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Nº 3061 du vendredi 8 juillet 2016

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Retour aux attentats sanglants. Daech plie mais ne rompt pas

En l’espace de dix jours, plusieurs attaques ont ensanglanté Istanbul, Dacca et Bagdad dimanche dernier, ou encore lundi soir, Médine. Affaibli sur le terrain, avec les pertes successives de Ramadi, Tikrit et, dernièrement, Fallouja, l’Etat islamique ne se laisse pourtant pas abattre, renouant avec les actions clandestines et sanglantes.

Le bilan est effroyable. L’attentat perpétré dans le quartier majoritairement chiite de Karrada, dimanche dernier, apparaît sans doute comme l’un des plus dévastateurs revendiqués par l’Etat islamique (EI). Plus de 215 Irakiens ont été emportés par l’explosion d’un camion piégé, dévastant tout un quartier, alors que les habitants de Bagdad étaient venus effectuer leurs derniers achats avant la fête du Fitr.
Ce carnage est emblématique de Daech puisqu’il visait principalement la communauté chiite irakienne que l’EI ne considère pas comme des musulmans. Bagdad avait déjà été visée par des attaques similaires le 17 mai dernier, où un double attentat avait tué cinquante personnes. Il signe aussi un retour aux actions clandestines des prémisses de l’Etat islamique, acculé dans ses derniers retranchements en Irak.
En un peu plus d’un an, l’EI a perdu les deux tiers des territoires qu’il avait conquis, à la stupéfaction générale, lors d’attaques éclair. Les forces irakiennes, soutenues par les avions de la coalition internationale menée par les Etats-Unis, ont en effet réussi à reprendre Tikrit, puis Ramadi, chef-lieu de la grande province occidentale d’al-Anbar, avant de s’attaquer à la cité emblématique de Fallouja, le 23 mai dernier. La bataille de Fallouja, conduite au sol par l’unité d’élite du contre-terrorisme et appuyée par les supplétifs miliciens, aura été âpre et extrêmement violente, les troupes irakiennes se heurtant à une forte résistance des jihadistes qu’il aura fallu débusquer, rue après rue, maison après maison.
Ce n’est qu’un mois plus tard, le 26 juin, que les forces irakiennes ont affirmé avoir totalement libéré la ville, surnommée «la tête du serpent». C’est lors des combats opposant insurgés irakiens et forces américaines, en 2004, qu’était né l’embryon de l’Etat islamique en Irak. La reprise de Fallouja était également essentielle pour le pouvoir irakien, car la ville n’est située qu’à quelques encablures de Bagdad.
 

Convoi jihadiste anéanti
Emblématiques de la débandade qui paraît agiter les troupes de l’Etat islamique, les images du bombardement d’un convoi de véhicules par la coalition internationale, quelques jours après la reprise de la ville. D’après le Pentagone, au moins 250 jihadistes auraient été tués, au sud de Fallouja, alors qu’ils fuyaient à bord d’un convoi composé de quelque 260 véhicules. Des dizaines de pick-up, camionnettes et poids lourds ont été terrassées par les frappes conjointes de la coalition et de l’aviation irakienne, alors que le convoi s’élançait en plein désert avec l’espoir de rejoindre les zones encore contrôlées par l’EI en Irak et en Syrie. Dans ce paysage plat et désertique, les jihadistes de Daech n’avaient pas beaucoup de chances d’échapper aux frappes aériennes… Une tentative vouée à l’échec, le convoi roulant sur des axes totalement à découvert. Même scénario au sud-ouest de Fallouja, où 60 autres véhicules ont été détruits par d’autres frappes conduites par les avions irakiens et de la coalition, selon Ismaïl Mahalawi, porte-parole du Commandement des opérations dans la province d’al-Anbar.
Selon lui, il s’agissait là «d’une tentative désespérée de la part des terroristes pour fuir vers leurs zones d’al-Qaïm, près de la frontière de Syrie, et de Tharthar», un lac sur l’Euphrate à cheval entre les provinces d’al-Anbar et de Salaheddine, en plein désert. De là, les jihadistes espéraient sans doute rejoindre Mossoul, la deuxième ville d’Irak et le dernier bastion d’importance encore aux mains de l’Etat islamique.

 

Attentats itinérants
La prochaine grande bataille, celle de Mossoul, ne devrait pas intervenir avant l’automne. L’Etat islamique contrôle encore cette ville du nord de l’Irak, sa capitale, ainsi qu’un chapelet de villes situées le long de l’Euphrate, non loin de la frontière syrienne. Pour l’heure, les forces irakiennes avancent en direction du sud de Mossoul. Elles devraient, a priori, engager une stratégie identique à celle appliquée à Fallouja. A savoir encercler Mossoul en s’emparant des villages alentour, afin de couper les lignes d’approvisionnement logistiques de Daech. A la différence que Mossoul concentre pas moins d’un million et demi d’habitants. Pour l’heure, l’Etat islamique a encore resserré son emprise sur la ville, empêchant quiconque de fuir. Toutefois, certains observateurs, comme le journaliste du Figaro, Georges Malbrunot, n’excluent pas la reproduction du scénario constaté à Fallouja. «Quelques semaines de combat acharné dans certains quartiers, avant que les forces de sécurité laissent partir des éléments de Daech, chacun y trouvant finalement son compte». Et qui pourrait éviter un bain de sang parmi les civils, tant redouté.
La perte de territoire, enregistrée par l’Etat islamique depuis la fin de 2015, ne signifie pas pour autant la fin de la menace jihadiste pour l’Irak. Ces derniers jours, en frappant par le biais d’attentats à Istanbul, Dacca, Bagdad ou encore lundi soir, à Médine, Daech a montré qu’il conservait sa capacité de nuisance. Si la tendance penche réellement vers une inversion des rapports de force, et si l’organisation est affaiblie sur le plan territorial, elle tente toutefois de redorer son image et raffermir le moral de ses troupes en multipliant les attaques d’envergure. Le porte-parole de l’EI, Abou Mohammad el-Adnani, a depuis plusieurs semaines, adapté son message, anticipant les pertes de villes majeures dans un récent message audio. «Américains, vous considérez que c’est une défaite lorsque nous perdons du territoire. Serons-nous vaincus et vous victorieux si vous prenez Mossoul, Raqqa ou Syrte? Bien sûr que non. La défaite, c’est de perdre le goût du combat».
De même, rappelle la spécialiste de l’Irak et auteure du livre Irak, la revanche de l’histoire (éditions Vendémiaire), Myriam Benraad, dans les colonnes du Figaro, Adnani «avait annoncé que 2016, et particulièrement le mois de Ramadan, seraient les plus sanglants de ces dix dernières années». Selon elle, «il faut placer cet attentat dans le contexte de l’après-Fallouja. (Sa) libération a été un véritable choc pour l’Etat islamique. Cette ville était le bastion historique de l’avant-garde de l’EI. C’est là-bas que, dès 2004, le fondateur de Daech, el-Zarqaoui, et ses lieutenants ont fait leurs armes. La perte de la ville a suscité une haine inouïe chez les jihadistes, surtout étant donné la manière dont elle a été libérée. En effet, Fallouja a été libérée par l’armée irakienne et par des milices chiites, et cette libération s’est accompagnée d’exactions envers des civils sunnites. Dans une logique de loi du talion, Daech s’en prend aux civils chiites», indique-t-elle.

Abadi hué
Affaibli, l’Etat islamique se replie sur les actions clandestines qui constituaient son mode opératoire privilégié dans les premières années de sa création, en 2004-2006, rappelle encore Benraad.
«Ses échecs territoriaux le font renouer avec une guérilla urbaine asymétrique contre laquelle la coalition internationale et le gouvernement irakien ont bien du mal à lutter».
Perdant sur le terrain, Daech n’a pas encore failli au sein des mentalités et des cœurs, pour certaines populations sunnites d’Irak. Et l’impuissance de l’Etat irakien n’arrange pas les choses, bien au contraire. «Le Premier ministre Abadi, qui avait promis à son arrivée au pouvoir en 2014 de rétablir les institutions, s’avère incapable de normaliser la situation. Depuis treize ans, les élites irakiennes, rongées par la corruption, sont incapables de reconstruire un Etat», observe Myriam Benraad. Et le carnage perpétré à Bagdad dimanche, démontre, selon elle, que «contrairement à ce qu’on avait pu croire en 2014, Bagdad n’est pas une enclave sécurisée, et que l’Etat islamique y est bien implanté». Le revers est immense pour le gouvernement irakien qui se montre incapable d’assurer la sécurité de sa capitale. Dimanche, alors qu’il se rendait sur les lieux de l’attentat, le convoi du Premier ministre a ainsi été accueilli par des jets de pierre.
En outre, Haïdar el-Abadi a montré, comme son prédécesseur honni, Nouri el-Maliki, qu’il menait la même politique sectaire – la reprise de Fallouja doit beaucoup aux milices chiites –, ce qui fait le jeu de Daech et devrait attirer encore bon nombre de recrues sunnites dans ses rangs.

 

Jenny Saleh
 

Vague d’attentats suicide en Arabie saoudite
Lundi 4 juillet, trois kamikazes ont fait exploser leurs bombes à proximité de mosquées dans trois villes d’Arabie saoudite, dont Médine. Une vague rare d’attaques suicide au sein du royaume wahhabite. En début de soirée, alors que la ville connaît une forte affluence pour les derniers jours de Ramadan, une attaque s’est produite devant la mosquée du Prophète à Médine, dans l’ouest du pays. Quatre personnes chargées de la sécurité y ont trouvé la mort. Les images montrant des flammes, ainsi qu’une grosse fumée noire étaient impressionnantes et le bilan aurait pu être bien plus lourd.
Presque simultanément, dans l’est du royaume, un autre kamikaze s’est fait sauter à proximité d’une mosquée chiite de Qatif, sans faire de victimes.
Plus tôt dans la journée, Jeddah, à l’ouest, avait été le théâtre d’une explosion kamikaze, à proximité d’une mosquée située près du consulat des Etats-Unis. Deux agents de sécurité auraient été légèrement blessés. Des engins explosifs auraient d’ailleurs été trouvés dans les environs de la représentation diplomatique.

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