Magazine Le Mensuel

Nº 3065 du vendredi 5 août 2016

Musique

Ya Layali, Rola Azar sings Ziyad Sahhab. Et les sentiers se croisent

Rola Azar sings Ziyad Sahhab; voici le dernier album du compositeur-oudiste libanais qui distille ses mille et une influences au cœur de la richesse des compositions. Ya Layali, l’écoute se fait différente.

Cela fait plusieurs années que Ziyad Sahhab n’a pas sorti un nouvel album. Et voilà que, depuis quelques semaines, quelques mois déjà, sur les réseaux sociaux, apparaissaient les signes avant-coureurs d’une phase de gestation, de préparation, d’enregistrement. La genèse d’un nouvel album, un 3e opus après Ouyoun el ba’ar (2004) et Keep on singing (2006). Ya Layali, Rola Azar sings Ziyad Sahhab est désormais dans les bacs.
Dès la première écoute, l’impression, aussitôt sensations confirmées, que l’album s’inscrit bel et bien dans la continuité, dans le prolongement des albums précédents, tout en étant à la fois différent. De par la voix, les arrangements, la production signée Jean Madani, les influences puisées çà et là, la richesse instrumentale des compositions où s’insère chaque texte, comme dans un écrin à multiples tiroirs.
Première différence, et de taille, la voix, l’interprète. Rola Azar qui chante l’album dans son intégralité presque, rendant les quelques «apparitions» de Ziyad Sahhab au chant d’autant plus anecdotiques, amusées, chatouilleuses qu’elles renvoient au texte «in situ», jusqu’aux retrouvailles de la séparation et de l’incompatibilité.
 

Voyage à deux voies
Entre les grandes thématiques de l’amour et les petits soucis de ce même amour, entre les insomnies des nuits de solitude et de souvenirs et la dérision d’une réalité autre, les textes sont essentiellement signés Mohammad Kheir et Ziyad Sahhab. Un même espace de jeu où se croisent deux voies, deux histoires, autant de pistes à suivre que l’auditeur se plaît à décroiser pour emprunter des chemins en parallèle ou en lacets.
Deux chemins, deux voies pour deux signatures, celle de Mohammad Kheir se situant plus dans la langueur et la sensualité, étirée par la voix éthérée de Rola Azar, et celle de Sahhab lui-même, plongée dans cette ironie qui lui est particulière. Bi albak, El Fikra, Jeet ta hebbak, Emt nseet, Mosh aam bechtaalak; cinq titres, certains déjà connus et qu’il avait auparavant interprétés aux côtés de Yasmine Fayed, mais dans une version presque acoustique et en accompagnement soliste au oud. Là, toute une orchestration riche et complexe entrecroise les multiples fils. Ney, clarinette, guitare électrique et acoustique, tabla, percussion, batteries, trompette, basse, saxophone… Ziyad Sahhab s’est entouré des musiciens Trad Trad, Martin Loyato, Nezar Omran, Nidal Abou Samra, Georges Abi Aad, Ramzi Ramman, Raffi Mandalian, Jean Madani, Salman Baalbaki, Walid Nasser, Chris Chahine et Fouad Afra.
Lancé par la chanson éponyme Ya Layali, l’album semble emprunter une trajectoire musicale arabe, aux sonorités purement orientales, voix diaphane, presque a capella, et un accompagnement progressif au oud, prémices d’une discussion à deux voix. Avant de bifurquer dans une direction différente, par une intrusion de basse rallongée appelant une orchestration polymorphe.
Le voyage se démultiplie, empruntant des détours autour du globe, parfois des influences latines plus prononcées, ou une plage hypnotique au détour du désert africain. Les rythmes s’emmêlent, se croisent, entre un air familier remanié ou un soupir surprenant, au moment où on s’y attend le moins, qui fait chavirer la chanson vers un dénouement que rien n’avait prévu, surtout pas le début ou même le cheminement interne. n

Nayla Rached
 

Amar
Intercalé vers la fin de l’album, le morceau Amar constitue également un détournement et un chavirement inattendus, comme une brisure, une fissure d’une paroi apparemment uniforme. Sur un poème de Abdel-Rahman Abnoudi, Amar Jaffa, la voix de Rola Azar se faufile entre Jaffa, Ramallah, Jénine et Deir Yassine, entre les oliveraies et les tombeaux, les cadavres et les massacres, la colère comme une ultime pulsation, le cœur saigné à vif.

Related

Asia du Basel Rajoub trio. La sensation du beau

Ibrahim Maalouf à Batroun: «Ma libanité est très présente dans mon travail»

Selecteum des arts et des sciences. Un réseau culturel sans frontières

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.