre cinématographique, l’Histoire est très présente. Pourquoi cet intérêt pour l’Histoire?
Dans notre vie quotidienne, il y a l’actualité. Et dès qu’elle est dans le passé, ça devient de l’Histoire. Nous ne pouvons pas y échapper. D’autant plus que je suis né juste après la Deuxième Guerre mondiale, un vrai cataclysme, qui a déclenché un changement de destin pour la France. C’est incroyable à quel point elle est toujours présente, dans la presse, les médias, les livres, les films… Il y a eu d’autres événements dans le monde, mais cette guerre, hélas, est malheureusement représentative de quelque chose de tragique. On dirait qu’elle s’est inscrite dans la vie des gens, dans la mémoire. Elle est toujours en référence, on la craint tellement qu’à chaque fois qu’il y a un événement de grande ampleur, on se dit que c’est le début de la Troisième Guerre mondiale, ne serait-ce qu’en ce moment avec l’Etat islamique qu’on craint comme une nouvelle forme de guerre.
Je peux d’autant moins y échapper que je suis fils de militaire qui a pris part à la IIe Guerre, la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie… Tout cela forme un caractère, une personnalité, un parcours personnel, une identité, parce que j’étais confronté aux nouvelles de la guerre, à des batailles perdues… Peut-être était-ce, aussi, un moment où l’histoire française s’est rassemblée pendant une vingtaine d’années de manière très forte, où le destin du pays est passé de celui d’un empire à un pays dans l’Europe.
De toute façon, même si on est dans une histoire d’aujourd’hui, on est toujours dans un temps historique, politique ou économique, dans un produit d’époque où il y a des tendances, des renversements de tendances, de nouveaux goûts, des changements d’attitude, des ouvertures d’esprit, des lois qui changent la société. C’est une évolution constante, et je pense que, qui qu’on soit, on est constamment le produit du pays dans lequel on vit, de son environnement, de son changement de mœurs…

Quel serait le rôle du cinéma dans l’Histoire?
Je ne pense pas que le cinéma a un rôle. Si on considère le cinéma comme un art, la sculpture aurait-elle un rôle? On charge peut-être un peu plus le cinéma, car il se diffuse à une très large échelle, il parle à tout le monde. Et si ce n’est pas le cinéma, c’est la télévision. Est-ce que ce 7e art a une fonction plus importante que d’autres, plus que la musique, le théâtre, la littérature? Nous sommes passifs au cinéma, nous sommes tous en train de partager le même rêve et nous le reçoivons différemment. Le cinéma va toucher les gens sur leurs points sensibles, ou ne pas les toucher. Je ne sais pas s’il a un rôle. C’est toujours très étonnant pour nous quand nous rencontrons des gens qui nous disent avoir vu tel film, il y a des années de cela, et qui les a tellement marqués. Je pense simplement que le film a rencontré une partie d’eux, qui était consciente ou inconsciente, parce que les images restent très fortes dans l’esprit. Après, elles s’entrechoquent, se mélangent. Je ne sais pas s’il faut nous donner un rôle. Moi j’aime bien faire des films qui, j’espère, provoquent la réflexion, mais en passant d’abord par les émotions.

Vous avez parlé d’une étrange douceur dans Le temps des aveux. N’y aurait-il pas un danger à présenter une relation humaine entre un bourreau et sa victime, entre Douch et François Bizot?
C’est ce qui est intéressant justement, leur relation à un niveau humain. Il est facile, comme certaines personnes le font, et même des gens très haut placés, qui, en parlant d’un terroriste par exemple, de dire qu’il s’agit d’un monstre. Non, ça ne l’est pas, il est peut-être devenu un monstre, il commet des actes monstrueux, mais c’est un homme qui est mû par une pensée, une idéologie, un parcours personnel. Il a commis des actes répréhensibles, condamnables, monstrueux, mais on ne peut pas dire que ce n’est pas un être humain. C’est ce qui m’intéresse; comment un être humain peut rentrer dans une idéologie, dans un fanatisme, et mettre en premier une mission qu’il s’est donnée et qui fait qu’il n’a plus finalement le même regard sur les autres. Et qui même, pour ne plus avoir de contact humain, ce qui lui permettrait de réfléchir à son acte, met la personne à distance pour mieux la torturer, l’exécuter. Il y a quelque chose qui s’est établi dans la relation entre ces deux hommes qui a empêché l’histoire de se dérouler comme elle aurait dû se passer entre un bourreau et une victime. Peut-être malgré Douch. Leur qualité d’êtres humains a été plus forte. C’est ce qui les a troublés. Au-delà des années, ils ne se sont jamais oubliés. Quand Douch est arrêté, la première chose qu’il demande est de parler à son ami français. Car pour lui, ce moment est important, c’est peut-être une image de lui qu’il veut garder, d’avoir épargné quelqu’un, d’avoir su le faire, d’avoir été cet homme-là. C’est vertigineux! C’est vrai que quand on fait ce film, on ne sait pas que l’Etat islamique prendra une telle importance, qu’en le présentant à la salle Montaigne, les événements de Tunis avaient lieu, que les fanatiques continuent. Depuis que j’ai fini le film, malheureusement, c’est troublant les similitudes qui existent. Je n’ai surtout pas la prétention de trouver des réponses, mais peut-être que le film va pousser à se poser des questions sur soi, sa vie, ses choix, ses comportements…

Vous avez évoqué votre relation particulière au Liban depuis que vous y êtes venu pour la première fois avec Volker Schlöndorff pour tourner Le faussaire.
Oui, je suis venu comme assistant de Schlöndorff, j’y ai passé quatre mois durant la guerre. Je suis revenu en 1992 faire un reportage pour Envoyé spécial pour l’Unicef qui essayait de regrouper tous les enfants de toutes ethnies, nationalités, origines et confessions afin de leur apprendre que l’état normal du monde n’est pas la guerre. Un reportage passionnant. Je suis revenu présenter Indochine, Une femme française, Est-Ouest. Je crois que ce rapport particulier à votre pays est né du fait d’avoir tourné sur la guerre pendant la guerre.

Vous parlez de l’indécence de filmer la guerre dans un pays en guerre. Comment vivre avec cela?
Chacun dans l’équipe, à son tour, avait des moments, non pas de folie, mais de prise de conscience. Nos acteurs, nos figurants, étaient de vrais combattants. On reconstituait des scènes de massacres, on provoquait des explosions au centre-ville, comme s’il n’y en avait pas assez…On n’est pas prêt à ça. Au cinéma, on fait semblant, mais là on avait du mal à le faire. Et puis un jour on est partis. Mais ça nous est resté. On a tous mis beaucoup de temps à revenir du film. C’est toujours très présent dans ma tête. Donc forcément, ça crée un rapport très fort avec le pays.

Propos recueillis par Nayla Rached

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